Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 18 mai 2016 à 14h30
Contrôles d'identité abusifs — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les contrôles d’identité sont nécessaires : ils font partie des moyens accordés à la police et la justice pour protéger les Français. Pour autant, ils doivent être encadrés et les abus sanctionnés. Ces abus existent, il ne faut pas le nier. Tout pouvoir est susceptible d’entraîner des abus…

Madame Assassi, vous citez dans l’exposé des motifs de la proposition de loi les cinq arrêts de la cour d’appel de Paris condamnant l’État en raison de contrôles abusifs. Ces arrêts, qui font actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation, sont éloquents sur certaines pratiques : les témoignages indiquent par exemple que, lorsque les personnes contrôlées cherchent à connaître les raisons de leur contrôle, les policiers répondent généralement : « C’est la vie ! »

Les arrêts relèvent que les contrôles étaient nécessaires et qu’il n’y a pas lieu de les remettre en cause, mais que « l’autorité publique ne peut démontrer en quoi le contrôle systématique et exclusif d’un type de population, en raison de la couleur de sa peau ou de son origine, tel qu’il a été relaté par le témoin, était justifié par des circonstances précises et particulières ».

Oui, des abus existent, et il faut les combattre ! En 2014, le Défenseur des droits a rédigé sur le sujet un excellent rapport, très complet, sur lequel je reviendrai. Le ministre de l’intérieur s’en est saisi, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, pour faire en sorte que l’on puisse lutter contre ces abus. Vous venez de décrire à l’instant les solutions qui ont été mises en œuvre. Je vais d’ailleurs les reprendre pour essayer de vous convaincre, mes chers collègues, que, si le problème soulevé par la proposition de loi existe, la réponse qu’elle apporte n’est pas la bonne.

Tout d’abord, les dispositions de l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui font l’objet d’une abondante jurisprudence, fonctionnent, même si l’on peut toujours penser qu’un texte peut toujours être complété.

Ensuite, le nouveau code de déontologie, partie intégrante du code de la sécurité intérieure, est fondamental. L’article R. 434-14 rappelle aux policiers que leur relation avec la population doit être « empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement ». Or le récépissé ne permettra pas de vérifier si la personne a été tutoyée ou vouvoyée. L’article R. 434-16, en vigueur depuis le 1er janvier 2014, dispose, pour sa part, que, « lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle ». Le code de la sécurité intérieure prévoit ainsi très clairement, à l’article R. 434-27, que le manquement aux principes définis par le code de déontologie expose le policier ou le gendarme à une sanction disciplinaire.

Il vaut mieux, me semble-t-il, que ces sanctions disciplinaires puissent être mises en œuvre sur l’initiative de la hiérarchie, plutôt que des associations soient obligées de saisir les juridictions pour obtenir des dommages et intérêts, comme ce fut le cas dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de la cour d’appel de Paris. C’est le travail qu’il faut mener, et je remercie M. le ministre de l’avoir initié. Reste que nous allons encore plus loin puisque ce code de déontologie s’accompagne d’efforts de formation. Le Défenseur des droits, dans le rapport dont il a transmis ce matin une synthèse aux membres de la commission des lois, indique bien qu'il évoque ces droits des citoyens, si importants, devant les élèves gendarmes et les policiers en formation.

Par ailleurs, en application de l’arrêté du 24 décembre 2013, le policier, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, doit avoir un numéro d’identification individuel clairement visible, qui permet ensuite d’étayer les plaintes.

En outre, comme vous l’avez précisé, monsieur le rapporteur, l’article 32 du projet de loi que nous devrions adopter dans peu de temps, puisque nous sommes parvenus à un accord en CMP, permettra aux policiers d’être équipés de caméras mobiles au moment où ils effectueront le contrôle. Pour ma part, je regrette qu’un amendement proposé par le groupe socialiste, qui permettait aussi de déclencher ces caméras à la demande de la personne contrôlée, n’ait pas été adopté. Peut-être y viendrons-nous un jour…

Enfin, vous avez également évoqué, madame la secrétaire d’État, la plate-forme de signalement IGPN, mise en œuvre par arrêté du 9 mai 2014. Aujourd’hui, les signalements effectués à cette plate-forme restent sans doute encore trop peu nombreux par rapport aux incidents qui peuvent exister. Encourageons nos concitoyens à l’utiliser pour permettre la mise en œuvre effective du code de déontologie. C’est ainsi qu’il faut agir et c’est ainsi que le ministre de l’intérieur souhaite que l’on agisse, respectant ainsi les engagements du Président de la République sur le respect des procédures – ces arrêtés relatifs à la déontologie et à la discipline des forces de l’ordre relèvent aussi de la procédure.

Venons-en maintenant aux solutions qui sont proposées dans votre texte, madame Assassi. L’article 1er de la proposition de loi apporte trois réponses.

La première est de modifier le texte de l’article 78-2 du code de procédure pénale, en remplaçant les mots « raisons plausibles de soupçonner » par les mots « raisons objectives et individualisées ».

Cette formulation me paraît très complexe à appliquer et risque de susciter des contentieux, alors que la jurisprudence, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme, s’est stabilisée sur la notion de « raisons plausibles ». De plus, si les raisons deviennent véritablement individualisées, c’est que l’on a reconnu l’individu. Dans ce cas, il n’est pas forcément utile de contrôler son identité… Personne ne peut donc vraiment comprendre l’intérêt de cette modification.

La deuxième réponse, à savoir la suppression des alinéas 6 à 14 de l’article 78-2, me paraît plus incompréhensible encore. Les contrôles sur réquisitions du parquet, les contrôles destinés à prévenir une atteinte à l’ordre public et les contrôles dans les zones frontalières seraient purement et simplement supprimés. La protection de la société, ce que tous nos concitoyens réclament et attendent de l’État, serait donc de facto empêchée.

La troisième réponse – vous avez vous-même reconnu en commission des lois, madame Assassi, que ce n’était sans doute pas la plus fondamentale – concerne le fameux récépissé. J’ai envie de vous renvoyer à l’excellent rapport du Défenseur des droits de 2014, qui analyse cette question et distingue cinq types de récépissés : de la remise d’un document à la personne contrôlée jusqu’à l’attestation nominative contrôlée.

La remise d’un document, c’est en quelque sorte le ticket de contrôle ou la carte de visite. Or le matricule me semble suffisant. Faut-il maintenant demander aux policiers d’avoir sur eux des cartes de visite et de les distribuer comme des VRP ?

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