Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe CRC traite d’un sujet ô combien d’actualité : la transparence financière et fiscale des multinationales.
Je commencerai par rappeler quelques chiffres, car ils sont souvent plus éloquents qu’un long discours.
L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, a calculé que les activités d’optimisation fiscale représentent, à l’échelle de l’Union européenne, un manque à gagner de 50 milliards à 70 milliards d’euros chaque année. À titre de comparaison, en 2015, le déficit public de la France s’élevait à 77, 4 milliards d’euros, soit 3, 5 % du PIB. Le manque à gagner pour la France représente un montant difficile à chiffrer précisément, mais il est estimé à plusieurs milliards d’euros par an. Si nous parvenions à éliminer la fraude et l’optimisation fiscales, nous pourrions certainement atteindre le fameux objectif d’un déficit inférieur à 3 % du PIB.
Ces considérations montrent à quel point la lutte contre la fraude fiscale est un enjeu important, non seulement pour les finances publiques, mais aussi pour la cohésion de la société dans son ensemble. L’optimisation fiscale est à la fois injuste socialement et nuisible économiquement.
Elle est injuste socialement, car elle conduit à déplacer l’effort de contribution publique vers les autres agents économiques, comme les ménages ou les petites et moyennes entreprises, ce qui est contraire au principe d’égalité devant l’impôt affirmé à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Elle est nuisible économiquement, car elle fausse la concurrence entre les entreprises qui peuvent y avoir recours et les autres.
La présente proposition de loi prévoit de modifier deux articles du code de commerce de manière à obliger les sociétés au-dessus de certains seuils d’activité à publier des informations pays par pays : la localisation de leurs implantations, la nature de leurs activités, leur chiffre d’affaires, le nombre de leurs salariés, la valeur de leurs actifs, les subventions qu’elles peuvent éventuellement recevoir, leurs ventes et achats, leur résultat d’exploitation et, surtout, le montant d’impôt sur le bénéfice qu’elles acquittent. Cela concerne les sociétés cotées ou celles qui remplissent au moins deux des critères suivants : plus de 20 millions d’euros de bilan, plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 250 salariés.
Par ailleurs, le texte prévoit d’élargir à « toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir » le droit de former un recours auprès du tribunal de commerce pour demander la publication des comptes de l’entreprise concernée.
Si je ne peux que souscrire au principe d’obliger les entreprises internationalisées à une véritable transparence vis-à-vis de l’administration fiscale – les révélations dites des « Panama papers » sont venues, s’il en était besoin, nous le rappeler –, j’émets cependant des réserves sur les seuils retenus, sur l’idée d’une publicité absolue et, enfin, sur l’opportunité d’une loi nationale.
Le seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires semble trop bas. On engloberait ainsi nombre de PME et d’entreprises de taille intermédiaire, qui sont de forts pourvoyeurs d’activité et d’emploi, en particulier en dehors des grands centres urbains. Ne grevons pas la compétitivité de nos PME avec des contraintes administratives supplémentaires !
La publicité complète des comptes fait également débat. Comme cela a été souligné en commission, elle peut conduire à la divulgation d’informations sensibles sur les stratégies de développement des entreprises. Gardons à l’esprit que les entreprises françaises doivent affronter une concurrence internationale féroce. Nous devons préserver un environnement favorable à la bonne marche de leurs affaires. La discrétion en fait partie.
Enfin, force est de reconnaître qu’une action au seul niveau national dans le contexte actuel aurait peu de chance d’être efficace. La Commission européenne a d’ores et déjà fait des propositions en ce sens dans le projet de directive contre l’évasion fiscale et de modernisation de la coopération entre les administrations des États membres. Il semble donc plus opportun d’accompagner la mise en place du cadre européen plutôt que de mettre la France en porte-à-faux vis-à-vis de ses partenaires.
Il est vrai que l’obligation de transparence fiscale s’applique déjà aux banques et aux entreprises du secteur minier. Pourquoi ne pas envisager alors de l’étendre prioritairement aux multinationales américaines du numérique, qui échappent largement à l’impôt chez nous alors qu’elles y réalisent des bénéfices spectaculaires ? Avant de s’attaquer à nos fleurons nationaux, ne devrait-on pas se préoccuper de taxer Google, Amazon, Apple ou Airbnb à leur juste niveau ?
Ces remarques faites, vous comprendrez, chers collègues, que si le groupe du RDSE partage à l’unanimité le principe et l’objectif de cette proposition de loi, il n’en approuve pas, dans sa grande majorité, les dispositions qui y sont préconisées.