Le projet de loi veut en outre sécuriser les parcours professionnels et garantir l'accès aux droits. Le compte personnel d'activité (CPA), créé dans son principe par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, est ainsi défini à l'article 21. Il assure la continuité des droits des salariés appelés à changer régulièrement d'employeur comme de statut. Il regroupe le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) dont tous les chefs d'entreprise soulignent la complexité et le caractère inopérant, et enfin un troisième et nouveau compte dont on a du mal à apprécier le fonctionnement, le compte engagement citoyen (CEC). Un autre ensemble de mesures - articles 28 et suivants du titre V - nous intéressent plus particulièrement, car elles doivent favoriser l'emploi et améliorer l'accès au droit des TPE et PME.
L'accès au droit est évidemment essentiel, comme nous l'avons compris depuis le début de nos déplacements. On ne compte plus les chefs d'entreprise ayant critiqué l'insécurité juridique dont ils sont des victimes permanentes. Il existe plusieurs facteurs d'insécurité juridique : les décisions du juge, qui vient interpréter les lois que nous votons. Les entrepreneurs, pour ceux qui sont encore en mesure de suivre l'évolution des normes, se retrouvent pris au piège de l'interprétation que fait le juge de certaines dispositions législatives, différente de la leur, pourtant de bonne foi. Le pire est le revirement de jurisprudence, qui, appliqué rétroactivement, déstabilise toutes les entreprises concernées. Ainsi, en 2013, la chambre sociale de la Cour de Cassation a annulé la convention SYNTEC instaurant le forfait jour : celle-ci était donc réputée n'avoir jamais existé alors qu'elle concernait près de 544 000 cadres qui ont pu alors prétendre au paiement des heures supplémentaires, ce qui a pu déstabiliser financièrement les employeurs concernés ! Et l'article 5 du projet de loi doit prévoir tout un mécanisme de sécurisation des conventions de forfait pour éviter une telle insécurité juridique... Il est donc urgent de prévoir une disposition incitant le juge à envisager de moduler dans le temps les effets de ses décisions. Il peut déjà le faire mais ne se sert jamais - ou presque - de ce pouvoir, aucun article du code du travail ne l'y incitant. Il serait également utile que chaque accord collectif puisse mettre en place une procédure permettant d'assurer son interprétation par les partenaires sociaux.
Deuxième facteur d'insécurité juridique, le chef d'entreprise ne sait pas nécessairement comment interpréter et donc appliquer le code du travail, en amont d'un contentieux. La sécurité juridique passe donc par le développement du rescrit, qui offre à l'employeur un écrit détaillant la position de l'administration en réponse à une question précise.
Deux articles du projet de loi, contenus dans le chapitre relatif aux TPE et PME, font la promotion de cette pratique : d'une part, l'article 31, qui ratifie l'ordonnance du 10 décembre 2015 prise sur le fondement de l'article 9 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises. Il rend possible le rescrit pour les accords ou plans d'action relatifs à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que pour les dispositions relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés ; d'autre part, l'article 28, qui initialement proposait simplement le droit, pour les entreprises de moins de 300 salariés, à une information précise de la part de l'administration. Les amendements de la commission des affaires sociales de l'Assemblée ont étoffé cet article en ajoutant que, si la demande est suffisamment précise et complète, « le document formalisant la prise de position de l'administration peut être produit par l'entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi ». On n'est pas loin du Bourgeois gentilhomme, cet article faisant du rescrit sans le dire clairement. Il serait plus sécurisant d'apporter les modifications rédactionnelles pour asseoir la portée de cette disposition. Près de 10 % des chefs d'entreprise ont spontanément répondu que la réforme devrait davantage défendre un « principe de bonne foi » des entreprises vis-à-vis des administrations et une mission de conseil de l'administration plus que de répression. Un amendement pour simplifier l'usine à gaz du « service public territorial de l'accès au droit » prévu pour assurer la mise en oeuvre de ce nouveau droit serait également le bienvenu.
Le troisième facteur de sécurité juridique concerne l'inspection du travail. L'article 28 du projet de loi nous y conduit tout naturellement, puisque dans l'étude d'impact associée, le Gouvernement a souligné le rôle des services de renseignement des inspections du travail au sein des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Mais qu'en est-il de cette mission de conseil aujourd'hui ? Quelle est la réalité ? Il semble qu'il existe une réponse factuelle, à savoir le nombre de réponses offertes, que l'étude d'impact recense. Et il existe une réalité ressentie, puisque les chefs d'entreprise nous disent de façon récurrente que les inspecteurs du travail donnent l'impression de rechercher systématiquement la faute commise au sein de l'entreprise, plutôt que la façon d'aider, d'accompagner cette dernière.
Pourtant, l'article 3 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur l'inspection du travail précise bien cette mission, puisqu'en vertu de cette disposition, il lui incombe « de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d'observer les dispositions légales ». Afin d'amorcer un changement de philosophie et de se rapprocher de l'exemple britannique d'une administration au service des entreprises, il est essentiel de modifier l'article L.8112-1 du code du travail qui décrit les compétences des inspecteurs du travail, afin d'insérer cette mission d'information et de conseil.
La sécurité économique, que je développe en première partie de mon rapport, est une autre priorité des entreprises. J'y rappelle ce que les économistes entendus par la commission des affaires sociales ont répété, études et chiffres à l'appui : plus on veut protéger l'emploi existant, plus on exclut les actifs qui arrivent sur le marché du travail. Il existerait ainsi une corrélation entre chômage et dualité du marché du travail et niveau de protection de l'emploi. Ce phénomène est expliqué, selon les économistes auditionnés, par ce que l'on pourrait appeler « les coûts cachés de transaction sur le marché du travail », c'est à dire les coûts d'embauche et surtout de licenciement. Cela explique la dualité du marché du travail français, et le fait qu'une sur-taxation des CDD serait totalement inutile et même dangereuse car la seule variable d'ajustement serait alors l'emploi !
Pour résoudre le dilemme de la sécurité économique des entreprises, ne pouvons-nous pas nous inspirer utilement des réformes de nos voisins européens ? Nous avons testé plusieurs idées auprès des chefs d'entreprises, également libres de faire des propositions spontanées. Ce qui est revenu en plus grand nombre était la création d'un CDI prédéfinissant des motifs et des conditions de rupture (28 % des personnes interrogées). Ensuite, figure l'idée d'un CDI à droits progressifs (15 %) et, au même rang, le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif (15 % également). En troisième place, la possibilité de négocier plus facilement des accords avec les délégués du personnel pour les TPE et les PME ne disposant pas de délégués syndicaux (14 %). Le prisme italien semble donc séduire nos entrepreneurs, et il ne serait pas inutile d'envisager de réintroduire le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse qui figurait dans la toute première version officieuse du projet de loi.
Après une première partie sur la sécurité juridique et économique des entreprises, mon rapport aborde la question des outils pouvant permettre aux entreprises de mieux s'adapter pour se développer. Car finalement, c'est l'objectif : le développement des entreprises, et la croissance qui reste le principal facteur d'emploi. Cela concerne aussi bien la prise en compte des difficultés de l'entreprise, que l'article 30 du projet de loi aborde certes, mais de façon peut-être inappropriée avec des critères de qualification du licenciement pour motif économique pas forcément adaptés aux multiples réalités de la vie des entreprises. Tenir compte des difficultés, c'est aussi ne pas obliger un employeur à réaliser tous les efforts de reclassement jusqu'à ce qu'il mette la clé sous la porte, mais c'est le contraindre à réaliser un effort raisonnable pour y parvenir. L'article L.1233-4 du code du travail pourrait ainsi être modifié.
Permettre à l'entreprise de s'adapter, c'est aussi ne pas freiner son développement en multipliant les barrières liées aux seuils sociaux. Nouvel exemple d'incitation à ne pas dépasser la limite de 49 salariés : l'article 29 bis qui élargissait, seulement pour les entreprises en-dessous de ce seuil, le champ des déductions fiscales pour inclure les provisions réalisées pour d'éventuels frais d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La version du texte issue de la « procédure du 49.3 » a fait chuter ce seuil à 10 salariés. Rappelons ce que la précédente étude de l'IFO nous avait appris, car, spontanément 7 % des chefs d'entreprises ont souhaité que la suppression ou la progressivité renforcée des seuils sociaux soit inscrite dans le projet de loi. Toutefois, compte tenu des changements de règles en matière de dialogue social, il paraît prudent d'attendre le texte de la commission des affaires sociales pour juger de l'opportunité de déposer de nouveaux amendements en ce sens.
Pour s'adapter, les TPE et PME doivent pouvoir bénéficier de la réforme du dialogue social proposée par le projet de loi. Il est très utile de prévoir les outils pour négocier, encore faut-il que ces outils correspondent à une réalité. Pourquoi augmenter de façon systématique les heures de délégation et créer ainsi un nouveau droit sur lequel on ne pourra pas revenir, alors que d'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, la majorité des représentants du personnel consacre un temps inférieur à la décharge horaire autorisée pour son mandat ? L'article 16 du projet de loi ne paraît pas aller dans le bon sens et devrait à tout le moins limiter les augmentations d'heures de délégation aux seuls cas de négociation en cours.
L'absence de délégués syndicaux dans les TPE et les PME est un sujet important. Or, de nombreuses dispositions font référence au mandatement, aujourd'hui unanimement rejeté par nos interlocuteurs. Les entreprises interrogées évoquent, spontanément, comme grand absent de la réforme, le pouvoir des syndicats, excessif au regard de leur représentativité. Certains proposent de le contourner en amenant tous les salariés à se syndiquer ; d'autres imaginent limiter dans le temps le nombre de mandats d'élu syndical ou de délégué du personnel pour un salarié.
Le mandatement est précisé à l'article L.2232-21 du code du travail qui prévoit qu'un accord puisse être conclu par les délégués du personnel si ces élus ont été expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise. En l'absence de mandatement ainsi défini, alors seulement les représentants élus peuvent négocier et conclure des accords, mais ils doivent avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés et l'accord doit être approuvé par la commission paritaire de branche. N'y aurait-il pas lieu de simplifier une telle procédure, surtout qu'il n'existe pas de commission paritaire dans toutes les branches ? On pourrait soit faciliter l'organisation d'un referendum sur d'autres sujets que la participation, comme les chefs d'entreprise le demandent, soit rendre directement possible la négociation avec des élus non mandatés, ce que 15 % des entreprises interrogées ont jugé prioritaire.
Je note la très grande avancée que constitue l'article 29 du projet de loi, selon lequel un accord de branche peut comporter des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés, sous forme d'accords types avec options multiples. L'employeur peut appliquer un tel accord au moyen d'un document unilatéral après information des salariés et de la commission paritaire régionale de branche. On pourrait dès aujourd'hui transformer cette possibilité en obligation, afin que les petites et moyennes entreprises ne soient jamais oubliées des négociations d'accords de branche, en vue de déclinaisons utiles en leur sein. Un tel mécanisme se rapprocherait davantage de la proposition n° 38 du rapport de Jean-Denis Combrexelle sur la négociation collective, le travail et l'emploi. Il diminuerait les risques pour les petites entreprises décrits par l'IFO, dans un système où les accords de branche peuvent imposer des standards gênant la concurrence d'acteurs économiques émergents.
Voilà un résumé des tendances décrites dans le rapport que je vous propose d'adopter. Avec ces éléments de réflexion issus des besoins exprimés par les chefs d'entreprise, nous contribuerons utilement aux travaux du Sénat, en nous laissant la possibilité de réagir au moment de la séance pour faire de nouvelles propositions sur la base du texte de la commission des affaires sociales qui examinera ce projet de loi la semaine prochaine.