Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 18 mai 2016 à 14h30
Transparence financière des entreprises à vocation internationale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’irai à l’essentiel, car beaucoup de choses ont déjà été dites par M. le rapporteur, par M. le secrétaire d’État et par notre collègue Éric Bocquet sur notre volonté à tous de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. La commission des finances a encore ce matin effectué des auditions à ce sujet.

Nous avons tous en tête les récentes révélations des « Panama papers » et celles liées aux scandales SwissLeaks et LuxLeaks. On pourrait malheureusement citer d’autres affaires… Derrière cette litanie se dessine un constat commun : nos systèmes fiscaux sont vulnérables à certaines pratiques financières mises en œuvre par des groupes internationaux, et pas seulement par des personnes isolées. Ces pratiques frauduleuses sont considérables et induisent d’importants déséquilibres économiques, la fraude fiscale représentant sans doute un manque à gagner de près de 80 milliards d’euros.

Au-delà de l’aspect strictement financier, comme cela a été fort bien rappelé, la fraude et l’évasion fiscales mettent en cause une certaine idée de la justice et de la solidarité.

On sait que la première réponse qui est apportée est évidemment la coopération internationale, la coopération fiscale, la coopération entre administrations. Sous l’impulsion de l’OCDE notamment, le programme BEPS a été adopté. L’Union européenne, quant à elle, a pris des engagements et publié un premier paquet de mesures contre l’évasion fiscale. M. le secrétaire d’État nous a d’ailleurs indiqué que la future directive serait transposée dans le projet de loi dit « Sapin II ».

Le Sénat a bien souvent pris des initiatives, de manière positive. À cet égard, la commission d’enquête animée par nos collègues Bocquet et Dominati, à laquelle a activement participé Nathalie Goulet au nom du groupe UDI-UC, a été un élément déterminant.

Ce débat est utile. Toutefois, si nous sommes d’accord sur l’objectif du texte proposé par le groupe CRC, nous divergeons sur la méthode pour l’atteindre.

Schématiquement, il existe deux familles juridiques de moyens pour lutter contre la fraude : les techniques d’échanges d’informations entre États, où l’administration joue un rôle déterminant, et les techniques dites de « reporting » et d’affichage public, où c’est finalement au citoyen d’être vigilant et de sanctionner les pratiques frauduleuses, notamment celles des grands groupes, en boycottant leurs produits.

Dès le G20 de Londres, les principaux pays occidentaux ont fait le choix de promouvoir les techniques de l’échange d’informations entre administrations fiscales, de la coopération internationale et de la sanction administrative ou judiciaire coordonnée. Cette méthode a donné des résultats, mais il faudra sans doute aller plus loin. Les échanges automatiques de données fiscales entre États se multiplient et de nombreux pays, qui étaient auparavant connus pour leurs pratiques douteuses et leur secret bancaire, ont fini par capituler et se sont engagés à échanger automatiquement leurs données. Le produit de la lutte contre la fraude fiscale a ainsi fortement progressé en France depuis 2009. M. le secrétaire d’État a rappelé utilement que l’administration fiscale française était vigilante sur ce point. Nous ne sommes cependant pas au bout du chemin.

Un certain nombre de conventions, conçues sur le modèle standard de l’OCDE, ont également été conclues. Elles favorisent l’échange d’informations. Ainsi, la collaboration internationale oblige les gouvernements à trancher et à révéler leurs préférences. Peu d’États assumant publiquement leur souhait de jouer les passagers clandestins de l’évasion fiscale, le nombre de ceux qui refusent d’échanger les informations a tendance à être désormais un peu plus limité.

Je comprends l’impatience de l’opinion publique et de certains de nos collègues face à ce qui peut apparaître comme de la lenteur, il faut bien l’avouer, dans les prises de décisions des instances internationales et européennes, ce sentiment étant parfois renforcé par le délai de transposition de ces dispositifs dans les législations nationales. De ce point de vue, l’engagement pris par M. le secrétaire d’État d’essayer de transposer rapidement dans le projet de loi Sapin II la directive européenne est un point positif.

Le reporting pays par pays est en revanche une technique plus délicate d’emploi me semble-t-il. Cette méthode présente plusieurs inconvénients, qui ont été rappelés par un certain nombre de collègues. J’y reviens rapidement.

Le premier est son caractère antiéconomique. M. le secrétaire d’État a abordé la question constitutionnelle, ainsi que M. le rapporteur, avec des arguments fouillés. Je n’y reviens pas, mais c’est en effet un élément très important. Quant au seuil proposé par nos collègues du groupe CRC, cela a été dit, il paraît effectivement assez bas.

Autre inconvénient : la technique du reporting ne semble pas avoir fait la preuve de son efficacité. La voie qui a déjà été engagée, celle de la coopération internationale, des échanges d’informations et de la coopération fiscale, paraît plus fructueuse.

Il ne faut pas oublier un certain nombre de situations monopolistiques auxquelles il faudrait s’attaquer. Nos concitoyens ne cesseront sans doute pas facilement d’utiliser des iPhones, de passer des commandes sur Amazon ou de consulter Google du seul fait qu’ils connaîtront la situation fiscale de ces entreprises.

Nous réaffirmons notre objectif de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, mais nous ne partageons pas les moyens proposés dans cette proposition de loi. En conséquence, le groupe UDI-UC ne la votera pas.

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