Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale. En tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je suis particulièrement heureuse de pouvoir m’exprimer sur ce texte.
Les conséquences de la crise financière et économique qui secoue notre économie de marché depuis 2008 ont conduit de nombreux États, dont ceux de l’Union européenne, à se saisir de la problématique de l’optimisation fiscale. C’est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Éric Bocquet. Il faut dire que certains grands groupes, particulièrement bien organisés, ont fait de ce sujet un axe de développement majeur sur lequel repose leur bonne santé financière.
Entre optimisation fiscale et fraude fiscale, vous le savez, mes chers collègues, la frontière est ténue. Le rôle du législateur est donc d’éviter, autant que faire se peut, une trop grande perméabilité entre les deux. En effet, pour les artisans, pour les petites, voire les très petites entreprises françaises, l’optimisation fiscale n’est pas un sujet. Pour ces professionnels, il n’y a pas ou peu de juristes ou de services financiers en mesure de contourner habilement la législation en vigueur. Il est déjà tellement difficile pour les chefs d’entreprise d’être certains que leurs déclarations sont conformes aux règles, lesquelles sont modifiées dans chaque projet de loi de finances, que l’optimisation fiscale reste réservée aux seuls grands groupes.
Au fil des mois, des trimestres, des bilans, le poids des charges, qu’elles soient patronales ou salariales, est tel que, pour ces entrepreneurs, la seule question qui vaille est : « Combien de temps vais-je tenir ? » Il faut dire que les petites entreprises ne peuvent pas exercer de chantage à l’emploi, chaque structure ne comptant qu’un, deux ou trois salariés. Cela étant dit, mis bout à bout, ce tissu économique reste structurant pour nos territoires et son maintien est essentiel, notamment en zone rurale.
Dans le monde de l’artisanat, il n’existe pas de phénomène d’érosion de la base d’imposition ni de transfert des bénéfices vers d’autres États. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous féliciter de l’augmentation des informations disponibles sur les bénéfices et les activités des multinationales, car cela devrait permettre un meilleur contrôle de l’administration fiscale et, par conséquent, une meilleure répartition de l’effort de contribution publique. Pour autant, serons-nous en mesure de corriger efficacement les pertes de recettes fiscales, dont le montant pour l’Union européenne oscille chaque année entre 50 milliards et 70 milliards d’euros ? L’accélération de la mondialisation, l’essor du secteur tertiaire, notamment du numérique, nous conduisent à nous interroger sur le principe de l’égalité devant l’impôt et sur sa territorialité.
À vouloir être exemplaire et laver plus blanc que blanc, ne risque-t-on pas d’être contre-productif ? L’évasion et la concurrence fiscales se jouant à l’échelle mondiale, la France ne doit pas vouloir être trop vertueuse, faute de quoi elle sera pénalisée. C’est alors dans d’autre pays que les multinationales choisiront d’implanter leurs activités.
La Commission européenne a récemment proposé une directive visant à lutter contre l’évasion fiscale, laquelle prévoit des mesures juridiquement contraignantes pour briser les mécanismes d’évasion fiscale. Elle a également élaboré une stratégie extérieure visant à renforcer la coopération avec les partenaires internationaux. C’est pourquoi l’établissement en France d’un seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ferait considérablement augmenter le nombre d’entreprises concernées et pourrait, dans certains cas, exposer inutilement les entreprises à la concurrence et faire peser une menace sur l’emploi. Je tiens d’ailleurs à féliciter notre collègue Philippe Dominati, rapporteur, pour l’excellent travail de fond qu’il a réalisé sur un sujet qu’il connaît bien.
Enfin, comme vous le savez, il existe actuellement une incertitude juridique sur la constitutionnalité du dispositif national de publicité des déclarations.
Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi.