Intervention de Corinne Imbert

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 mai 2016 à 9h10
Améliorer l'accès aux droits et lutter contre la fraude sociale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, rapporteure :

La proposition de loi visant à améliorer l'accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale a été déposée le 21 octobre 2015 par Éric Doligé et soixante-treize de ses collègues, dont de nombreux membres de notre commission.

Les sujets abordés par ce texte rejoignent les préoccupations de beaucoup d'entre nous, confrontés, dans leur département, à un effet de ciseau entre des besoins sociaux croissants et la raréfaction des ressources disponibles mais aussi à un questionnement de plus en plus exigeant, de la part de nos concitoyens, sur l'effectivité et l'efficacité de la solidarité nationale.

Dans ce contexte, la question du juste droit est plus que jamais pertinente.

Composée de 18 articles, dont deux relatifs à l'entrée en vigueur du texte et au gage, la proposition de loi porte principalement sur le revenu de solidarité active (9 articles) et sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales (7 articles dont un relatif à la carte d'assurance maladie biométrique). Elle s'inscrit dans un environnement en pleine mutation, sur fond de négociations entre l'État et les départements en vue de la nationalisation de tout ou partie du financement du RSA et des annonces faites par le Premier ministre, à la suite de la remise du rapport du député Christophe Sirugue, d'une réforme des minima sociaux à l'horizon 2018.

La lutte contre la fraude, cela m'a été confirmé lors des auditions, est une préoccupation relativement nouvelle pour les départements. Tous sont encore loin de mettre en oeuvre les possibilités qui leur sont offertes, notamment en matière d'accès à certaines bases de données. Cela tient au fait que les caisses d'allocations familiales se sont chargées de cette mission et que la pression sur les ressources était peut-être moins forte, mais aussi à une forme de tabou sur ces questions, au vu de la fragilité des publics concernés.

Nous souhaitons par conséquent renforcer la lutte contre la fraude pour garantir les droits des plus fragiles, en préservant non seulement la soutenabilité financière des dispositifs, mais aussi la cohésion et le soutien de la population envers les politiques de solidarité.

Or, le RSA est la prestation la plus fraudée : 166 millions sur les 248 millions de fraude identifiés en 2015. Cela tient à son caractère déclaratif : les demandeurs déclarent leurs ressources, parfois de façon incomplète, ou ne déclarent pas toujours une vie de couple.

Certains des points abordés par le texte ont un caractère technique ; d'autres, comme le conditionnement du RSA au respect des valeurs de la République ou sa contrepartie sous forme d'heures d'intérêt général, ne manqueront pas de susciter des débats tranchés.

La proposition de loi porte tout d'abord de trois à douze mois la condition de résidence en France pour les étrangers communautaires. Ce débat traverse actuellement tous les États membres : le Royaume-Uni vient de passer à cinq ans minimum de résidence pour les prestations non contributives et le Parlement allemand devrait examiner un projet de loi pour porter cette durée à quatre ans.

Le texte exige ensuite, comme c'est le cas pour d'autres prestations, que la demande soit complète. Il élargit l'analyse de la situation du bénéficiaire aux biens et aux avoirs détenus à l'étranger, aux revenus du capital des dirigeants d'entreprise et au livre-journal tenu par les micro-entrepreneurs. Pour les travailleurs indépendants, il limite le bénéfice du RSA à la première année d'activité.

La procédure de suspension et de radiation des droits est également revue, le non-respect des valeurs de la République et le refus d'effectuer des heures d'intérêt général étant désormais des motifs de suspension. Lorsque la suspension intervient, le texte prévoit que le bénéficiaire présente ses observations a posteriori et non a priori. Après une radiation, la proposition de loi instaure un délai de six mois avant la présentation d'une nouvelle demande. Si cela fait suite à une suspension de l'allocation pour cause de non-respect des valeurs de la République, le texte prévoit la possibilité d'une radiation définitive.

Dans un second temps, la proposition de loi affirme la place du conseil départemental au sein du dispositif de lutte anti-fraude et enrichit les prérogatives des comités départementaux anti-fraude, les Codaf. Elle renforce les échanges d'informations entre les départements et leurs différents partenaires (organismes sociaux, administrations fiscales) mais prévoit aussi la possibilité d'obtenir des informations de la part d'entreprises de services, publics ou privés. Elle donne au conseil départemental la possibilité de mettre en place une cellule de contrôle composée d'agents aux pouvoirs renforcés.

Pour améliorer le recouvrement des produits de la fraude, le texte aménage la procédure de flagrance sociale qui ouvre la voie à des mesures de saisie conservatoires. Il met en place, dans le domaine de l'assurance maladie, une carte vitale biométrique et préfigure un système d'information global et partagé dans le domaine social. Il renforce enfin les sanctions susceptibles d'être prononcées en cas de fraude.

J'en viens aux principes qui ont guidé mon travail : ce texte étant examiné dans le cadre d'un espace réservé, j'ai bien évidemment travaillé en étroite collaboration avec son auteur. Bien que profondément remanié sur la forme, le texte que je vous soumets s'inscrit pleinement dans l'esprit de la proposition de loi d'origine et préserve, tout en les aménageant parfois, ses principaux marqueurs.

Les auditions que j'ai conduites, souvent avec la participation de notre collègue René-Paul Savary, ont donné lieu à des discussions sur l'opportunité et la faisabilité des heures d'intérêt général. Pour ma part, je ne crois pas illégitime qu'une personne bénéficiant de la solidarité nationale et de la solidarité départementale s'engage en retour au bénéfice de la collectivité ; ce faisant, elle sort d'un certain isolement social et, en reprenant une activité, s'intègre dans la société, valorise sa démarche citoyenne et développe ses compétences afin de retrouver le chemin du marché du travail. Un tel dispositif a été expérimenté jusqu'en 2012 avec les contrats de sept heures, puis récemment relancé avec les initiatives prises, dans des registres différents, dans les départements du Haut-Rhin à travers une obligation d'engagement bénévole et de la Nièvre avec des incitations au bénévolat.

La difficulté de cette orientation tient tout d'abord à la diversité des publics de bénéficiaires du RSA. Certains ne sont pas en mesure de se conformer à une telle obligation, qu'ils soient très éloignés de l'insertion sociale, parents de jeunes enfants confrontés à des problèmes de garde ou en recherche active d'emploi. Pour les départements, le principal obstacle est l'identification des activités concernées. Même le secteur dit hors-marchand peut être concurrentiel et laisse peu d'espace aux bénéficiaires du RSA. De plus, le coût d'encadrement est élevé. C'est pourquoi une telle obligation ne m'a semblé gérable ni pour les bénéficiaires, ni pour les départements.

Aucun de mes interlocuteurs n'a en revanche contesté la nécessité de lutter contre la fraude aux allocations. Louis Gallois, président de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), l'a certes relativisée au regard d'autres types de fraude et a souligné, ce que nous pouvons comprendre, que cette mission ne relevait pas des associations d'insertion. Il semble toutefois que, même si l'efficacité de la lutte anti-fraude peut encore être améliorée, nous touchions aux limites du modèle déclaratif tel qu'il a été conçu pour le RSA.

Avec un objectif de juste droit, il me semblerait plus efficace de mettre en place un système d'échanges de données entre les organismes de sécurité sociale, Pôle Emploi et l'administration fiscale leur donnant vision claire de la situation des demandeurs avant de leur attribuer le RSA. Seul un tel système clorait le débat entre accès au droit et lutte antifraude, qui sont les deux aspects du juste droit. Je vous proposerai d'acter sa mise en place qui, selon le directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), est possible sous certaines conditions.

L'architecture de la proposition de loi qui prévoyait parfois plusieurs rédactions concurrentes me conduira à vous proposer de modifier chacun des articles.

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