Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 mai 2016 à 10h19
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

La philosophie de la République en matière de droit pénal, depuis Beccaria et les grands théoriciens des Lumières, est d'incriminer des actes, correspondant à des infractions mentionnées dans une loi pénale précise et non rétroactive. Puis, avec le développement des théories sociales en matière de délinquance et l'apport de Marc Ancel, on a introduit une personnalisation, une prise en compte des circonstances atténuantes ou aggravantes dans la mise en oeuvre des sanctions ; mais jamais on n'a incriminé des personnes, des comportements ou des intentions ! Désormais, la suspicion - « des raisons sérieuses de penser que... » - justifie des mesures qui ne sont même pas de police judiciaire, mais de police administrative. Que fait-on de la cloison de l'article 66 de la Constitution ? Nous risquons d'entrer dans l'ère des suspects. Le Parlement, et notamment le Sénat, devrait y être attentif. Avec les fameux logiciels de comportement, vous pourrez être interpellés si vous êtes simplement soupçonnés d'avoir un comportement vaguement inquiétant. Au-delà des portiques de sécurité, il y des dispositions législatives et des outils de haute technologie qui, dans leur principe même, incriminent la manière dont vous marchez, dont vous parlez ou vous souriez ! La loi Informatique et libertés date de 1978. Aujourd'hui, les circonstances nous conduisent à poser la question de l'utilisation des technologies.

La fusion des institutions a été un plus. La Défenseure des enfants est plus efficace en tant qu'adjointe du Défenseur des droits que lorsqu'elle était isolée. Cela a été crucial lors de la loi de 2011. La défense des enfants est l'une de nos préoccupations prioritaires, madame Tasca. Chaque année, nous publions un rapport d'activité spécifique sur le droit des enfants. Celui du 20 novembre 2015 portait sur les 70 000 enfants handicapés pris en charge - assez mal - par l'aide sociale à l'enfance. Le prochain, du 20 novembre 2016, portera sur le droit à l'éducation.

Monsieur Détraigne, j'ai estimé, dans un avis publié la semaine dernière, que le divorce par requête conjointe devant notaire et non plus devant le juge ne prend pas en compte l'intérêt supérieur de l'enfant. Environ 50% des divorces par requête conjointe concernent des enfants. Le mineur pourra-t-il dire quelque chose ? Comment ? Son point de vue sera-t-il pris en compte ? Le droit pour l'enfant de s'exprimer devant le juge, qui en tient compte pour le lieu de résidence ou la garde alternée, avait été un grand progrès. Le dispositif adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale prévoit seulement la possibilité pour l'enfant de demander à être entendu. Cela ne marchera pas. Je ne suis pas hostile à une déjudiciarisation du divorce, sauf en présence d'enfant mineur : il faut alors absolument passer devant le juge aux affaires familiales.

L'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas défini précisément, madame Tasca : on l'apprécie in concreto. Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont donné un effet direct à la Cide, et en particulier à son article 3. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu l'année dernière le droit des enfants nés par gestation pour autrui à l'étranger à avoir un état civil, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme l'avait fait, un an avant, la CEDH.

Un point sur lequel nous n'avons pas obtenu satisfaction : il n'est toujours pas obligatoire de réaliser une étude d'impact sur la conformité d'un projet de loi à la Cide et à la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. Une circulaire du Premier Ministre suffirait à régler ce problème.

Faut-il réduire encore le nombre des autorités administratives indépendantes (AAI) ? La mode n'est pas à en créer de nouvelles. Nous verrons bien ce que voudra le Parlement. Tout ce que souhaite le Défenseur des droits, c'est que ses propositions soient suivies ; il n'a pas les yeux plus gros que le ventre !

Sommes-nous efficaces ? Environ 80 % de nos recommandations sont suivies, mais il s'agit souvent d'affaires quotidiennes, dont la presse parle peu. À Bondy, où les demandes sont nombreuses, notre déléguée vient d'arriver. Elle résoudra bien des problèmes sans faire le buzz. On parle davantage de notre activité d'appui au contentieux, comme dans cette affaire de licenciement d'un jeune coiffeur homosexuel, que les prud'hommes n'avaient pas jugé discriminatoire. Nous pensons obtenir satisfaction devant la cour d'appel. Nous avons fait une centaine d'observations de ce type, dont les deux tiers environ sont suivies.

Un aparté, à l'intention de M. Détraigne : votre amendement à l'article 7 nouveau de la loi Justice du XXIème siècle sur la mutualisation des greffes a été écarté par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il faut le réexaminer car des experts m'annoncent des difficultés, notamment informatiques.

Monsieur Leconte, l'inégale répartition géographique des recours est l'un des sujets de notre enquête sur le non-recours. Tout dossier est traité jusqu'à faire l'objet d'une conclusion, que nous ayons obtenu un résultat positif ou non. Nous devons des comptes à ceux qui nous saisissent. Le Défenseur des droits n'est pas qu'une caisse de résonnance, mais doit servir à régler les problèmes.

Nous veillons à ce que les Français établis hors de France aient accès à nous : ils déposent entre 150 et 200 réclamations par an, généralement sur des questions fiscales, sociales ou familiales. Je leur ai affecté spécialement une déléguée, Mme Brigitte Bonnaud, qui peut être saisie en ligne ou par téléphone. Je compte aussi sur les parlementaires pour me signaler certains cas. Ai-je été saisi de celui que vous avez évoqué, madame Deromedi ?

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