Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 18 mai 2016 à 14h30
Transparence financière des entreprises à vocation internationale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, mes chers collègues, la proposition de loi que notre groupe soumet au débat a pour intitulé : « Assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale ». Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle !

Il a été dit lors des débats en commission des finances, la semaine dernière, que cette proposition était d’une actualité criante, chacun ayant en tête les révélations fracassantes des « Panama papers », début avril, mais aussi celles de l’affaire LuxLeaks, lorsque l’Europe, sidérée, découvrit l’ampleur de l’impact des rescrits fiscaux accordés par le Luxembourg à de nombreux groupes économiques internationaux.

Indéniablement, et plus particulièrement depuis la crise de 2007-2008, le sujet de la transparence est devenu incontournable dans le débat public. Un mouvement large se développe à travers le monde à cet égard, mouvement porté à l’origine par plusieurs organisations non gouvernementales, telles que le CCFD-Terre solidaire, Oxfam, Attac, le Secours catholique, de nombreux syndicats et plusieurs autres encore.

Cette disposition dite du « reporting pays par pays » est examinée avec sérieux par des instances internationales comme le G20, l’OCDE ou encore l’Union européenne. Si elle acquérait force de loi, cette revendication permettrait d’identifier une bonne partie des problèmes qui demeurent en matière de transparence fiscale et financière.

Les activités économiques, entendues au sens général, n’ont d’ailleurs rien à craindre d’une telle transparence. Que serait une concurrence libre et non faussée entre entreprises engagées dans une compétition sur leurs produits et leurs atouts si certaines continuaient de s’exempter de l’application de la règle commune, notamment en matière fiscale et financière ? Quand un joueur triche, c’est toute la partie qui est faussée. Sachez que nous prenons bien soin ici de distinguer le dirigeant de PME ou de TPE qui fraude de quelques milliers d’euros de TVA, même si c’est évidemment condamnable, et le groupe d’origine française à vocation internationale. Nous ne sommes pas dans la même dimension !

Le seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires que nous proposons correspond exactement au critère retenu par la Commission européenne pour définir une grande entreprise. À l’inverse, le seuil souvent évoqué de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires exclut de facto entre 85 % et 90 % des entreprises multinationales, selon un rapport publié l’an dernier par l’OCDE. Nous suggérons donc d’obliger les entreprises atteignant le seuil de 40 millions d’euros à rendre publiques les informations suivantes : les implantations dans chaque territoire ; la nature des activités et leur localisation géographique ; le chiffre d’affaires ; le nombre de salariés sur une base équivalent temps plein ; la valeur des actifs ; les ventes et achats ; le résultat d’exploitation avant impôt ; les impôts payés sur le résultat ; les subventions publiques éventuellement reçues.

Mes chers collègues, je vais tenter de vous convaincre en développant les arguments qui plaident en faveur d’une telle disposition. Il y va, bien sûr, de l’intérêt général. Notons d’ailleurs que dix régions françaises, sur vingt-deux à l’époque, avaient voté en 2011 des délibérations exigeant des banques avec lesquelles elles travaillaient de publier des informations pays par pays. Elles furent suivies dans la foulée par une vingtaine de municipalités.

À partir de 2013, la France s’est positionnée au niveau européen comme un pays leader sur le sujet – l’ancien maire de Londres, M. Boris Johnson, qualifierait sans doute la France de « nation de sans-culottes ». Nous avons été le premier pays européen à introduire cette obligation pour les établissements financiers dans la loi bancaire du 26 juillet 2013. Nous avons également été les premiers à jouer un rôle essentiel dans l’introduction d’une obligation analogue pour les banques européennes dans la directive CRD IV en juin 2013.

Nous notons malheureusement que la proposition de reporting pays par pays tout secteur mais non public, présentée par l’OCDE dans le cadre du plan BEPS – Base Erosion and Profit S hifting – et adoptée par le G20 d’Antalya, le 16 novembre 2015, n’a pas une portée suffisante. En effet, selon ce modèle, les informations demeurent confidentielles et ne sont échangées qu’entre administrations fiscales. À nos yeux, cette confidentialité nuit au principe même du reporting, pensé comme un instrument qui doit dissuader les entreprises multinationales de recourir à des montages complexes pour échapper à l’impôt, en permettant à toutes les parties prenantes d’avoir accès aux informations. Nous pensons d’ailleurs que de telles informations intéressent aussi les investisseurs et les salariés des groupes concernés. S’agissant des salariés, j’illustrerai cet intérêt par un exemple concret très connu et d’actualité.

Les députés européens se sont prononcés très largement en faveur d’un modèle de reporting pays par pays public, le 8 juillet dernier, dans le cadre de la discussion de la directive sur les droits des actionnaires. La Commission européenne, de son côté, a lancé une étude d’impact sur le reporting public après avoir convenu, en mars dernier, que plus de transparence était nécessaire. Dans ce contexte, la France pourrait envoyer un signal fort à la communauté internationale en soutenant la présente démarche.

Quels sont les arguments qui plaident en faveur de l’adoption de cette proposition de loi ? D’abord, comme je l’ai déjà dit, notre pays s’est déjà assez fortement engagé dans cette voie, pour l’instant avec les banques françaises et les industries extractives. Or nous n’avons pas constaté depuis lors un quelconque bouleversement dans ces secteurs d’activités. Ensuite, une étude réalisée par le cabinet PWC, en 2014, a montré que 59 % des P-DG des grandes entreprises étaient favorables à cette disposition.

Tout concourt aussi à montrer que les grands bénéficiaires de ce reporting public seraient les petites et moyennes entreprises, qui sont de fait désavantagées par rapport aux grands groupes et à leur capacité de transférer leurs bénéfices sous les tropiques, dans les paradis fiscaux. Voilà une vraie source d’injustice fiscale !

La publication de ces données aurait bien sûr un effet dissuasif, le risque d’atteinte à l’image étant toujours pris au sérieux. Un grand distributeur américain de café au Royaume-Uni en a fait les frais, voilà quelques années, à cause d’un boycott du public qui faisait suite aux révélations sur le faible niveau d’impôts payés par le groupe au fisc de Sa Majesté.

Cette publication faciliterait aussi le travail des administrations fiscales. Rappelons ici la suppression au sein des vingt-huit États de l’Union européenne de près de 57 000 postes d’inspecteurs des impôts et d’enquêteurs au sein des parquets financiers, au nom de l’austérité. Cette information a été donnée ce matin même par la procureur du Parquet national financier.

Il nous est parfois opposé l’argument du coût pour les entreprises. Or, d’après les services de la fiscalité et des douanes du Royaume-Uni, ce coût serait de l’ordre de 0, 2 million de livres annuellement pour les entreprises affectées par la mesure.

Par ailleurs, les informations demandées ne sont pas confidentielles et ne concernent pas le secret des affaires.

Enfin, nous voulons dire ici que, tant qu’un reporting pays par pays public permettant une véritable transparence ne sera pas adopté, des citoyens continueront à faire les frais de la confidentialité, à l’instar d’Antoine Deltour, le lanceur d’alerte de LuxLeaks, dont le procès vient de s’achever.

Mes chers collègues, comme je l’ai annoncé, je souhaiterais illustrer d’un exemple significatif les conséquences concrètes pour les salariés d’une grande multinationale de l’absence de transparence. Je veux ici parler du géant américain de la restauration rapide – McDonald’s, pour ne pas le nommer –, qui aime à se présenter en France comme un employeur socialement responsable et respectueux du droit fiscal du pays où il opère. La réalité sur le terrain ne donne pas exactement cette image.

McDonald’s a fait l’objet de deux enquêtes fiscales dans notre pays. La première a été lancée en 2014, sur l’initiative de Bercy, au motif que cette multinationale, faute de transparence, aurait soustrait une bonne partie de son chiffre d’affaires de ses obligations fiscales en France. Ainsi, plus de 2, 2 milliards d’euros auraient été transférés directement au Luxembourg et en Suisse sans que l’entreprise ait acquitté sur ces sommes le paiement de la TVA et de l’impôt sur les bénéfices. Il faut noter que la France est le pays le plus lésé dans cette affaire.

Cet exemple illustre de manière très claire l’intérêt des salariés, que j’évoquais précédemment, et plus précisément celui des 1 000 salariés des dix-huit restaurants McDonald’s de l’Ouest parisien. Le total des redevances versées au groupe atteint 19 % à 24 % du chiffre d’affaires des restaurants, essentiellement au titre des loyers des locaux et de l’utilisation de la marque. Tous les surplus remontent au siège et, ainsi, tous les restaurants se retrouvent artificiellement déficitaires, de sorte que l’entreprise ne paie pas d’impôt sur les sociétés et qu’aucun salarié ne touche de participation sur les bénéfices.

C’est donc une injustice à la fois pour les salariés et pour les contribuables que nous sommes tous. Si nous y ajoutons l’intérêt des investisseurs, cela fait beaucoup de « victimes ». La pertinence du reporting pays par pays apparaît ici de manière éclatante.

Mes chers collègues, je n’aurai pas l’outrecuidance de penser vous avoir tous convaincus au terme de cette intervention. Au moins ai-je eu l’occasion de sensibiliser notre assemblée aux enjeux essentiels de cette proposition de loi.

Le vote de ce jour pourra peut-être retarder le mouvement vers la transparence, mais en aucun cas l’arrêter, car l’aspiration de nos concitoyens à plus de transparence ne se démentira plus. C’est aussi une question de liberté, de démocratie et de défense des valeurs de notre République.

Pour conclure, je citerai l’écrivain algérien Yasmina Khadra : « N’est jamais seul celui qui marche vers la lumière. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion