Intervention de Isabelle Kocher

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 mai 2016 à 9h00
Audition de Mme Isabelle Kocher directeur général d'engie

Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie :

Commençons par le nucléaire.

Engie est un opérateur important en Belgique. Nous possédons sept réacteurs datant des années 70 et 80, et tous sont en fonctionnement. Deux tranches ont été arrêtées pendant 18 mois, car nous avions découvert une inclusion anormale d'hydrogène dans l'acier des cuves. Nous avons réuni des experts, qui ont conclu que cette inclusion était apparue au moment du refroidissement du métal lors de la formation des cuves. A la même époque, des problèmes, bien que de nature différente, étaient également rencontrés à Tricastin. Le fabricant des cuves a livré de nombreux opérateurs. Nous sommes les seuls - et j'insiste sur ce point - à avoir arrêté les centrales le temps de mener les études, et à avoir attendu les résultats de l'autorité de sûreté belge avant de relancer la production. C'est un gage du sérieux d'Engie et de la fiabilité de nos infrastructures.

Par ailleurs, trois de nos réacteurs viennent de voir leur autorisation de fonctionnement renouvelée pour dix ans. Nous avons déjà lancé les investissements nécessaires à ce prolongement pour une des tranches, et nous ferons de même pour les deux autres dès lors que le cadre économique et régulatoire dans lequel se feront les investissements aura été adopté par le Parlement belge. Cela devrait intervenir d'ici au 31 juillet.

Le nucléaire est une technologie très sûre, de grande qualité, et l'investissement pour le prolongement de cette filière est donc tout-à-fait sensé ! Il est d'ailleurs marginal au vu du coût, pour le consommateur, de l'énergie produite. En attendant une nouvelle tranche technologique, il faut savoir cultiver ses points forts historiques. Le nucléaire continuera donc à faire partie de notre mix.

Quant au nucléaire neuf, nous avons deux projets au Royaume-Uni et en Turquie, mais ils n'en sont qu'à leurs prémices, et nous suivons avec attention les développements à Hinkley Point.

J'en viens aux questions sur le gaz. Engie est l'un des plus grands spécialistes mondiaux du gaz, notamment en termes d'expertise et de gestion des infrastructures (réseaux de transport et de stockage, jusqu'aux terminaux). Nous sommes finalement assez peu présents dans la production.

Il y a aujourd'hui deux problématiques autour du gaz : le gaz de schiste, et le « verdissement » du gaz.

Nous considérons le gaz comme le meilleur ami de la transition énergétique car il offre une excellente bande de continuité entre les différents systèmes de stockage. En effet, nous pouvons en réguler le rythme, le profil, et il est particulièrement flexible.

Il faut actuellement quarante minutes pour démarrer une usine de production d'électricité à grande échelle à partir de gaz. Quarante minutes ! C'est incroyable, et inédit. L'hydraulique est également très facile à réguler, c'est une des grandes forces de cette énergie.

Le gaz est donc un élément-clé du dispositif, mais il faut maintenant le verdir en injectant des biogaz (issus de la fermentation des déchets agricoles ou domestiques) dans les réseaux. La loi de transition énergétique a fixé un objectif de 10 % à horizon 2030, mais nous pensons qu'il faut, et qu'on peut, faire mieux.

Monsieur Courteau m'a interrogée sur la méthanation, ce mélange d'hydrogène et de CO2. C'est un procédé qui existe, et nous en avons un pilote, baptisé Jupiter 1000, près de Fos. Il ne produira pas à grande échelle à court terme, mais c'est la vitrine d'une solution technique pour laquelle nous devons préparer le développement industriel, afin qu'elle soit opérationnelle d'ici cinq à sept ans.

Concernant le gaz de schiste, je vous confirme que le gaz a certes une odeur artificielle- pour en déceler la présence - mais pas de couleur. Aussi est-il impossible de distinguer le gaz selon qu'il a été produit de façon conventionnelle ou par fracturation hydraulique, les molécules étant rigoureusement identiques. À cet égard, nous n'avons qu'un seul objectif : fournir le marché de façon efficace en diversifiant les sources pour assurer la meilleure sécurité d'approvisionnement possible, y compris en cas de crise majeure comme entre l'Ukraine et la Russie. Cette sécurité d'approvisionnement passe non seulement par le réseau physique - les tuyaux - mais aussi par les terminaux gaziers. Avec le contrat que nous avons signé, le gaz américain représentera, à partir de 2019, 1 % des approvisionnements d'Engie. Une éventuelle interdiction d'importation des gaz de schiste serait extrêmement complexe à mettre en place d'un point de vue technique comme juridique et devrait en tous les cas être discutée à l'échelle européenne.

Notre mix énergétique est diversifié et le restera : du nucléaire, du gaz - qui a vocation à devenir de plus en plus « vert » - et des énergies renouvelables, à commencer par l'hydraulique dont Engie est l'un des grands opérateurs, en France comme à l'étranger ; nous mettons d'ailleurs en service ce mois-ci les dernières turbines d'un très grand barrage au Brésil et nous continuerons à nous développer dans l'hydraulique, dont le potentiel reste très important.

Notre portefeuille d'activités sera composé de trois grandes catégories : la production d'électricité à grande échelle, la gestion des infrastructures de gaz et d'électricité et des solutions décentralisées, le foisonnement de ces dernières étant encore plus exigeant pour des réseaux jusqu'alors conçus en étoile, à partir d'un nombre limité de sites de production, et dont il faudra revoir toute l'organisation pour équilibrer le système.

Notre plan de cessions d'actifs est-il crédible et faisable ? Depuis le début de l'année, nous avons déjà réalisé un tiers du programme en signant pour 5 milliards d'euros de cessions. Sont concernés des actifs de production centralisée de gaz aux États-Unis, pour lesquels nous avons jugé qu'une cession était la meilleure façon de cristalliser la valeur - il s'agit là de notre analyse de groupe, a contrario l'acheteur, qui est un acteur local, entend bénéficier de synergies avec son propre parc -, mais aussi une partie du parc de production d'électricité à partir de charbon en Indonésie et en Inde. Nous trouvons donc des acheteurs et ne sommes pas sous pression, car nous nous sommes donnés trois ans pour réaliser l'ensemble de ces cessions. Notre raisonnement est simple : lorsqu'il s'agit d'un actif lié à des prix de marché qui ont une chance de remonter, nous attendons ; en revanche, lorsque ces prix n'ont pas vocation à rebondir, nous vendons. Notre politique de dividende a d'ailleurs été définie pour laisser un maximum de liberté dans nos choix : en fixant sur trois ans un dividende en montant, et non en pourcentage de résultat - ce qui incite alors à vendre du résultat rapidement -, nous nous laissons le temps de maximiser la valeur de ces actifs pour les réinvestir ensuite. Mais peut-être aurons-nous à constater des pertes de temps à autre.

Avant les deux cessions d'actifs en Asie, le charbon représentait 15 % du mix de production d'Engie ; après ces ventes, cette part tombera à 8 %. Nous préférons désormais focaliser nos ressources pour être les meilleurs sur quelques technologies. Lorsque nous examinons nos centrales à charbon, nous arbitrons de la façon suivante : soit la technologie mise en oeuvre n'est pas convertible ou est en fin de vie et alors nous fermons - comme nous l'avons fait en Belgique et au Royaume-Uni, pour l'équivalent d'1,6 GW de capacité de production ; quand c'est possible et efficace, nous convertissons des centrales pour les alimenter par de la biomasse, comme par exemple près de Gand en Belgique, même si les conditions à réunir sont complexes - qualité des intrants, fiabilisation des volumes, prix, etc. ; enfin, lorsque les centrales sont neuves, de bonne qualité et servent un besoin auquel aucun autre actif ne peut répondre, nous les vendons. Ne nous leurrons pas : 50 % de la production d'électricité est aujourd'hui issue du charbon et de nombreux pays mettront des années pour en sortir.

Je peux aussi rassurer ceux d'entre vous qui s'interrogeaient sur la pertinence d'une stratégie consistant à vendre des actifs rentables pour investir dans des activités dont on ne sait pas ce qu'elles vont rapporter. Les 22 milliards d'euros que nous investissons - 7 milliards en maintenance et 15 milliards en nouveaux développements -, nous les investissons dans des métiers qui existent, pour lesquels nous figurons parmi les meilleurs au monde et qui gagnent de l'argent, qu'il s'agisse de la production d'électricité à partir de gaz et d'énergies renouvelables, des grands réseaux ou des solutions décentralisées chez nos clients.

Dans le même temps, nous procédons à des grands efforts d'économies. Le monde de l'énergie est un secteur très compétitif, ce qui nous oblige à optimiser en particulier le coût de nos fonctions support - et nous en sommes tous là. Le digital doit nous y aider, en permettant de simplifier, de réduire les coûts et d'augmenter la rapidité du fonctionnement.

En outre, la manière dont les actionnaires jugent la qualité d'un portefeuille d'activités évolue très rapidement : il n'est plus question simplement de ce que rapporte un actif mais aussi de la qualité intrinsèque de cet actif, en particulier sur le plan environnemental - il n'est qu'à voir les décisions de grands investisseurs institutionnels d'écarter tel ou tel secteur d'activité de leurs investissements. Aussi la bascule à laquelle nous procédons crée-t-elle de la valeur en elle-même. L'alignement entre les préoccupations économiques, environnementales, la prise en compte de la précarité énergétique ou l'attention portée au consommateur n'est certes pas parfait mais le monde de la finance s'y intéresse désormais et les choses évoluent rapidement.

En matière de technologie, nous avons choisi de porter nos investissements en recherche et développement à un niveau conséquent, 1,5 milliard d'euros. Le rapport de notre groupe à la technologie va changer : dans un monde articulé autour de grandes usines, nous étions de grands experts mais ne possédions pas la technologie, dont nous étions simplement des agrégateurs ; dans un monde d'objets connectés et de solutions décentralisées, il nous faudra maîtriser, à l'issue d'un développement en interne ou via des partenariats, des briques technologiques qui pourraient ne pas être accessibles sur le marché et seraient très différenciantes. Nous travaillons depuis longtemps sur les batteries - notre « batteries lab » permet de tester tous les types de batteries et sert parfois aux fabricants eux-mêmes - et venons d'acquérir la société californienne Green Charge qui est spécialisée dans la conception de solutions intégrées de stockage.

Le numérique va aussi s'intégrer aux infrastructures existantes : en équipant par exemple de capteurs nos réseaux ou nos usines, nous disposerons de données en temps réel qui seront un gisement d'efficacité considérable. Nous serons aussi en mesure de proposer de nouvelles offres : smart grids, Internet des objets, etc.

Madame Lamure, vous m'avez interrogé sur nos partenariats avec les PME. Nous acquérons il est vrai très fréquemment des PME et dans la quasi-totalité des cas, vous n'en entendez jamais parler car les choses se passent très bien. Une fois rachetées, ces entreprises disposent de moyens pour accélérer leur développement. Le plus souvent, elles restent d'ailleurs identifiables à l'intérieur du groupe afin que leur savoir-faire puisse se diffuser dans toutes nos entités opérationnelles. C'est le cas notamment de Solairedirect, société acquise fin 2015 qui dispose d'un savoir-faire très pointu en matière de développement de parcs solaires, de conception, d'assemblage industriel, de recherche de financement et de relation-client.

Nous avons 70 000 fournisseurs en France et le travail que nous leur confions représente l'équivalent de 60 000 emplois, soit le nombre de collaborateurs d'Engie dans le pays. Nous y portons donc la plus grande attention. Ce maillage territorial est une chance, en particulier pour développer des solutions intégrées. Avec environ la moitié de ses effectifs en France et des infrastructures réparties, par définition, sur l'ensemble du territoire, Engie est donc très ancrée sur le plan national. Nous sommes aussi très présents dans les services, la gestion des bâtiments, l'éclairage public ou les réseaux de chaleur et de froid.

Nous avons une approche territorialisée car ces métiers décentralisés nécessitent la mise en place d'équipes au plus près des clients et qui rassemblent tous les savoir-faire. Nous essayons de mettre en face de nos clients des « architectes » qui disposent d'une palette d'outils et qui sont capables d'assembler les meilleures techniques et solutions au cas par cas.

S'agissant de notre actionnariat, nous sommes un groupe privé, dont la majorité des capitaux sont privés. L'État est actionnaire à hauteur de 32 %. La plus grande partie de nos investisseurs institutionnels sont étrangers, essentiellement Anglo-Saxons (Royaume-Uni, États-Unis), même si on observe une évolution vers des investisseurs d'Asie et du Moyen-Orient. Notre actionnariat n'est pas un problème. Nous avons tous les moyens pour continuer à nous développer avec notre structure actionnariale actuelle.

S'agissant de la centrale électrique de Hazelwood, dans l'État de Victoria en Australie, nous l'avons acquise en 2012 lors du rachat d'International Power. Elle est située dans un État dans lequel la majeure partie de l'électricité vient de ces centrales à charbon. Elle a la particularité d'être située à côté d'une mine à ciel ouvert qui a malheureusement brûlé. Nous examinons tous les scénarios possibles : fermeture, cession ... C'est dans notre plan de sortie du charbon.

La précarité énergétique est un sujet majeur. Les prix de l'énergie ont fortement augmenté, non pour les producteurs mais pour les consommateurs suscitant ainsi leur incompréhension. En effet, ces derniers entendent parler de baisse des prix du pétrole, du gaz et dans le même temps voient leur facture augmenter. Les prix augmentent pour plusieurs raisons : hausse des taxes, hausse des prix du réseau et subventionnement des énergies renouvelables.

Nous essayons d'agir par plusieurs moyens complémentaires. Le chèque énergie est un des moyens de lutter contre la précarité énergétique ; il y a aussi le passeport de rénovation pour l'habitat. Si le prix unitaire de l'énergie augmente, il faut en conséquence essayer de consommer moins d'énergie, en rénovant énergétiquement son habitat par exemple. Nous sommes actifs sur ces questions et nous allons faire un premier retour d'expérience du passeport.

Je reviens sur l'évolution des prix de l'énergie. Si les prix de l'énergie ont augmenté, c'est parce que l'Europe a décidé de lancer un mouvement en faveur du développement des énergies renouvelables. Les États membres, qui ont lancé ce mouvement en pratique, l'ont fait de manière séparée, mal coordonnée et mal calibrée dans le rythme et les volumes, ce qui s'est traduit par une augmentation des prix pour le consommateur.

Vous m'avez interrogée pour savoir quel pouvait être le rôle de régulation de l'État ? Dès lors que ce sont les États européens qui ont lancé ce mouvement, il faudrait que la technologie qui doit être mise en oeuvre soit, autant que faire se peut, développée par les industriels européens. Or, ce n'est pas vraiment ce qui se passe ! Il faut réfléchir aux mesures permettant de fixer en Europe, et si possible en France, les nouvelles filières technologiques. Le régulateur national doit se fixer pour objectif que dans dix ans les sommes d'argent injectées, qui sont considérables, auront permis de constituer des filières technologiques en Europe.

Enfin, sur l'hydroélectricité, la loi de transition énergétique pour la croissance verte et ses mesures d'application contiennent des dispositions utiles.

Nous souhaitons prolonger la concession de la Compagnie nationale du Rhône qui est, je le rappelle, la seule à avoir été ouverte à la concurrence et la seule qui paie une redevance. Sa concession arrive à échéance en 2023. Pour maintenir l'équité, nous souhaitons que la durée de vie de cette concession soit alignée sur la durée de vie moyenne des concessions de nos concurrents. Pour la Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM), nous devrions obtenir une prolongation du contrat en échange de la réalisation de travaux. Nous avons engagé de nombreux échanges avec les régulateurs nationaux et européens pour trouver une solution équitable.

Je pense avoir répondu à l'ensemble de vos questions.

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