Intervention de Isabelle Kocher

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 mai 2016 à 9h00
Audition de Mme Isabelle Kocher directeur général d'engie

Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie :

Je vous remercie de votre accueil et constate que votre connaissance du sujet vous a d'ores et déjà permis de résumer l'essentiel. Votre invitation me donne l'occasion de dire d'abord un mot du secteur dans lequel nous évoluons - en faisant ressortir la singularité du cas français - avant de vous présenter les principales orientations stratégiques de notre groupe.

Engie, qui est présent dans 70 pays, vit dans un monde qui connait une véritable révolution industrielle, et le mot de transition énergétique parait bien trop faible pour caractériser les transformations profondes qui sont à l'oeuvre, non seulement dans les structures économiques mais aussi et surtout dans les esprits. Nous avons connu dans l'histoire beaucoup de défis régionaux : par exemple, dans le secteur de l'eau, un enfant meurt dans le monde toutes les 18 secondes en buvant de l'eau insalubre. Pour autant cela n'a pas entraîné de mobilisation planétaire des moyens scientifiques et financiers pour résoudre ce problème spécifique à certaines régions du monde, tandis que le changement climatique concerne tout le monde et suscite, en particulier chez les jeunes générations, une sorte de rébellion pour faire évoluer nos modes de vie. Je rappelle que 5 % du carburant d'un véhicule sert à transporter le passager, tout le reste étant consommé pour faire avancer le véhicule ainsi que les places vides et - autre exemple - que 50 % de l'énergie diffusée dans les bâtiments est perdue.

Il s'agit donc d'une invitation à repenser notre modèle et, selon notre analyse, l'énergie et le numérique sont les deux poumons de cette recherche d'une autre voie car ces deux secteurs ont connu un rythme d'innovations qui ne cesse de s'accélérer depuis 10 ans. Je citerai plusieurs illustrations de ce phénomène. Tout d'abord, dans le photovoltaïque, les prix extrêmement onéreux de production qui atteignaient, il y a quelques années 700 euros le mégawatt-heure (MWh) ont été divisés par dix en France. En Amérique du Sud, nous avons remporté un appel d'offres pour produire à 45 dollars le MWh et nous venons de candidater dans le Moyen-Orient, où les prix sont tombés à 30 dollars. Nous estimons que le solaire est un point de bascule fondamental pour trois raisons : ce réservoir d'énergie est d'abord sans limite - en physique pure, une heure d'ensoleillement représente une année de consommation d'énergie dans le monde ; elle est ensuite répandue partout, certes de manière inégale, et enfin la technologie photovoltaïque s'adapte aux objets et à des formats très variés de petite ou très grande puissance. Pour que cette évolution réussisse, il faut, en premier lieu, améliorer les possibilités de stockage. Dans ce domaine, l'évolution est moins rapide puisqu'en cinq ans, le coût des batteries a été divisé par deux. Nous sommes très attentifs à l'utilisation de l'hydrogène qui permet de stocker l'excès d'électricité par électrolyse et d'optimiser la gestion de l'énergie solaire. Cet ensemble ne fonctionnera que si on développe massivement les objets connectés afin de coupler la production, la consommation ou l'économie d'énergie et le stockage au niveau local. Tout ceci préfigure une infrastructure duale de l'énergie avec le maintien de grands réseaux mais aussi un foisonnement de production d'énergies décentralisées et intégrées aux objets.

Nous allons vers un monde différent où chacun aura accès à l'énergie, alors qu'aujourd'hui plus d'un milliard de personnes en sont privées, tout en respectant les grands équilibres de la planète. Du côté de l'offre, cette évolution sera surtout positive pour les acteurs qui s'adapteront à ce nouveau schéma. Les opportunités d'investissement sont immenses mais la transition n'est pas simple à gérer.

J'en viens à la situation d'Engie qui a décidé d'être un pionnier de cette révolution énergétique à la fois par conviction et par réalisme. Notre approche est triple. La première ligne d'action est d'être parfaitement cohérent du point de vue industriel : nous avons ainsi décidé de stopper la production d'électricité à partir du charbon pour focaliser nos moyens humains et financiers sur les secteurs d'avenir. Dans les trois années qui viennent nous allons transformer notre portefeuille d'activité en cédant 15 milliards d'euros d'actifs, en particulier des centrales de production à partir du charbon, du pétrole ou du gaz, partout où elles sont exposées aux fluctuations des prix de l'énergie. Nous allons reconvertir ces moyens en investissant 15 milliards d'euros pour permettre à nos activités, au terme de ces trois ans, d'être focalisées à 90 % sur des énergies bas carbone ; dans le même temps, 7 milliards d'euros seront alloués à la maintenance de nos usines. Avec ces 22 milliards d'euros d'investissements, Engie aura doublé la taille de ses productions décentralisées. Je fais observer que notre groupe, qui, selon l'idée reçue, apparaît comme un opérateur centré sur de très grandes unités de production emploie, en réalité, deux tiers de ses 150 000 collaborateurs dans les services. Nous allons également nous immuniser des fluctuations des prix de l'énergie : l'objectif est qu'en 2018 85 % de notre résultat d'exploitation ne dépende pas de ces variations. Aujourd'hui, les prix de l'électricité, du gaz et du pétrole sont directeurs et cela complique le pilotage du groupe. Il s'agit donc de privilégier des modèles d'affaires contractés ou régulés dans lesquels notre réussite dépendra de notre seule performance économique.

Notre deuxième orientation consiste à accélérer notre transformation technologique. Pour la mettre en oeuvre, nos actionnaires ont accepté une diminution du dividende d'un tiers afin d'investir massivement à cinq et dix ans, à hauteur d'1,5 milliard d'euros, dans le digital orienté vers la transition énergétique. Nous sommes en train de créer « Engie Tech », c'est-à-dire une plateforme permettant de développer un éco-système de partenaires et abritant une usine de production de logiciels qui sera au centre de nos activités.

Enfin, notre troisième orientation vise à adapter la structure du groupe, voire même à changer sa culture tant la gestion d'un foisonnement d'installations très locales, en lien direct avec des clients qui souhaitent désormais être aussi des acteurs, diffère du modèle passé des grandes centrales. Tout cela implique un immense changement en interne afin que la communauté de nos collaborateurs porte cette nouvelle configuration. Un certain nombre d'entre eux devront changer de métier et nous consacrerons 100 millions d'euros par an à la formation pour gérer cette « bascule ».

Je termine ici mon exposé liminaire pour pouvoir évoquer, dans le jeu des questions-réponses, la situation particulière de la France dans ce schéma stratégique.

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