Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 mai 2016 à 10h19
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Je suis la position de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) : il faut trouver un équilibre entre les exigences légitimes de sécurité et les garanties à apporter au respect des libertés. J'ai fait usage de cette jurisprudence, notamment dans mon avis sur la loi renseignement et sur la loi pénale récemment promulguée. Attention à ne pas déplacer trop le curseur vers la sécurité au détriment des libertés.

Mon rôle est défini à l'article 71-1 de la Constitution, par la loi organique du 29 mars 2011, par la loi ordinaire et par le décret d'application. Tous laissent une grande latitude au Défenseur des droits pour exercer en toute indépendance sa mission, qui regroupe quatre compétences - le Contrôleur général des lieux de privation de liberté étant resté indépendant. Cette indépendance, à l'instar des Ombudsmen des démocraties nordiques, l'autorise à s'exprimer en toute impartialité sur la manière dont le droit, les libertés, l'égalité, les principes républicains sont traités par l'évolution de la législation et les décisions des autorités gouvernementales et administratives. C'est ce que j'ai fait et continuerai à faire.

Notre culture juridique nous a longtemps interdit de nous référer au droit doux, au pouvoir d'influence, à des institutions et mécanismes qui ne tranchent pas des litiges, qui disposent de la balance et non du glaive, et qui s'efforcent de prévenir ou de réparer des conflits, des insuffisances, voire des dénis de droit. Le Défenseur des droits, comme la Halde, est de ces institutions. C'est un progrès pour notre démocratie et notre culture juridique.

Si l'on devait s'en tenir au seul traitement pénal des vingt discriminations énoncées dans la loi de mai 2008, il n'y aurait pas de réelle lutte contre les discriminations. Ce sont le code du travail, le code civil ou l'intervention du Défenseur qui forcent les entreprises ou les administrations à la médiation, à la réparation - bref, à une action réelle, certes insuffisante, contre les discriminations. Méconnaissance des réalités ou difficulté technique à administrer la preuve, le parquet classe souvent les affaires. Nous avons vocation à traiter la discrimination selon nos méthodes. C'est dans cet esprit que je continuerai d'exercer ma fonction, en actes et en paroles.

Oui, monsieur le président, l'état d'esprit général se fait plus sécuritaire. Je crains que l'exceptionnel et le temporaire ne deviennent le droit commun, avec une dégradation de l'État de droit par rapport à nos principes républicains. Or l'état d'esprit de la classe politique et de l'opinion publique a une influence sur les décisions. Depuis une quinzaine d'années, on observe une évolution vers un « agenda » unique de l'opinion publique et des responsables politiques : protection, renfermement, sentiment de déclin, repli, malthusianisme, peur et exclusion. L'appareil républicain devrait reprendre l'offensive contre ces menaces de toute nature ; mais au lieu d'utiliser cet arsenal, nous reculons. Joue-t-on « bas » ou « haut », pour reprendre une image sportive un peu triviale ? Soit on recule et on renforce la défense, soit on va jouer sur le terrain de l'adversaire. Je voudrais que la France joue « haut » en utilisant toutes les libertés, tous les droits que la République lui a légués.

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