Celle-ci entend en effet modifier l’article 78-2 du code de procédure pénale, dans un sens qui nous paraît à la fois inutile et problématique, raisons pour lesquelles le Gouvernement s’oppose résolument à l’adoption de ce texte.
En premier lieu, la proposition de loi vise, au premier alinéa de l’article 78-2, à remplacer la notion de « raisons plausibles de soupçonner » par celle de « raisons objectives et individualisées » pour justifier le déclenchement de procédures de contrôle d’identité. Or, en réalité, cette modification n’apporterait aucune garantie supplémentaire en termes de protection des libertés individuelles.
En effet, je rappelle que le cas de contrôle actuellement prévu par le code de procédure pénale permet précisément de relever l’identité de toute personne à l’égard de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausibles » de soupçonner, soit qu’elle a déjà commis ou tenté de commettre une infraction, soit qu’elle s’y prépare, soit qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête en cas de crime ou de délit, soit qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par l’autorité judiciaire.
Ce motif de contrôle est donc fondé d’une façon tout à fait légale sur des soupçons, lesquels ne peuvent reposer que sur des éléments objectifs constatés à partir du comportement de la personne concernée – sa fuite, par exemple, ou bien la dissimulation d’objets lors d’une intervention de police – ou de son apparence – j’entends par là sa ressemblance avec la photographie d’une fiche de recherche ou avec un signalement. J’ajoute que le policier ou le gendarme qui procède à un tel contrôle a le devoir de faire état, de manière systématique et précise, des éléments apparents qui l’ont motivé et d’en préciser la raison, notamment dans le procès-verbal d’interpellation.
Bien évidemment, le contrôle d’identité n’est pas et ne peut pas être subordonné à la certitude qu’une infraction sera commise, auquel cas il serait tout simplement inutile. Il tombe sous le sens que, en cas de délit flagrant, la mission des forces de l’ordre consiste à interpeller l’auteur de l’infraction, et non pas à procéder à son contrôle d’identité. Par conséquent, la notion de « raisons plausibles », telle qu’elle est définie par le code de procédure pénale et appliquée par les forces de l’ordre, repose déjà, sans la moindre ambiguïté, sur des éléments « objectifs et individualisés ». Il apparaît donc parfaitement inutile de procéder à la modification prévue par la proposition de loi.
Cette modification n’est pas seulement inutile, elle est aussi potentiellement dangereuse. La rédaction actuelle, en insistant sur la notion de soupçon, garantit en effet le principe de présomption d’innocence. C’est précisément la raison pour laquelle le législateur l’a retenue dans la loi du 4 mars 2002 visant à renforcer la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, en mettant notre droit en conformité avec la convention européenne des droits de l’homme, notamment son article 5.1. Initialement, l’objectif était d’ailleurs, grâce à cette notion de « raisons plausibles de soupçonner », de mieux encadrer le régime de la garde à vue.
Par conséquent, il s’agit là d’une garantie importante, qui protège le citoyen. Une nouvelle terminologie, qui ne présenterait aucun équivalent dans le code de procédure pénale ni aucun lien avec la convention européenne des droits de l’homme, prendrait le risque d’engendrer une réelle insécurité juridique, particulièrement préjudiciable à nos concitoyens.
En deuxième lieu, la proposition de loi avancée par le groupe CRC entend supprimer purement et simplement plusieurs cas de contrôle d’identité, privant ainsi les forces de l’ordre de moyens d’accomplir leurs missions de protection des Français. Le Gouvernement ne peut évidemment accepter une telle entrave à l’action des policiers et des gendarmes, qui plus est dans le contexte de menace terroriste particulièrement élevée que nous connaissons aujourd’hui.
Les contrôles concernés par une telle suppression relèveraient de trois catégories.
Tout d’abord, seraient supprimés les contrôles sur réquisitions écrites du parquet, qui sont les plus fréquents et qui sont diligentés pour rechercher des infractions précisément identifiées, dans les lieux et pour la durée déterminés par le parquet lui-même. Ces procédures sont donc généralement ordonnées après le constat d’infractions commises fréquemment ou bien sur le fondement de renseignements transmis au parquet laissant supposer que la commission d’une infraction est probable. Il serait tout à fait paradoxal de supprimer un tel cas de figure, lequel se déroule sur l’initiative et sous le contrôle de l’autorité judiciaire, qui veille naturellement à empêcher tout abus éventuel.
Ensuite, seraient également supprimés les contrôles destinés à prévenir une atteinte à l’ordre public, qui sont déclenchés par les forces de l’ordre sur le fondement de circonstances particulières. Ces dernières reposent sur des éléments objectifs permettant de présumer l’existence d’une menace pour l’ordre public, soit que les lieux où se déroulent les contrôles connaissent régulièrement des actes de délinquance, soit que les circonstances dans lesquelles ils sont déclenchés présentent des risques spécifiques pour la sécurité des personnes ou des biens. Je pense particulièrement aux rassemblements lors d’événements sportifs, du type Euro 2016, mais aussi à des concerts drainant un public important ou encore à des manifestations d’ampleur. Je pense également aux abords des bâtiments sensibles dès lors que le plan Vigipirate de niveau écarlate a été déclenché.
Il est donc indispensable, mesdames, messieurs les sénateurs, que les forces de l’ordre puissent effectuer de tels contrôles, notamment en cas de risques terroristes élevés et dans les circonstances que je viens de décrire.
Enfin, si la proposition de loi était adoptée, les contrôles dans les zones frontalières seraient eux aussi rendus impossibles, alors qu’ils constituent un moyen efficace de lutte contre la criminalité transfrontalière. Ces contrôles, je le rappelle, peuvent notamment être mis en œuvre dans la bande des vingt kilomètres de part et d’autre des frontières terrestres internes à l’espace Schengen ou bien dans les zones accessibles au public des gares, des ports et des aéroports ouverts au trafic international. Les supprimer ne pourrait que nuire à l’efficacité de notre action contre les réseaux de passeurs et de traite des êtres humains, contre les filières de contrebande, les trafics d’armes et de stupéfiants, mais aussi contre les réseaux terroristes.
De manière générale, la suppression de ces différents types de contrôles d’identité nous affaiblirait gravement, en réduisant le spectre des moyens dont disposent aujourd’hui les forces de l’ordre pour lutter contre les formes de criminalité, y compris les plus violentes, qui sont susceptibles de frapper notre territoire et nos concitoyens.
En troisième lieu, la proposition de loi prévoit l’instauration d’un récépissé de contrôle d’identité dans les cas qui n’auraient pas fait l’objet d’une suppression. Le Gouvernement comprend la logique qui préside à la promotion d’une telle mesure et respecte ceux qui la défendent. Néanmoins, je veux être claire, comme l’est Bernard Cazeneuve, comme l’a été avant lui le Premier ministre Manuel Valls lorsqu’il était lui-même ministre de l’intérieur.
L’adoption d’une procédure de récépissé, dont je remarque d’ailleurs qu’elle est très peu développée à l’étranger, notamment chez nos voisins européens, ne constitue pas une réponse efficace aux risques de contrôles discriminatoires. Au contraire, elle présente d’importants inconvénients, dans la mesure où elle impliquerait la mise en place d’un système excessivement bureaucratique et lourd à gérer sur le plan procédural. Elle compliquerait ainsi de manière déraisonnable le travail sur le terrain des forces de l’ordre, qui sont déjà soumises à des contraintes procédurales particulièrement fortes. Elle entrerait également en contradiction avec la logique de simplification et de rationalisation qui prévaut aujourd’hui dans l’action des policiers et des gendarmes au service de la population, avec le risque que cette action devienne moins efficace.
Néanmoins, ce n’est pas parce que le Gouvernement s’est opposé et continue de s’opposer à l’adoption du récépissé qu’il est resté inactif pour lutter contre les « délits de faciès » et pour promouvoir des procédures de contrôle d’identité parfaitement respectueuses de l’ensemble des citoyens. C’était là un engagement fort du Président de la République et, depuis 2012, nous avons fait beaucoup. Nous avons mené un travail particulièrement approfondi pour que cet engagement soit tenu, et nous en sommes fiers.
Pour lutter efficacement contre l’insécurité et la délinquance, nous avons en effet besoin que les Français et leurs forces de l’ordre entretiennent des liens de confiance réciproque, fondés sur la proximité et sur le respect mutuel. Le Gouvernement en est profondément convaincu. C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai dit, les policiers et les gendarmes doivent travailler dans un cadre déontologique très strict et adopter un comportement absolument irréprochable dans l’accomplissement de leurs missions, quelle qu’en soit la difficulté. C’est là une contrainte forte, nous en sommes tous conscients, mais ces femmes et ces hommes sont des professionnels, et le professionnalisme, la retenue, la maîtrise constituent à la fois leur bouclier et leur boussole. Des forces de l’ordre exemplaires sont à la fois mieux respectées et plus efficaces.
Un nouveau code de déontologie, commun à la police et à la gendarmerie, est ainsi entré en vigueur en janvier 2014. Il a permis de moderniser et de compléter les règles qui s’appliquaient déjà aux forces de l’ordre. Depuis lors, et pour la première fois dans notre pays, le déroulement concret des contrôles d’identité est juridiquement encadré, notamment les palpations de sécurité.