Intervention de Olivier Schrameck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 mai 2016 à 14h30
Rapport d'activité du csa pour 2015 — Audition de M. Olivier Schrameck président du conseil supérieur de l'audiovisuel

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Vous avez lu comme moi les déclarations faites ce matin à la presse par M. Bolloré, avec, d'une part, son refus d'entrer dans des négociations de cession de cette chaîne et, d'autre part, les orientations nouvelles qu'il souhaite lui donner dans le nouveau contexte de concurrence plus intense entre chaînes d'information en continu.

J'en viens à la perspective de création d'une chaîne fédérant les efforts de l'audiovisuel public en matière d'information en continu. Je n'ai pas été surpris des récentes annonces à ce sujet : Mme Delphine Ernotte en avait en effet déjà fait mention dans son projet stratégique pour France Télévisions. Nous sommes sensibles au caractère fédérateur d'un tel projet. La mise en commun des ressources de l'audiovisuel public est en soi une bonne chose.

Le CSA a rendu un avis sur les modifications du cahier des charges de France Télévisions ; nous nous y félicitons de façon générale des dispositions à valeur réglementaire prises à ce sujet et notons en particulier qu'il n'était pas prévu de financements publicitaires, ce qui évitera de créer plus de concurrence sur un marché déjà tendu.

Pour le reste, il appartient au Gouvernement de présenter une demande à cette fin, ce qu'il n'a pas encore fait. Cette demande, selon le régime spécial prévu à l'article 23 de la loi du 30 septembre 1986, doit nous conduire à vérifier si le pluralisme et la diversité des opérateurs sont respectés par le projet ; en revanche, le CSA ne fera pas d'étude d'impact sur ses aspects économiques.

Quand nous recevrons ce dossier, nous l'examinerons dans des délais rapides. Sans anticiper sur les débats du collège, nous serons très attentifs à l'équilibre de la délibération sur les millièmes afin que les règles fondamentales qui les gouvernent soient respectées et non dégradées. Nous avons constitué dans cette perspective des multiplexes, déjà employés dans le régime de la TNT ; pour autant, nous ne savons pas encore quel régime sera demandé par le Gouvernement.

Nous restons également très attentifs aux règles relatives à la numérotation des chaînes. Nos principes cardinaux en la matière sont les suivants : objectivité, transparence et non-discrimination. Il est très important de les respecter, dans l'esprit de l'avis sollicité du CSA qui se retrouve dans l'amendement au projet de loi pour une République numérique déposé par M. Fouché, notamment, et adopté par votre assemblée, visant la combinaison des numérotations logique et spécifique que pratiquent en général les fournisseurs d'accès à internet, les FAI.

Nous avons été attentifs à d'autres aspects importants de l'audiovisuel public.

Le CSA a ainsi rendu un avis sur les modifications entraînées par la généralisation de la publicité sur Radio France ; nous avons fixé à cette occasion des limites très strictes. Nous nous félicitons que le Gouvernement nous ait suivis là-dessus, en particulier sur la durée des messages publicitaires et l'exclusion maintenue de la publicité sur certaines antennes. Des problèmes subsistent néanmoins quant aux contrôles qui seront faits des restrictions retenues : la charte adoptée par Radio France est assez sibylline à cet égard ; des modalités plus précises devraient être fixées. J'ai eu l'occasion d'aborder ce sujet avec M. Mathieu Gallet.

J'en viens au sujet, pour moi crucial, de la régulation à l'échelon européen.

Nous avons constaté dans plusieurs pays - Hongrie, Pologne, Croatie et Grèce - des problèmes de fonctionnement des collèges et des entorses au principe d'indépendance des régulateurs. Cela a suscité des prises de position du CSA et du groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels, l'ERGA. Ce dernier, désormais sous présidence néerlandaise, s'est exprimé à ce sujet le 11 janvier dernier puis à l'occasion de sa réunion plénière, le 3 mars ; il a encore publié un communiqué au sujet de la Croatie le 18 avril. C'est durant ma présidence qu'un groupe spécifiquement dédié à l'indépendance des régulateurs nationaux avait été organisé au sein de l'ERGA.

Une nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels, qui doit énoncer et préciser ces principes d'indépendance, fait aujourd'hui, conformément à nos voeux, l'objet d'une active préparation sous l'impulsion du commissaire européen à l'économie et à la société numériques Günther Oettinger. Nous espérons qu'un premier avant-projet pourra être rendu public à la fin de ce mois. À ce stade du travail en cours, certaines idées que nous avons inspirées dans les groupes de travail - indépendance des régulateurs, protection des mineurs, distribution des rôles avec intégration des intermédiaires numériques et, notamment, des plates-formes de distribution, et, à l'issue d'un vote positif, aujourd'hui même, répartition territoriale des compétences - nous semblent faire l'objet de beaucoup d'intérêt de la part de la Commission.

De nombreux sujets nouveaux sont également abordés dans ces discussions. Mme la ministre de la culture a mentionné à Cannes la perspective d'un pourcentage minimal de 20 % de production et d'exposition européennes à la charge des nouveaux acteurs que sont ces plates-formes. On peut encore citer d'autres directions prometteuses : l'extension du champ d'application de la directive aux plates-formes de partage vidéo ; de nouveaux services indépendamment des services linéaires et non linéaires classiques ; enfin, des règles quant aux taux d'investissement et de taxation dans les pays directement concernés, eu égard à leur public, par les groupes de télévision installés en dehors du territoire français.

Par ailleurs, l'ERGA, qui a été constitué le 4 mars 2014, devrait recevoir un statut officiel dans la directive comme groupe de coordination entre les régulateurs nationaux et la Commission.

Je me réjouis de ces évolutions. C'est en effet à cet échelon européen que les phénomènes de concentration et de concurrence doivent être maîtrisés.

Pour en venir, justement, à la question de la concentration, madame la présidente, nous nous félicitons du fait que de nouveaux groupes investissent dans le secteur audiovisuel, ce qui témoigne de son attractivité. Il faut évidemment veiller au maintien de la diversité et du pluralisme. Les études de droit et d'économie comparés que nous avons effectuées montrent toutefois que la France se situe dans la marge basse des pays européens en termes de concentration.

L'arrivée d'un nouveau bouquet dans le paysage audiovisuel français pose quant à elle des problèmes de numérotation très complexes, que nous étudions actuellement ; nous avons un délai d'un mois pour nous prononcer. Nous sommes avant tout attachés à ce que seule une numérotation thématique puisse, à titre principal, être substituée à la numérotation logique, et non pas une numérotation fondée sur la structuration des groupes économiques en présence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, deux réflexions pour conclure ce propos liminaire.

En premier lieu, cette année aura montré encore le caractère précieux et singulier de la double face du CSA, régulateur d'une part social et juridique, d'autre part économique. Son premier rôle est d'autant plus fort et entendu qu'il s'appuie sur un secteur actif et ouvert aux progrès économiques et technologiques. À l'inverse, le CSA vit son rôle de régulateur économique au service des valeurs et des principes dont vous lui avez confié la garde.

En second lieu, contrairement à ce que j'entends ici ou là, même si la plate-forme hertzienne reste importante - elle dessert 57 % de nos compatriotes -, la régulation conserve pleinement sa justification, quels que soient les supports de diffusion. Ceux-ci se renouvellent largement : on observe un foisonnement des offres de médias audiovisuels à la demande ou directement sur internet, faisant intervenir ces nouveaux acteurs que sont les plates-formes numériques. Une telle abondance fait apparaître de nouveaux enjeux qualitatifs - rareté et sélectivité -, car elle ne suffit pas à elle seule à garantir qualité et pluralisme. Il est d'autant plus important de promouvoir une diversité culturelle effective et, en particulier, les productions françaises et européennes. De même, pour ce qui est de l'information diffusée à foison sur internet, il faut maintenir la responsabilité des rédactions.

Le pluralisme et la protection du dynamisme culturel gardent tout leur sens dans l'abondance des contenus et la convergence entre réseaux : loin de n'être que la contrepartie d'une ressource rare, il s'agit d'une exigence sociale et nationale, profonde et astreignante.

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