Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 18 mai 2016 à 14h30
Transparence financière des entreprises à vocation internationale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale, qui a été déposée par Éric Bocquet et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen. Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une actualité marquée par des révélations et dans un contexte de réflexion internationale autour de la lutte contre les phénomènes d’évasion et d’optimisation fiscales.

Les récentes découvertes ont confirmé l’ampleur du phénomène et de ses coûts, non seulement pour les recettes fiscales, mais aussi pour le fonctionnement économique et démocratique de nos sociétés. À l’échelle de l’Union européenne, l’estimation du manque à gagner est comprise entre 50 milliards et 70 milliards d’euros par an. Les différences d’imposition sur les bénéfices qui en résultent contribuent de surcroît à fausser les conditions d’une égale concurrence entre entreprises.

Sous l’impulsion du G20, l’OCDE, par l’intermédiaire notamment de Pascal Saint-Amans, que nous avons auditionné le 9 mars dernier, a engagé une vaste réflexion sur la fiscalité. Parmi les quinze mesures soumises par l’OCDE dans le cadre du projet BEPS, l’action 13, qui traite des montages fiscaux d’optimisation, propose d’introduire une déclaration pays par pays standardisée afin d’améliorer la qualité des informations à disposition des administrations fiscales. Seules les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel consolidé supérieur ou égal à 750 millions d’euros y seraient soumises. Il est prévu que ces données demeurent confidentielles, mais que les administrations fiscales procèdent à un échange automatique des déclarations.

À la suite de ce projet, la Commission européenne a proposé le 28 janvier dernier un paquet de mesures contre l’évasion fiscale des entreprises visant notamment à transcrire les actions du projet BEPS dans le droit de l’Union européenne.

De son côté, la France avait anticipé cette transcription dès le vote de la loi de finances pour 2016, en introduisant un article dans le code général des impôts prescrivant la déclaration d’activités pays par pays selon les critères de BEPS. Les premières déclarations interviendront donc à partir de la fin de 2017.

Par ailleurs, en vertu de règles européennes, deux secteurs d’activités sont déjà soumis à une exigence de publicité des déclarations d’activités. Il s’agit des établissements bancaires et des industries extractives. Toutefois, la portée de ces exemples est limitée pour deux raisons : d’une part, le recul fait encore défaut pour en dresser un premier bilan ; d’autre part, il s’agit de deux secteurs d’activités très spécifiques, dont il est peu aisé de tirer des conclusions générales.

Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2016 et du projet de loi de finances rectificative pour 2015, des voix s’étaient élevées en faveur de déclarations d’activités publiques étendues aux autres secteurs d’activités. Des amendements en ce sens avaient été adoptés par l’Assemblée nationale, puis supprimés par le Sénat ; nos collègues députés nous ont finalement suivis.

Dans le cadre de son contrôle sur l’article de la loi de finances pour 2016 introduisant les déclarations d’activités fiscales, le Conseil constitutionnel a écarté le grief fondé sur la violation du principe de la liberté d’entreprendre. Dans la motivation de sa décision, le Conseil constitutionnel a relevé que les informations fournies ne pouvaient être rendues publiques. Un doute existe donc sur la constitutionnalité d’un dispositif de déclarations publiques.

Par ailleurs, un changement majeur est intervenu depuis le dépôt de cette proposition de loi. Le 12 avril dernier, la Commission européenne a rendu publique une proposition visant à introduire des déclarations publiques d’activités pays par pays. L’extension et le contenu de ces déclarations se fondent sur une analyse d’impact conduite au cours du second semestre de 2015. Le seuil retenu reprend les propositions de BEPS, à savoir un chiffre d’affaires annuel consolidé supérieur ou égal à 750 millions d’euros.

Le texte que nous examinons se distingue doublement de cette proposition.

D’une part, il diffère de la proposition européenne par les conditions retenues pour déterminer les entreprises soumises à l’obligation de déclaration. En particulier, le seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, bien inférieur aux 750 millions d’euros proposés par la Commission européenne, englobe un trop grand nombre d’entreprises.

D’autre part, le contenu des informations se rapproche des données retenues dans les déclarations à destination des administrations fiscales. Leurs objectifs différents ne sont donc pas suffisamment pris en considération. Aussi, j’estime qu’il convient de ne pas adopter ces deux articles.

Cette proposition de rejet est d’abord motivée par des raisons techniques. Comme je viens de l’indiquer, les conditions de seuil prévues par le texte pour assujettir les entreprises à l’obligation déclarative sont, à mes yeux, trop basses. Elles rompent ainsi avec le consensus international élaboré par l’OCDE. Il s’ensuit donc des contraintes supplémentaires pour des entreprises françaises d’envergure plus modeste et une instabilité juridique préjudiciable au climat économique. En outre, les données dont la publication est prévue peuvent toucher à la stratégie propre des entreprises. Or je crains qu’avant d’être lues par la société civile ces déclarations ne soient avant tout analysées par les concurrents.

Cette proposition de rejet est ensuite motivée par des raisons d’opportunité. Le contexte a évolué depuis le dépôt de la proposition de loi en février dernier, avec l’initiative de la Commission européenne du 12 avril. Or, compte tenu des risques en termes de compétitivité pour nos entreprises, la réflexion et le débat autour de l’introduction de déclarations d’activités publiques ne peuvent se faire qu’à l’échelle européenne.

À cette occasion, je tiens à mettre en lumière les enjeux entourant la mise en place des déclarations d’activités, tant fiscales que publiques.

En voulant appréhender sur le plan fiscal les activités du secteur numérique d’entreprises souvent étrangères, le risque est de porter atteinte aux secteurs traditionnels, qui font notre force économique.

En basant l’imposition sur la consommation, le risque est de négliger l’importance de la conception et de la production. En effet, monsieur Bocquet, ce qui est valable pour les fast-foods pourrait l’être pour les parfums ou les sacs de luxe produits par l’industrie française. On peut appliquer le même type de raisonnement : les pôles de consommation se trouvent désormais dans les pays émergents, alors que la conception demeure majoritairement localisée dans les pays avancés, dont la France. Cette évolution fondamentale des principes fiscaux internationaux entraîne un risque majeur à moyen et long terme pour nos finances publiques.

De plus, je suis sensible au problème de réciprocité posé par l’extension des déclarations d’activités. La France étant le quatrième pays au monde en termes de localisation de sièges de grandes entreprises multinationales et le premier en Europe, l’extension des déclarations d’activités pays par pays, fiscales comme publiques, conduirait notre pays à divulguer un nombre d’informations plus important que d’autres pays. Il s’agit d’un enjeu que le législateur doit prendre en compte et qui mérite, à tout le moins, une étude d’impact précise, française et européenne, avant toute intervention.

En conséquence, mes chers collègues, je vous demande de ne pas adopter les deux articles de cette proposition de loi.

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