Intervention de Michel Berson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 mai 2016 à 9h46
Financement et pilotage du projet de constitution d'un pôle scientifique et technologique « cluster » sur le plateau de paris-saclay — Contrôle budgétaire - communication

Photo de Michel BersonMichel Berson, rapporteur spécial :

Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, après vous avoir exposé le 30 septembre dernier les premières observations réalisées dans le cadre de mon contrôle budgétaire sur le financement et le pilotage du projet de constitution d'un pôle scientifique et technique, c'est-à-dire d'un cluster, sur le plateau de Paris-Saclay, je souhaite aujourd'hui vous en présenter les conclusions.

La structuration d'un cluster sur le plateau de Saclay, portée par l'État depuis 2005, s'inspire du grand modèle de la Silicon Valley. Ce projet très ambitieux et emblématique pourrait devenir une source majeure de croissance et d'emplois pour la région Île-de-France et, partant, pour notre pays. Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le rappeler, il comporte trois grands volets qui sont autant de défis : un volet scientifique, d'une part, avec la constitution progressive de l'université Paris-Saclay, qui rassemble deux universités, une école nationale supérieure, huit grandes écoles et sept organismes de recherche, soit dix-huit établissements au total; un volet économique, d'autre part, qui repose sur l'implantation des centres de recherche et développement (R&D) des grandes entreprises, la création d'un écosystème favorable aux jeunes entreprises innovantes et aux start-up et la valorisation commerciale des avancées scientifiques et technologiques réalisées sur le plateau ; et enfin un troisième volet immobilier et aménagement du territoire, centré sur le déménagement de six établissements d'enseignement supérieur sur le plateau et la construction d'un grand campus urbain, moderne et attractif, ainsi que sur la réalisation d'un tronçon de la ligne 18 du Grand Paris Express.

Comme je l'avais relevé lors de ma précédente intervention, il n'existe pas à ce jour de tableau de financement complet et actualisé détaillant l'ensemble des contributions financières des différents acteurs publics en faveur du projet de Paris-Saclay. Dans l'attente de la production de ce document par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, j'ai souhaité, au fil de mes auditions, établir un état des lieux aussi précis que possible de l'ensemble des financements publics consacrés au projet de cluster de Paris-Saclay. Il ressort de mes entretiens que le volet immobilier et aménagement du territoire du projet de cluster représenterait un investissement public de 2,1 milliards d'euros, le volet scientifique et technologique 700 millions d'euros et la construction de la portion de la ligne 18 du Grand Paris express qui intéresse directement le cluster de Paris-Saclay 1,7 milliard d'euros, soit un total d'environ 4,5 milliards d'euros d'investissements publics.

Je vais reprendre chacun de ces volets. Le volet scientifique constitue incontestablement la pierre d'angle de ce projet de cluster. Pour se développer, un cluster, fondé sur les interactions permanentes entre monde de la recherche et monde économique au service de l'innovation, a besoin de s'appuyer sur une université de rang mondial. Or, après l'annonce à la fin du mois d'avril des résultats pour le moins décevants obtenus par Paris-Saclay lors de l'évaluation des initiatives d'excellence (Idex) à laquelle a procédé le jury international présidé par le professeur Jean-Marc Rapp, l'université Paris-Saclay se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. En effet, si le jury a salué la qualité des travaux scientifiques menés dans le cadre de l'université, il a jugé que les progrès réalisés en faveur de la création d'une université suffisamment intégrée pour pouvoir figurer dans les classements internationaux avaient été insuffisants ces dernières années. Sur la base de cet avis, le Premier ministre a renouvelé la période probatoire de l'université Paris-Saclay pour une période de dix-huit mois.

Comment en est-on arrivé là, alors que la dynamique enclenchée par la création de l'université Paris-Saclay sous la forme d'une communauté d'universités et établissements (ComUE), statut prévu par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, paraissait solide avec la mutualisation de 100 % des doctorats et de 80 % des masters, la signature unique pour les publications, la création des écoles doctorales et des schools, etc ?

Au mois de septembre, je vous avais fait part des tensions suscitées sur le plateau par la parution du rapport de Bernard Attali L'X dans une nouvelle dimension, qui prônait la mise en place d'« un pôle d'excellence » autour de l'École polytechnique au sein de l'université Paris-Saclay, regroupant uniquement des grandes écoles d'ingénieurs. Les craintes des dirigeants de l'université Paris-Saclay se sont malheureusement matérialisées lors du conseil d'administration de l'X qui s'est tenu le 15 décembre 2015, lorsque les ministres de la défense et de l'économie ont paru encourager la constitution de ce « pôle d'excellence » qui ne pouvait qu'entraîner à terme la disparition de l'université Paris-Saclay. Si un arbitrage rendu au plus haut niveau est venu mettre un terme à cette regrettable cacophonie entre les ministères de tutelle des établissements du plateau, elle n'en a pas moins laissé des traces.

De fait, la volonté de certains de créer un « pôle d'excellence » autour de l'École polytechnique a été perçue comme un énième avatar de la bipartition, vieille de deux siècles et à mes yeux, et à vos yeux j'en suis sûr, obsolète, entre grandes écoles et universités qui structure toujours notre système d'enseignement supérieur. Les grandes écoles, extrêmement sélectives et exigeantes, auraient vocation à former les élites de la nation, là où l'université, tout en développant des travaux de recherche de haut niveau, serait appelée à former tous les étudiants qui le souhaitent, sans pouvoir opérer une quelconque forme de sélection.

Dès lors, certaines grandes écoles, l'École polytechnique en particulier, craignent de se voir dissoutes dans un vaste ensemble dont les valeurs, la gouvernance et les processus de sélection des élèves seraient proches de ceux des universités, au détriment de leur tradition d'excellence. S'il convient d'entendre ces craintes, il faut aussi souligner qu'elles sont loin d'être toutes justifiées.

Surtout, ces querelles de chapelles franco-françaises apparaissent totalement dépassées à l'heure où il convient de disposer d'une masse critique considérable pour pouvoir rivaliser avec des universités telles que Harvard, Stanford ou Cambridge. C'est pourquoi je considère qu'il est plus nécessaire que jamais de conforter le modèle d'intégration de l'université Paris-Saclay, fédérant dix-huit établissements, en renonçant définitivement à créer ce « pôle d'excellence » en son sein et de poursuivre le regroupement de l'ensemble des acteurs du plateau - universités, grandes écoles et organismes de recherche - au sein de la communauté d'universités et établissements (ComUE).

Dans le même temps, il convient de tout faire pour éviter que l'X « ne prenne la tangente ». Le jury international de l'Idex envisage clairement cette hypothèse en cas de nouvelle perturbation du projet de constitution de l'université Paris-Saclay susceptible de surgir à tout moment. L'École polytechnique serait la première à pâtir de cette décision, elle qui, en dépit de sa tradition d'excellence, ne figure même pas parmi les 300 premiers établissements mondiaux du classement de Shanghai en raison de sa petite taille à l'échelle internationale. Par parenthèse, l'Université Paris-Sud figure à la 41e place de ce classement.

Je tire quelques autres conclusions de cette crise.

Il faut renforcer le portage politique du projet de cluster de Paris-Saclay au sommet de l'État afin de mettre fin aux dissensions entre ministères, par exemple par la désignation, auprès du Premier Ministre, d'un délégué interministériel.

Pour que l'institution qu'est l'université Paris-Saclay puisse peser véritablement face aux établissements qui la composent, elle doit également voir ses ressources propres augmenter. Dans cette perspective, je souhaite formuler trois propositions : premièrement, mettre en place un diplôme de bachelor, à même d'attirer les meilleurs étudiants étrangers, et qui aurait en outre l'avantage d'éviter que les membres de Paris-Saclay ne créent de multiples bachelors qui se feraient concurrence entre eux ; deuxièmement, créer une fondation universitaire de l'université Paris-Saclay, abondée par ses anciens élèves et par les entreprises du plateau qui bénéficient de ses travaux de recherche ; enfin, renforcer les incitations financières à l'intégration de l'université Paris-Saclay, y compris en sanctionnant financièrement les établissements qui freinent la dynamique du projet.

Parce que l'université Paris-Saclay est encore trop méconnue, en France comme à l'international, et parce qu'il convient de renforcer son identité, je propose de désigner une personnalité scientifique de premier plan, membre de l'université Paris-Saclay et jouissant d'une grande notoriété, comme ambassadeur de l'université, afin d'incarner le projet tant vis-à-vis des établissements membres que des pouvoirs publics et des universités étrangères. En outre, je propose de doter l'université Paris-Saclay d'un puissant service de communication, à même de faire connaître la marque « Université Paris-Saclay » dans le monde entier.

J'en viens au volet économique du projet de cluster de Paris-Saclay qui constitue l'un de ses relatifs points faibles. Je dis bien relatif, car 15 % des travaux de recherche et développement de notre pays sont réalisés sur le plateau de Saclay et la plupart des fleurons de notre industrie y sont présents, en particulier dans les domaines des technologies de l'information et de la communication et des biotechnologies qui révolutionnent à l'heure actuelle notre société, ainsi que de la défense, de l'aéronautique, des transports, de l'énergie ou bien encore de la santé.

Force est de constater que le nombre de grandes entreprises qui viennent s'implanter sur le plateau a eu tendance à s'essouffler ces dernières années, même si l'inauguration, voilà quelques mois, des plus grands centres de recherche et de formation d'EDF à proximité de l'École polytechnique a quelque peu masqué ce phénomène. C'est pourquoi il convient, selon moi, d'inciter, par exemple lors des conseils de l'attractivité qui se tiennent régulièrement autour du Président de la République, les grandes entreprises, françaises comme étrangères, à construire leurs centres de R&D sur le plateau de Saclay, qui est à même de leur offrir un environnement exceptionnel.

La richesse économique du plateau de Saclay provient également de la richesse de son tissu industriel en entreprises de taille intermédiaire (ETI) et petites et moyennes entreprises (PME) ainsi qu'en start-up et jeunes entreprises innovantes.

Si les politiques menées en faveur de ces entreprises sur le plateau - création d'incubateurs et de pépinières d'entreprises, création d'une société d'accélération du transfert de technologies (SATT) - sont à l'origine de succès en nombre croissant, les auditions que j'ai menées m'ont convaincu qu'il serait possible de progresser sur deux points importants : d'une part, la mise en réseau des incubateurs et pépinières d'entreprises, qui sont encore trop isolés les uns des autres au sein de leurs différents établissements de rattachement. En effet, la fertilisation croisée qui fait la richesse des clusters provient de l'échange permanent des idées. D'autre part, il faut accroître la connaissance par les investisseurs, et en particulier les fonds de capital-risque et les business angels, du formidable bouillonnement en cours sur le plateau de Saclay, qui n'apparaît que trop peu sur leurs radars.

J'en viens à présent au dernier grand volet de la structuration du cluster de Paris-Saclay, celui qui concentre l'essentiel des financements publics, à savoir son volet immobilier et aménagement du territoire, pour lequel quelques 3,8 milliards d'euros sont mobilisés, soit 1,7 milliard d'euros au titre des transports et 2,1 milliards d'euros au titre du Plan Campus et du programme d'investissements d'avenir.

Ces financements ont pour objet la construction de bâtiments et de laboratoires destinés à accueillir six nouveaux établissements sur le plateau de Saclay - parmi lesquels l'École centrale, l'École nationale de la statistique et de l'analyse économique (ENSAE) ou bien encore l'École normale supérieure de Cachan - mais également de nouveaux équipements pour les établissements présents sur le plateau, la construction d'équipements mutualisés et de terrains de sport.

J'ai pu noter que la question du déménagement des six établissements présente de vraies fragilités financières. En effet, ces déménagements devaient être, parfois en grande partie, financés par les retours de cession des locaux et des terrains où étaient précédemment implantés ces établissements. Or, il est à présent quasi-certain que ces retours de cessions seront beaucoup moins élevés qu'attendu, pour des raisons variées, comme la présence d'amiante sur le site de l'unité de formation et de recherche (UFR) de pharmacie de l'université Paris-Sud à Chatenay-Malabry qui a fait fondre sa valeur ou encore la décision de la ville de Paris de « pastiller » le bâtiment principal de l'Institut Mines-Telecom à Paris pour lui interdire tout autre vocation que l'enseignement supérieur...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion