La remise d’un récépissé permettrait aussi de les protéger et de leur donner un cadre mieux délimité dans leur mission afin qu’ils s’emploient par ailleurs plus efficacement à leur travail d’enquête.
Mais, comme chacun le sait, la politique du chiffre n’est pas de leur fait. Le principe d’efficacité de la police, entériné par Nicolas Sarkozy, est parvenu à faire de nos anciens « gardiens de la paix » des « forces de l’ordre » : changement sémantique particulièrement éloquent et révélateur de la désincarnation de notre police et de la tentative d’instrumentalisation de leur travail à des fins politiques.
À ce sujet, je vous invite à lire La force de l’ordre, sous-titrée Une anthropologie de la police des quartiers, de Didier Fassin, qui est par ailleurs professeur de sciences sociales. Loin des imaginaires que nourrissent le cinéma et les séries télévisées, il raconte le désœuvrement et l’ennui des patrouilles, la pression du chiffre et les doutes sur le métier, les formes invisibles de violence et les manifestations méconnues de discriminations. Inscrivant ces pratiques policières dans les politiques qui les rendent possibles, il montre qu’elles visent à protéger moins la sécurité de nos concitoyens qu’un certain ordre social.
Face à ces constats, il apparaît urgent de rétablir une sécurité juridique et une utilisation efficace de ces contrôles en modifiant l’article 78-2 du code de procédure pénale. L’imprécision de sa rédaction actuelle favorise des dérives, limite l’efficacité de toute autre mesure et contribue aux violations graves et répétées des droits fondamentaux, comme la liberté de circulation, la protection contre l’arbitraire, la protection de la vie privée ou encore la non-discrimination.
C’est là l’essentiel de notre proposition de loi : remplacer les mots « raisons plausibles de soupçonner » par les mots « raisons objectives et individualisées ». Il s’agirait là d’un changement de paradigme incontestable : insuffler un nouveau sens à ces contrôles, changer les mentalités et, dans l’idéal et dans la continuité de notre proposition de loi, revoir la formation des agents de police.
Par ailleurs, nous souhaitons également l’introduction, qui pourrait apparaître comme évidente, de la non-discrimination dans les motifs de contrôles, au sens de l’article 225-1 du code pénal, qui définit la notion de « discrimination ».
Enfin, nous proposons qu’une mesure, qui a fait la preuve de son efficacité, fasse l’objet d’une expérimentation sur le territoire, au titre de l’article 37-1 de la Constitution, c'est-à-dire la remise d’un document spécifiant le motif du contrôle, ainsi que les modalités de garantie de l’anonymat des personnes contrôlées.
En réponse aux « nombreuses difficultés juridiques » et aux « conséquences particulièrement dommageables pour l’ordre public » dont serait porteuse notre proposition de loi, aucune autre alternative n’a été proposée, aucune amélioration ou réécriture n’a été faite par M. le rapporteur, dont l’argumentation s’est cantonnée à des éléments juridiques purement techniques. Mais personne n’est dupe, mes chers collègues, le juridique sert le politique et non l’inverse !
En feignant de ne pas comprendre ce que signifient les « raisons objectives et individualisées », vous avez, aussi simplement que faussement, assimilé notre proposition de loi à une suppression des dispositifs de contrôle d’identité nécessaires, ce que nous pourrions qualifier de « mauvaise foi ».
Ce discrédit, ce mépris à notre endroit, mais aussi et surtout à l’endroit des associations et des acteurs de terrain qui travaillent au quotidien sur le sujet, sont particulièrement regrettables, sans pour autant être étonnants, compte tenu du climat ambiant. L’ère de la suspicion est bien entamée comme en attestent les dernières lois sécuritaires et inégalitaires, telles celles qui concernent la sécurité dans les transports, ou encore la criminalité organisée et le terrorisme, pour lesquelles nous avions également suggéré, par voie d’amendements, les modifications législatives que porte la présente proposition de loi. Or ces amendements considérés comme peu sérieux par les temps qui courent ont été balayés d’un revers de main.
Dans la droite ligne de la politique pénale de M. Sarkozy, le Gouvernement s’enferme dans une politique du tout-sécuritaire dont il ne recherche même plus l’issue ; au contraire, il persiste et signe, faisant fi des engagements chimériques du candidat François Hollande. Mais, comme nous l’a fait remarquer M. Bigot en commission des lois, nous les avons sans doute mal lus, comme d’autres textes, d'ailleurs, que nous aurions mal lus. L’engagement n° 30 nous semblait pourtant clair : « Lutter contre le “délit de faciès” lors des contrôles d’identité avec une nouvelle procédure respectueuse des citoyens. »
Une circulaire contre les « délits de faciès » lors des contrôles devait être envoyée avant le 29 juin 2012, selon l’agenda du changement. Si nous étions positifs, nous parlerions de retard, mais nous ne sommes pas naïfs : cet engagement, comme celui concernant, par exemple, le droit de vote pour les résidents étrangers, ne sera tout bonnement pas respecté.
L’attitude de nos collègues socialistes nous étonne, d’autant plus lorsqu’un de nos collègues centristes, M. Pozzo di Borgo, propose, en dehors de toute posture politique, d’améliorer la situation par son amendement.
Toutefois, sans même parler de promesses, il est un article de la Constitution qui semble plus perméable à la sagacité du Gouvernement. Il s’agit du tout premier, qui garantit que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Nous ne nous faisons pas d’illusions sur le devenir de cette proposition de loi au sein de cet hémicycle, les échanges en commission des lois ayant déjà été édifiants ; mais nous sommes convaincus que cette initiative, qui dépasse déjà les murs du Parlement, aboutira tôt ou tard à de réelles évolutions vers plus d’égalité. Cela ne fait aucun doute. Là où la société civile décide de lever l’omerta, les politiques et les idéologies en place sont bousculées et finissent par faiblir.
Avec cette proposition de loi, nous accompagnons et nous soutenons un mouvement bien plus large. Il est encore temps, mes chers collègues, de le rejoindre !