Intervention de Yves Perardel

Commission d'enquête Chiffres du chômage — Réunion du 19 mai 2016 : 1ère réunion
Audition de M. Yves Perardel économétricien à l'organisation internationale du travail oit

Yves Perardel, économétricien à l'Organisation internationale du travail :

Nous disposons de différentes sources officielles de statistiques sur le marché du travail. Quatre d'entre elles peuvent en particulier nous intéresser : le recensement général de la population et des logements ; les enquêtes effectuées auprès des ménages sur la main-d'oeuvre ainsi que sur les revenus et les dépenses des ménages ; les recensements et enquêtes auprès des entreprises et établissements ; enfin, les registres administratifs.

Le recensement général n'est plus une source de statistiques en matière d'emploi pour la France ou, plus largement, les pays de l'Union européenne, mais il reste la seule source disponible pour une soixantaine de pays. Il a lieu en général tous les dix ans ou par rotation de manière annuelle. Son avantage est qu'il couvre tous les habitants : il s'agit d'une enquête exhaustive. En revanche, son coût est très élevé et sa périodicité très faible. Les questions relatives au travail sont en général très limitées, car le questionnaire est court.

L'enquête auprès de la main-d'oeuvre est ce qu'on appelle habituellement en France l'« enquête emploi ». Dans la plupart des pays, elle a lieu chaque trimestre ; seule une quinzaine de pays la publie chaque mois. L'avantage de cette enquête est que le questionnaire et la méthodologie employés se concentrent sur les problématiques d'emploi ; en particulier, tous les indicateurs clés peuvent être mesurés. Son coût est nettement inférieur à celui d'un recensement et sa périodicité beaucoup plus élevée. En revanche, l'échantillon interrogé est non pas exhaustif mais uniquement représentatif de la population. Tous les pays de l'Union européenne utilisent pour cette enquête, effectuée à un rythme trimestriel, un questionnaire harmonisé par Eurostat, ce qui permet la comparabilité des résultats.

Le registre administratif, tel, en France, celui qui est tenu par Pôle Emploi, ne présente quant à lui pas de problèmes d'échantillonnage puisqu'il s'agit d'un registre exhaustif de la population concernée. Ses données sont publiées plus rapidement et plus fréquemment que pour les enquêtes auprès de la main-d'oeuvre. En revanche, il dépend uniquement du cadre législatif défini par chaque État : les comparaisons entre les pays sont donc impossibles. Par ailleurs, il n'offre pas de dénominateur : on compte le nombre de chômeurs inscrits sans pouvoir calculer le taux de chômage, en l'absence de données sur la population active. Tous les autres chiffres relatifs au marché du travail - le taux de sous-emploi, par exemple - ne peuvent pas non plus être mesurés.

Enfin, les enquêtes auprès des entreprises et des établissements permettent d'apprendre le nombre de postes vacants disponibles au moment de l'enquête ; cette donnée est généralement calculée en équivalent temps plein. Cela permet de mesurer la demande de main-d'oeuvre alors que les autres sources mesurent l'offre. Les établissements non déclarés, dont le nombre est souvent très important dans les pays en développement, ne peuvent en revanche être pris en compte. Par ailleurs, comme pour l'enquête auprès de la main-d'oeuvre, l'échantillon étudié est représentatif et non pas exhaustif.

Aucune source de données ne peut donc à elle seule répondre à tous les besoins. Un système intégré de statistiques du travail doit reposer sur leur combinaison. Les données du recensement permettent ainsi de faire des évaluations comparatives et d'élaborer des bases de sondage pour les enquêtes ultérieures. Les données issues des enquêtes servent aux estimations intercensitaires et au suivi des tendances à court terme ; elles permettent en outre d'évaluer le sous-enregistrement dans les sources administratives, qui sont quant à elles utiles par leur fréquence et leur rapidité d'obtention. Les données issues des registres administratifs ne représentent qu'une fraction de ce que peut nous apprendre l'enquête emploi.

La définition actuelle du chômage a été adoptée par la treizième Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) en octobre 1982. La CIST rassemble, tous les cinq ans, des statisticiens du travail de tous les pays membres de l'OIT, actuellement au nombre de 187. Les statisticiens invités proviennent des instituts nationaux de statistique, tel en France l'Insee, et des ministères couvrant le domaine du travail et de l'emploi. Des représentants des syndicats d'employeurs et de travailleurs sont également conviés.

Les personnes au chômage, suivant cette définition, sont des personnes en âge de travailler - en général de 15 à 74 ans - qui remplissent trois critères.

Tout d'abord, ces personnes doivent être sans travail durant la semaine de référence : elles n'ont pas d'emploi rémunéré ou ne travaillent pas comme indépendant pour une durée minimale d'une heure.

Ensuite, elles sont disponibles pour travailler, c'est-à-dire pour commencer un emploi rémunéré ou indépendant au cours des deux semaines suivant la semaine de référence.

Enfin, elles sont en recherche active d'un travail : elles ont pris des mesures spécifiques, dans la période de quatre semaines se terminant avec la semaine de référence, pour chercher un emploi rémunéré ou indépendant, ou elles ont trouvé un emploi commençant dans les trois mois suivants.

Cette définition a été adoptée par tous les États membres de l'OIT. Ainsi, elle permet d'obtenir des chiffres comparables, si tant est que les questionnaires employés dans chaque pays permettent de mesurer ces trois critères.

Le nombre de chômeurs inscrits sur des registres administratifs dépend du cadre législatif national, qui varie de manière importante selon les pays.

En général, les trois critères du BIT sont appliqués. Néanmoins, des différences peuvent apparaître sur plusieurs points. Parfois, le critère d'une heure travaillée dans la semaine de référence peut être assoupli, ce qui permet, par exemple en France, de distinguer certaines catégories de demandeurs d'emploi.

Quant au critère de disponibilité, des personnes malades, qui ne sont donc pas disponibles, vont être prises en compte dans les registres administratifs de nombreux pays. À l'inverse, certains pays demandent une disponibilité à temps complet, ce qui n'est pas le cas de la définition internationale.

Pour ce qui est du critère de recherche active, certains pays demandent des preuves de cette recherche pour maintenir les personnes concernées sur le registre. De plus, certains pays imposent de prendre un emploi trouvé par le service public d'emploi.

Enfin, contrairement à la définition internationale, les chômeurs inscrits doivent s'enregistrer auprès du service public d'emploi. Si les personnes concernées voient un bénéfice potentiel à s'inscrire - aide pratique et personnalisée à la recherche d'emploi, indemnité financière -, la majorité d'entre elles s'inscrira. Ce n'est pourtant pas toujours le cas, notamment dans les pays dépourvus d'un système d'indemnisation des chômeurs.

Les registres de chômeurs inscrits sont parfois plus restrictifs que la définition internationale du chômage. Cela est particulièrement vrai dans les cas suivants.

Les jeunes, tout d'abord, sont souvent exclus des registres, car ils n'ont pas encore exercé d'emploi ou ils sont encore étudiants.

Certaines personnes plus âgées peuvent quant à elle être au chômage selon la définition internationale alors que, ayant atteint l'âge officiel de la retraite dans leur pays, elles sont automatiquement exclues du registre des chômeurs.

Par ailleurs, les personnes en recherche d'un emploi à temps partiel - moins de 20 heures par semaine - sont parfois exclues du registre.

Enfin, dans certains pays, seules les personnes ayant le droit de recevoir une indemnité financière sont conservées dans les registres de chômeurs inscrits. Toute personne n'ayant droit à aucune indemnité sera automatiquement exclue du nombre total. Cela réduit souvent considérablement le nombre de personnes inscrites.

À l'inverse, la définition internationale du chômage est parfois plus restrictive que le registre national. C'est le cas pour les personnes travaillant à temps partiel, qui sont souvent comptées dans les registres alors que la définition internationale les exclut dès la première heure de travail hebdomadaire effectuée. C'est aussi le cas, dans certains pays, des personnes dont la rémunération est inférieure à un seuil, qu'on autorise alors à s'inscrire au registre des chômeurs.

Je peux vous montrer un tableau qui compare, pour un ensemble de pays, le nombre de chômeurs inscrits sur leurs registres et celui qui a été calculé selon les normes internationales à partir des enquêtes auprès de la main-d'oeuvre. Le ratio entre ces deux nombres varie considérablement d'un pays à l'autre. Dans certains, tels la France ou l'Islande, les deux nombres sont du même ordre de grandeur. Comparons à présent l'Autriche et la Macédoine : ces deux pays ont un nombre comparable de chômeurs suivant la définition de l'OIT, environ 250 000 personnes. En revanche, le nombre de chômeurs inscrits sur leur registre varie du simple au triple : le nombre de chômeurs inscrits sur les registres autrichiens dépasse les 380 000, alors que les registres macédoniens ne comptent que 125 000 chômeurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion