Pourquoi l'accord de Schengen n'a-t-il pas été appliqué ? Je n'en rappellerai pas les règles et la raison en est bien connue ici. La seule stratégie de l'Union européenne, ces quinze dernières années, a consisté à s'élargir pour s'élargir, sans tenir compte de la capacité des pays à respecter les règles de l'Union européenne. En effet, je vous rappelle qu'un principe fondamental à respecter pour entrer dans l'Union européenne est de disposer d'une administration permettant d'en appliquer les règles. Or, ce principe fondamental n'a pas été respecté et il en est résulté un élargissement de l'Union européenne et de l'Espace Schengen des pays qui n'étant pas en situation, pas seulement administrative mais aussi géographique, de respecter le code frontières Schengen. La situation que nous connaissons aujourd'hui met ainsi en cause Schengen lui-même et explique la situation du Col du Brenner. Il ne faut surtout pas se voiler la face ! Aujourd'hui, Schengen est malheureusement plus prêt de la tombe que de la renaissance. Il vaudrait mieux en réaliser un diagnostic précis si l'on veut arriver qu'il renaisse, tel le Phénix !
Effectivement, à travers les migrations de ces dix-huit derniers mois, nous n'avons pas eu que des personnes qui venaient exclusivement de Mésopotamie. Dans la mesure où, comme l'a dit le directeur de Frontex, la Turquie s'est transformée en « autoroute à migrants », se sont engouffrés sur cette autoroute des personnes qui venaient d'autres régions et qui cherchaient leur salut. C'est là toute l'histoire des migrations au cours des dernières décennies. Les premiers morts datent du Détroit de Gibraltar et des Canaries. Comment ont été enrayés les flux migratoires entre le Sénégal et les Canaries ? Par des moyens militaires, mais aussi par un travail social au Sénégal, comme celui effectué par les mères sénégalaises qui n'en pouvaient plus de voir certains de leurs adolescents se noyer au large du Sénégal et de la Mauritanie et qui ont, de ce fait, mené un combat pour empêcher leurs jeunes de continuer à partir sur des bateaux. Notre situation est plus générale. Face à cette situation, quelle solution imaginer ? Je ne dis pas qu'existent des solutions parfaites, mais il n'est pas inintéressant de se tourner vers les autres régions du monde pour voir ce qui est pratiqué en cas de vagues migratoires significatives et maritimes. Regardons les accords entre les Etats-Unis et Cuba qui fonctionnent depuis 1994 selon la logique « pieds secs - pieds mouillés ». Ainsi, le ressortissant cubain qui appareille sur une barque quelconque vers la Floride parvient sur une plage n'est pas renvoyé par les autorités américaines. En revanche, si son embarcation est arraisonnée par des gardes-frontières en mer, cette personne est ramenée à Cuba. Les causes des migrations du XXIème Siècle seront les mêmes que celles qui ont existé tout au long de l'histoire de l'Humanité. Concernant l'Afrique, chacun est parfaitement conscient de la situation. L'Afrique a tous les moyens de son développement et son potentiel s'améliore, du fait de l'augmentation de la densité de la population qui rentabilise, davantage que par le passé, un certain nombre d'activités économiques. La question est celle de la gouvernance. Lorsque les pays africains sont bien gouvernés, les habitants n'ont pas envie de partir, comme lors des quarante années de la présidence de M. Houphouët-Boigny. On a commencé à voir une émigration en provenance de la Côte d'Ivoire qu'avec la guerre civile survenue au milieu des années 2000.
Ce qui est vrai pour la Côte d'Ivoire l'est pour l'ensemble des pays d'Afrique et pose nécessairement la question des politiques de développement. Il faut préciser que nos politiques françaises en matière de développement ont conduit à favoriser le multilatéralisme au détriment du bilatéralisme. La France n'a en effet plus les moyens d'agir sur l'utilisation des crédits qui sont donnés à des fonds multilatéraux. Quel pays au monde a reçu la plus grande aide au développement depuis près d'un demi-siècle ? Il s'agit de l'Algérie et je vous rappelle que nous avons surpayé le pétrole algérien pour en favoriser le développement. Il y a effectivement une décision stratégique à prendre par la France qui doit revenir sur la priorité accordée au multilatéralisme dans l'aide au développement. À cet égard, l'aide au développement accordée par le Royaume-Uni, qui a accordé moins de moyens au multilatéralisme, s'est avérée plus efficace.
Sur l'avenir de l'Union européenne, J'ai été très surpris par l'évocation par le journal Le Monde de la remise du Prix Charlemagne à sa Sainteté le Pape François. Sa version numérique comportait un éditorial intitulé : « déboussolés, les dirigeants européens s'en remettent au pape François ». Ce mot définissait bien la situation actuelle et explique également le raidissement des opinions que vous avez évoqué. Si les populations sont en proie au doute, c'est qu'elles ne comprennent plus où leurs dirigeants les mènent. J'ai moi-même rédigé un article pour montrer que l'Union européenne était en train de mettre entre parenthèses un certain nombre de ses valeurs, comme la liberté, la démocratie et la subsidiarité. Il faut ainsi que l'Union européenne respecte ses valeurs dans les décisions qu'elle prend, et dans la façon de les mettre en oeuvre, si elle souhaite perdurer, comme je vous l'ai exposé à titre liminaire dans mon introduction.
Je terminerai sur un point absolument essentiel dans la compréhension des migrations. En réalité, les populations, dans leur très grande majorité, veulent vivre et travailler au pays. Pourquoi y a-t-il encore autant de Syriens en Jordanie, au Liban ou en Turquie ? Parce que 44 % d'entre eux reviennent régulièrement en Syrie pour maintenir le contact avec leur famille et vérifier l'état de leurs biens. Ces personnes souhaiteraient réellement retourner en Syrie, une fois la situation apaisée. Il ne faut pas encourager les départs, mais aider les pays, et chacun sait bien qu'il est moins onéreux, d'un point de vue purement financier, d'aider un Syrien en Syrie que d'assurer son intégration en France. Ce point est essentiel et il importe d'aider les Syriens chez eux, alors qu'un certain nombre de décisions politiques les empêche aujourd'hui de le faire.