Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 mai 2016 à 9h02
Ratification de l'accord de paris — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christian CambonChristian Cambon, rapporteur :

Cet accord a été adopté à Paris le 12 décembre 2015 et signé à New York le 22 avril : Nous procédons donc à sa ratification en un temps record ! Le gouvernement souhaite en effet que la France montre l'exemple, en étant le premier pays industrialisé à ratifier, et en entraînant si possible dans son sillage les autres États membres de l'Union européenne.

Juridiquement, la ratification française ne prendra effet qu'au moment du dépôt conjoint auprès du Secrétariat général des Nations unies de l'ensemble des instruments de ratification de l'Union européenne et de chacun de ses États membres.

Or ce processus est aujourd'hui ralenti par les négociations sur la mise en oeuvre du « paquet énergie climat 2030 » et pourrait se révéler plus long que prévu. J'y reviendrai.

J'articulerai mon propos en deux temps :

- en premier lieu : l'accord de Paris était indispensable ;

- en second lieu toutefois : au-delà des bonnes intentions, il reste un long chemin à parcourir.

L'accord de Paris était indispensable.

Je ne reviendrai que très rapidement sur un constat que nos collègues Cédric Perrin, Leila Aïchi et Eliane Giraud ont fait dans le rapport qu'ils nous ont présenté en octobre dernier, sur les conséquences géopolitiques du dérèglement climatique.

Le consensus scientifique sur le changement climatique est désormais sans ambiguïté : les années 1983 à 2012 ont été la période de trente ans la plus chaude qu'ait connue l'hémisphère nord depuis 1400 ans. Le niveau moyen des mers s'est accru de 19 cm entre 1901 et 2010. D'ici à 2100, la température pourrait augmenter de 5°C et le niveau de la mer pourrait croître encore de près d'un mètre. Ce réchauffement s'accompagne d'une augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes.

Le coût économique de l'inaction de la communauté internationale serait immense, de l'ordre de 5 % à 20 % du PIB mondial chaque année, d'après le rapport Stern de 2006. Ce rapport a conduit le débat au-delà de la question écologique, sur le terrain économique, mettant en évidence l'intérêt d'une action coordonnée de la communauté internationale.

Les phénomènes d'érosion côtière et la pénurie des ressources constituent des facteurs d'instabilité au niveau international. Le risque d'une accélération des migrations environnementales est particulièrement préoccupant. Ainsi une augmentation du niveau des mers de 50 cm forcerait 72 millions de personnes à se déplacer. L'Organisation internationale des migrations (OIM) estime que le nombre de déplacés environnementaux pourrait atteindre 200 millions d'ici à 2050.

Pour répondre à ces défis majeurs, la première des propositions de notre commission, en octobre dernier, appelait à la conclusion d'un accord ambitieux lors de la COP 21.

Nous ne pouvons donc aujourd'hui que saluer le succès obtenu par la diplomatie française, sous l'impulsion de Laurent Fabius et de Laurence Tubiana.

L'accord de Paris est un engagement politique fort et quasi-unanime de la communauté internationale, qui n'était pas gagné d'avance. La France s'est très fortement mobilisée. Elle a obtenu la signature de 175 États, faisant de l'accord de Paris celui qui a réuni le plus grand nombre de signatures d'un accord international dans l'Histoire.

L'accord de Paris constitue aussi un tournant pour la communauté internationale parce qu'il a mobilisé les acteurs économiques, la société civile et, plus largement l'opinion au niveau mondial.

Il a, par ailleurs, le mérite de se fonder sur 187 contributions nationales, déposées en 2015, comme l'avait prévu la COP 20 de Lima. Ces contributions doivent permettre d'accomplir une partie du chemin vers les objectifs de l'accord, qui sont les suivants :

- atténuer le changement climatique en contenant l'élévation moyenne de température à 1,5°C et, en tout état de cause, nettement en dessous de 2°C ;

- renforcer les capacités d'adaptation et la résilience notamment pour les États ou groupes de population les plus vulnérables ;

- Orienter les flux financiers vers le développement d'une économie « verte » et accroître le soutien aux pays en développement, jusqu'à 100 milliards de dollars par an, grâce à des mécanismes multilatéraux tels que le Fonds vert pour le climat. Ces pays doivent également bénéficier de transferts de technologie et d'un renforcement de leurs capacités à mettre en oeuvre l'accord ;

- enfin, un cadre de transparence est mis en place, visant à renforcer la confiance, en donnant une image claire des mesures prises et des résultats obtenus par chacun.

Le succès diplomatique de la COP 21 a pour contrepartie un faible degré de contrainte juridique, ceci notamment pour permettre la ratification de l'accord par les États-Unis sans examen par le Sénat américain. L'accord a donc privilégié l'institution d'obligations de moyens plutôt que d'obligations de résultats.

Il se fonde sur un processus de réévaluation quinquennale, qui se déroulera de la manière suivante :

- un bilan des efforts collectifs déployés par les Parties sera réalisé tous les cinq ans à compter de 2018 ;

- les contributions nationales des États devront être actualisées, également tous les cinq ans, pour faire suite à celles déposées en 2015, donc à compter de 2020.

Chaque bilan mondial précèdera donc de deux ans le dépôt des contributions nationales du cycle suivant.

L'accord comporte une possibilité de retrait, après un délai de trois ans à compter de son entrée en vigueur, ce qui constitue une faiblesse inévitable. On se souvient en effet que le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Russie s'étaient désengagés du protocole de Kyoto, que les États-Unis n'ont jamais ratifié.

Une autre faiblesse de l'accord de Paris tient à l'absence de toute réelle sanction en cas de non-respect par un État de ses engagements, ou en cas d'incohérence entre les engagements pris et les objectifs globaux de l'accord.

Le caractère juridiquement contraignant du texte reste donc sujet à caution.

Au-delà des bonnes intentions, en effet, tout reste à faire.

Ce sera mon deuxième point, avec trois observations.

Ma première remarque concerne la portée limitée des engagements pris globalement, à ce stade, par les États.

Les dispositions de la COP 20 laissaient une grande latitude aux États s'agissant de la présentation de leurs contributions nationales.

Certains pays se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de façon très significative. Mais ces engagements portent sur des périodes de référence différentes, ce qui les rend difficilement comparables.

Ainsi l'Union européenne prévoit de réduire ses émissions de 40 % entre 1990 et 2030, conformément à son « paquet énergie-climat ». Les États-Unis s'engagent à réduire leurs émissions de l'ordre de 26 % à 28 % entre 2005 et 2025. Le Canada propose une réduction de 30 % sur la période 2005-2030, et la Russie affiche un objectif de réduction de 25 % à 30 % entre 1990 et 2030.

D'autres pays, notamment la Chine et l'Inde, ne se sont engagés que sur des objectifs d'intensité de leur croissance économique en émissions de GES. Conformément à l'accord trouvé en novembre 2014 avec les États-Unis, la Chine promet par ailleurs d'atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre avant 2030.

Enfin, un troisième groupe de pays n'a pris, en réalité, aucun réel engagement quantifié.

De plus, ces contributions restent globalement très insuffisantes au regard des objectifs de l'accord, puisque, même appliquées à la lettre, elles conduiraient encore à un réchauffement de l'ordre de 3,5°C.

Ma deuxième remarque porte sur un certain nombre de questions qui ont été volontairement éludées par l'accord, pour préserver la quasi-unanimité qui a prévalu à Paris.

Parmi ces questions, figure celle des émissions des transports aériens et maritimes, qui représentent à eux deux plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.

S'agissant du transport aérien, des avancées importantes sont attendues lors de la prochaine assemblée générale de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui se déroulera à Montréal en septembre. Le secteur aérien a, en effet, obtenu que le trafic intercontinental soit exclu du système européen d'échange de quotas d'émission (ETS). Mais il s'est engagé, en contrepartie, à mettre en place son propre mécanisme de compensation.

Les progrès sont sensiblement plus lents dans le secteur des transports maritimes, car la question de la mesure des émissions se pose, préalablement à celle de leur limitation. Dans un premier temps, il conviendra donc d'encourager la reconnaissance des niveaux d'émissions du secteur maritime, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) qui a récemment adopté des prescriptions permettant d'avancer en ce sens.

Parmi les questions volontairement oubliées par l'accord, figure aussi celle de la protection des océans, qui absorbent environ un quart des émissions annuelles de CO2, et celle des zones les plus fragiles notamment les pôles.

Notre commission s'était intéressée en octobre aux enjeux de l'Arctique. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, si ce n'est pour signaler que la feuille de route française pour l'Arctique, qui était alors attendue dans la perspective de la COP 21, n'a toujours pas été finalisée.

Enfin, l'accord s'est bien gardé d'évoquer les outils qui pourraient être mis en oeuvre pour réorienter le mix énergétique dans un sens moins favorable aux énergies fossiles.

Un mécanisme d'échanges de réduction d'émissions est proposé par l'accord, mais il demeure fondé sur le volontariat des États parties. Plusieurs chefs d'État et de gouvernement ont mis l'accent sur la priorité que constitue la mise en place d'un prix du carbone, avec pour objectif de porter la couverture des systèmes de tarification du carbone à 25 % des émissions mondiales d'ici à 2020, puis à 50 % d'ici à 2030, contre 12 % aujourd'hui. La réforme du système européen de quotas d'émission doit par ailleurs être menée à bien. Mais l'instauration d'un prix mondial du carbone n'est pas à l'ordre du jour et serait d'ailleurs en contradiction avec l'esprit décentralisé et collaboratif de l'accord.

Des avancées sont par ailleurs souhaitables sur les gaz fluorés HFC (hydrofluorocarbures). Ces gaz, utilisés en remplacement de ceux préjudiciables à la couche d'ozone, sont de puissants gaz à effet de serre. Leur utilisation doit être encadrée, dans le cadre du protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d'ozone.

Ma troisième remarque est relative à l'entrée en vigueur, puis à l'application de l'accord de Paris, qui vont s'apparenter, dès cette année, à un parcours d'obstacles.

Plusieurs signaux d'alerte sont préoccupants.

Tout d'abord, l'accord entrera en vigueur dans un délai de trente jours lorsque 55 pays, représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l'auront ratifié. Il n'engage les États qu'à compter de 2020, mais son entrée en vigueur rapide est néanmoins souhaitable, afin d'entrer de plain-pied dans la phase d'action renforcée pré-2020, indispensable à l'enclenchement des trajectoires souhaitées.

Alors que l'Union européenne a un rôle essentiel à jouer pour maintenir la dynamique issue de l'accord de Paris, le processus de ratification de l'accord est ralenti par les négociations entre États membres, pour la mise en oeuvre du « paquet énergie climat 2030 ».

Un certain nombre d'États lient en effet la ratification de l'accord de Paris à l'obtention d'un compromis acceptable pour eux s'agissant du partage de l'effort à réaliser dans les secteurs hors quotas (transports, bâtiment, agriculture...). La Pologne, le Royaume-Uni et même l'Allemagne militent en ce sens, quoique l'Allemagne ait aussi mis en avant, de façon un peu contradictoire, le devoir d'exemplarité de l'UE.

Les États-Unis et la Chine ayant promis de ratifier l'accord avant l'automne, il n'est pas impossible que celui-ci puisse entrer en vigueur sans l'Union européenne, la réduisant temporairement au rôle de simple observatrice dans les négociations climatiques internationales.

Il est indispensable que l'Europe montre, au contraire, la voie en parvenant à une ratification rapide. Le président Gérard Larcher a sensibilisé ses homologues à cette nécessité cette semaine, dans le cadre de la Conférence annuelle des présidents des parlements de l'Union européenne.

Par ailleurs, les deux piliers de l'accord que sont les États-Unis et la Chine connaissent des évolutions incertaines. Ces pays représentent à eux deux près de 40 % des émissions mondiales.

Le 9 février 2016, la Cour suprême des États-Unis a fragilisé les engagements pris à Paris en suspendant l'application des mesures prises par le plan « énergie propre » (« Clean power plan ») de l'Agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA). Ce plan régule les émissions de gaz à effet de serre des centrales à charbon américaines. Il est désormais suspendu à des recours juridiques, sans même évoquer les incertitudes politiques liées à l'échéance électorale américaine de novembre prochain.

Le 4 mars 2016, le nouveau Premier ministre canadien a repoussé de six mois la décision sur les mécanismes à mettre en place pour que le Canada respecte les engagements pris à Paris, faute de consensus entre, d'une part, le gouvernement fédéral et, d'autre part, les provinces canadiennes.

La Chine fait paradoxalement figure de pays le plus avancé dans la mise en oeuvre de ses engagements. Elle a annoncé qu'elle ratifierait l'accord avant le sommet du G20 à Hangzhou en septembre prochain.

Par ailleurs, le 13e plan quinquennal chinois fait de l'environnement une priorité. La Chine souhaite non seulement lutter contre la pollution, mais aussi ne pas rater le tournant de l'économie « verte ». Cette implication de la Chine est un élément très positif, même s'il faut la mettre en regard de ses engagements modestes et la considérer comme une inflexion, plutôt que comme une révolution.

Je terminerai en évoquant la COP 22. La ministre marocaine, Mme El Haité, nous l'a dit la semaine dernière : cette COP sera probablement plus difficile que la précédente, car ce sera la COP de l'action, de la mise en oeuvre de moyens opérationnels pour concrétiser les engagements pris à Paris.

Le Maroc s'est, en particulier, fixé deux priorités :

- la mise en oeuvre de l' « action renforcée pré-2020 » ;

- l'innovation, qui fait l'objet d'une feuille de route particulière.

Il s'agira également de déterminer comment seront réunis les 100 milliards de dollars par an que les pays développés se sont engagés à mettre à disposition des pays en développement, et comment procéder à la répartition de ces financements entre atténuation et adaptation. Une feuille de route doit, là encore, être finalisée. Les attentes des pays en développement sont fortes. La question de l'accessibilité des pays les plus pauvres aux fonds climatiques devra être examinée attentivement.

Je terminerai en disant qu'on ne peut qu'approuver la proposition émise par Mme El Haite de renforcer l'implication des parlements nationaux dans les négociations climatiques, en faisant reconnaître les parlementaires comme dixième acteur officiel des négociations. Ce statut leur permettra de se réunir au sein de la zone de conférence des Nations unies, dite zone bleue.

Nous avons pu constater la mobilisation du Maroc, par la voix de sa ministre, pour réussir cette « COP de l'action ».

La tâche à accomplir reste immense. Elle nécessite la mobilisation de tous pour perpétuer la dynamique de l'accord de Paris, en commençant par permettre son entrée en vigueur dans les meilleurs délais.

C'est pourquoi je vous propose d'autoriser la ratification de l'accord de Paris, en adoptant ce projet de loi.

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