Intervention de Thierry Foucaud

Réunion du 18 mai 2016 à 14h30
Transparence financière des entreprises à vocation internationale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Thierry FoucaudThierry Foucaud :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je dois avouer que je me suis interrogé devant la position adoptée, au nom de la majorité de la commission des finances, par notre collègue Philippe Dominati, rapporteur de la proposition de loi déposée par les membres de mon groupe, et que j’ai cosignée. Je me suis notamment interrogé sur le sens que notre collègue rapporteur donne à l’initiative parlementaire puisqu’il nous invite, au terme de son rapport, à ne pas adopter un texte pour des motifs techniques et d’opportunité. Le mettre en œuvre, vient-il de dire il y a quelques instants, ce serait imposer une charge nouvelle aux entreprises, au moment même où la concurrence internationale ferait rage et où l’heure serait plutôt à la relance de la compétitivité de notre économie.

Premier problème : la cible est présumée trop large et couvrirait 5 000 entreprises et 5, 2 millions de salariés. Cinq mille entreprises dans un pays qui en compte plus ou moins trois millions et demie, chacun mesure à quel point le caractère intrusif de notre proposition est attesté… Or que nous ayons des éléments sur ces 5 000 entreprises est d’importance pour notre économie, car c’est au sein de cet échantillon que figurent nos leaders, nos champions, les valeurs vedettes du CAC 40 comme des autres indices boursiers, les Oscars de l’exportation et les sociétés en développement ainsi que, accessoirement, une bonne part des filiales françaises de bien des groupes étrangers.

En fait, au-delà de la nécessaire transparence fiscale, c’est pour constituer un véritable outil de suivi de notre économie, de nos industries, de nos établissements financiers que nous avons besoin de ce reporting comptable.

Cela étant posé, il convient aujourd’hui de préciser que des entreprises qui réalisent 40 millions d’euros de chiffre d’affaires correspondent parfaitement à la définition de la grande entreprise selon la Commission européenne – mon ami Éric Bocquet a eu raison de rappeler que ce seuil avait quelque sens ! Pour mieux situer les choses, je ne peux manquer de citer ici un point de vue publié jeudi par Mme Pervenche Berès, présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen, au sujet de la fameuse recommandation de la Commission sur le reporting, dont le rapport Dominati fait état : « Les eurodéputés socialistes et radicaux sont depuis longtemps mobilisés pour mettre fin à la fraude et l’évasion fiscales, notamment en bataillant pour un reporting comptable pays par pays public.

« Aujourd’hui, un pas a été franchi ; le rapport Rosati est une modification de la directive de coopération administrative, texte qui prévoit l’échange automatique et obligatoire d’informations entre les administrations des États membres, et vise à imposer aux multinationales la déclaration, pays par pays et aux administrations fiscales uniquement, de leurs principales informations fiscales : nature de l’activité, nombre d’employés, chiffre d’affaires, profits avant impôts, total des impôts dus, impôt sur les sociétés acquitté, etc.

« C’est un premier pas que nous saluons.

« Ensuite, il y a la question du seuil : ce reporting pays par pays ne s’appliquera qu’aux multinationales réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel net. » Je tiens à souligner ce passage à l’attention de M. le secrétaire d'État, qui vient de nous parler des seuils.

« Ce seuil exempte de facto 90 % des multinationales. Nous avons en ce sens déposé un amendement visant à l’abaisser à 40 millions d’euros, seuil qui correspond à la définition d’une “grande entreprise” dans la loi européenne. »

Ceci explique cela ! Eh oui, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, cela correspond à la définition de la grande entreprise pour la loi européenne ! Car 40 millions d’euros, cela fait tout de même plus ou moins 265 millions de francs « d’avant » et cela représente des entreprises comptant entre 200 et 500 salariés au minimum, selon les secteurs d’activité, la productivité ou la valeur ajoutée créée. Notez d’ailleurs que nous avons également retenu un seuil de 250 salariés parmi les critères d’éligibilité à l’application de notre proposition de loi.

Nous sommes donc loin – très loin ! –, monsieur le rapporteur, des entreprises qui seraient, selon vous, avec notre proposition de loi, confrontées à des charges administratives insurmontables, comme vous venez de le souligner. Cet argument est dépourvu de fondement dans le cas qui nous préoccupe aujourd'hui. En effet, et pour en finir avec l’argutie technique, je veux citer un point clé : tous les éléments dont nous sollicitons le report et la publicité figurent dans le rapport annuel de n’importe quelle entreprise rédigé par n’importe quel commissaire aux comptes assermenté. C’est donc fou ce que nous allons briser comme secret, alors même que nombre des éléments sont déjà publics ou publiés, mais sous une autre forme !

Deuxième problème que vous venez d’invoquer : le secret des affaires, sur lequel vous vous fondez pour démontrer l’inopportunité de la proposition de loi. C’est presque faire de l’optimisation fiscale, sinon de la fraude, un secret industriel !

Malgré les réticences du Gouvernement, depuis la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, les banques font du reporting. Il existe même des rapports annuels, publiés par les plus grandes entreprises, dans lesquels on parle de « responsabilité sociale et environnementale ». Il y a des chefs d’entreprise qui ont de l’éthique et un certain nombre de très grands groupes participent à la Global Reporting Initiative, qui complète les rapports « responsabilité sociale et environnementale » de plus en plus pratiqués, y compris par les PME candidates aux marchés publics, par exemple. Et la France, dès 2001, lors de la discussion de la loi sur les nouvelles régulations économiques, puis, lors de l’examen des deux lois « Grenelle de l’environnement », s’est positionnée en pionnière de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises !

En proposant de ne pas retenir les termes pourtant simples et explicites de notre texte, que craint-on véritablement dans cette affaire ? La fraude fiscale n’est-elle pas la principale manifestation de la déloyauté de la concurrence entre les entreprises, celles qui trichent profitant de l’honnêteté de celles qui paient ? Celles qui veulent faire toujours plus d’argent génèrent ainsi chômage et dysfonctionnement, car, la fraude fiscale, c’est moins d’argent pour nos hôpitaux, nos écoles et nos services publics !

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