Intervention de Catherine Tasca

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 mai 2016 à 9h40
Avancement des opérations préparatoires aux scrutins à venir en nouvelle-calédonie — Communication

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Notre commission des lois est particulièrement attentive à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie comme elle a pu en témoigner à chaque fois que le Parlement a été appelé à statuer sur cette question depuis la conclusion de l'Accord de Nouméa en 1998. Le processus institutionnel ouvert avec celui-ci est appelé à se clore vingt ans plus tard puisqu'une consultation devrait être organisée par l'État au plus tard en 2018.

Lors de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie de l'été 2014, avec Sophie Joissains et Jean-Pierre Sueur, nous avions compris que si le référendum restait l'hypothèse la plus probable, l'éventualité d'un troisième accord n'était pas à exclure. Quoi qu'il en soit, l'État, signataire de l'Accord, doit être prêt en cas de référendum, y compris s'il était demandé par anticipation par une majorité qualifiée du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. C'est pourquoi le Parlement a adopté, de manière consensuelle, la loi organique du 5 août 2015 afin d'établir des listes électorales pour la tenue de la consultation. Cette issue heureuse n'était pas prévisible lors du dépôt du projet de loi organique, voici un an, puisque le texte initial avait soulevé une vive réprobation d'une partie de la classe politique locale, illustrée par l'avis défavorable du Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur cette première version. Le comité des signataires a ainsi été convoqué exceptionnellement le 5 juin 2015 afin d'évoquer le traitement des litiges électoraux. Après douze heures de discussions, il a conclu un accord privilégiant une solution pacifiée à ce problème.

À court terme, cette réunion s'est traduite par des amendements du Gouvernement sur son propre texte afin de prendre en compte les conclusions du comité des signataires. Notre commission des lois les a adoptés à l'unanimité le 24 juin suivant. Ce texte a été approuvé, sans modification, par le Sénat puis l'Assemblée nationale dans les semaines suivantes, avant d'être validé par le Conseil constitutionnel.

Il existe trois listes électorales en Nouvelle-Calédonie : la liste électorale générale pour les scrutins nationaux et municipaux ; la liste électorale spéciale pour les élections provinciales et la liste électorale spéciale pour la consultation qui est l'objet de la loi du 5 août 2015. Les deux dernières, propres à la Nouvelle-Calédonie, sont étroitement liées entre elles, au moins pour deux raisons : leur élaboration et leur révision relèvent d'une même commission administrative spéciale et, si les électeurs y figurant sont différents, l'appartenance à la liste électorale spéciale pour les élections provinciales peut, sous certaines conditions, donner droit à participer au référendum.

Juridiquement distinctes, les deux questions sont politiquement liées. Résoudre les divergences autour de la liste électorale spéciale pour les élections provinciales était donc un préalable. Figurer sur cette liste est non seulement une condition pour élire les membres des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie mais aussi et surtout la condition pour être citoyen calédonien. Outre son aspect symbolique, la citoyenneté calédonienne garantit un accès à l'emploi local protégé.

S'agissant de la liste électorale provinciale, les partenaires calédoniens se sont accordés en juin 2015 sur une méthode impartiale confiée à un expert de confiance. Le Premier ministre a nommé, à cet effet, M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit. Celui-ci s'est enfermé dans une pièce avec un ordinateur sans connexion à Internet afin de croiser des fichiers, notamment de la Sécurité sociale et de l'Éducation nationale. L'anonymat a été scrupuleusement respecté et, conformément au cadre approuvé par la Cnil, la destruction des données a été attestée par des procès-verbaux à la suite de ces opérations.

L'objectif de ce croisement de fichiers était de pacifier la situation en circonscrivant précisément le nombre de personnes indûment inscrites sur les listes électorales provinciales, c'est-à-dire celles arrivées après le 8 novembre 1998. En juin 2015, tous les partenaires calédoniens ont admis qu' « aucun droit électoral n'a pu être acquis après cette date ». Le désaccord portait cependant sur l'ampleur des personnes concernées.

Depuis plusieurs années, l'Union calédonienne (UC), formation indépendantiste, exigeait la radiation de près de 7 000 électeurs lors des opérations de révision des listes. Au terme des travaux de M. Mélin-Soucramanien, seulement 1 062 cas ont été jugés problématiques : pour 870 personnes inscrites sur les listes électorales provinciales, aucune trace de présence dans les fichiers n'existait avant 1998 et pour les 192 restantes, aucune trace n'existait, même après 1998. La part des inscriptions litigieuses a ainsi été ramenée à 0,7 % des électeurs inscrits sur les listes électorales spéciales. Au terme d'un accord intervenu lors du comité des signataires du 4 février 2016, l'anonymat de ces 1 062 personnes a été levé et leur identité transmise au Haut-commissaire de la République, à charge pour lui de la faire connaître aux commissions administratives spéciales, seules habilitées à décider du sort de ces électeurs.

Ces 1 062 personnes ont été prévenues par le Haut-commissariat de la République que leur inscription était susceptible d'être remise en cause et qu'elles seraient appelées à produire des justificatifs devant les commissions administratives spéciales. Pour la première fois depuis la loi organique du 5 août 2015, les commissions administratives spéciales comportaient un sixième membre : une « personnalité qualifiée indépendante ». En accord avec les partenaires calédoniens et pour satisfaire une demande de l'UC, le choix s'est porté sur des observateurs électoraux issus de l'ONU.

Au terme des travaux des commissions administratives spéciales, seulement 325 électeurs sur les 1 062 détectés ont été radiés par les commissions administratives spéciales car nombre d'entre eux ont réussi à prouver, par tout moyen, leur présence avant 1998. Ce nombre représente 0,2 % du corps électoral spécial. Autant dire que l'ampleur du litige est fortement réduite par rapport au fantasme de plusieurs milliers d'électeurs concernés ! Les électeurs ont su s'organiser, avec le soutien de certaines formations politiques, pour faire valoir leurs droits et ainsi justifier leur présence sur la liste électorale spéciale.

Le relevé de la réunion du comité des signataires du 4 février 2016 indiquait que « les partenaires conviennent de déclarer comme politiquement clos le litige relatif aux inscriptions, faites jusqu'en 2015 ». On aurait pu ainsi espérer qu'à la différence des autres années, il n'y aurait pas de requêtes en série pour solliciter la radiation d'électeurs. Pourtant, l'UC a déposé 585 demandes de radiation, selon des critères qu'elle a déterminés et sans se fonder sur le travail de M. Mélin-Soucramanien. Ces requêtes ont abouti à 54 radiations supplémentaires par les commissions administratives spéciales, soit moins de 10 % des requêtes introduites. Soit, là encore, bien moins que les chiffres qui circulent sur les électeurs indûment inscrits. Ce nombre pourrait être d'autant plus réduit que le Haut-commissaire de la République a décidé, de manière inédite, de former un pourvoi en cassation sur 46 des 54 décisions des juridictions calédoniennes. En effet, plusieurs juges ont sollicité la communication des procès-verbaux des commissions administratives spéciales. Contrairement à une polémique entretenue localement, le représentant de l'État était tenu de transmettre au juge ces procès-verbaux car ce sont des documents administratifs communicables. Cependant, certaines décisions de justice se sont bornées à constater que les éléments fournis devant les commissions administratives spéciales étaient insuffisants pour justifier l'inscription, sans rechercher si l'électeur concerné pouvait produire les justificatifs autorisant son maintien sur la liste. Or, un électeur peut attester de la légitimité de son inscription devant les commissions administratives spéciales mais aussi, à tout moment, devant le juge. La cassation de plusieurs de ces décisions de radiation n'est donc pas à exclure, réduisant d'autant plus la moisson de ceux qui recherchaient des radiations massives.

Sous réserve de la publication des arrêts de la Cour de cassation, la révision de la liste électorale spéciale, ouverte au 1er mars 2016, s'est achevée au 30 avril 2016. Seule l'UC, principalement ses représentants en province Sud, continue d'entretenir le débat sur le litige électoral, à la différence d'autres formations indépendantistes. Ce débat devrait s'estomper car les observateurs onusiens, dont la présence était une revendication de l'UC, ont été positivement surpris par le fonctionnement des commissions administratives spéciales en comparaison des conditions qu'ils connaissent habituellement dans des pays en voie de transition démocratique. Leur position a d'ailleurs fréquemment convergé avec celle des magistrats présidant ces commissions.

Pour la première fois, deux procédures électorales se sont succédé ce printemps : après la révision de la liste électorale pour les élections provinciales, les commissions administratives spéciales ont poursuivi leurs travaux en établissant la liste électorale en vue de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. Ces opérations ouvertes début mai devraient se conclure fin juillet. À partir de l'année prochaine, la révision de la liste électorale pour la consultation devrait être imbriquée avec celle de la liste électorale pour les élections provinciales car elles seront menées, en partie, de front au cours du mois de mai 2017.

Actuellement, près de la moitié des communes, principalement du sud de l'archipel, ont fini d'examiner les demandes d'inscription. À ce stade, trois constats peuvent être formulés.

Tout d'abord, comme les estimations le laissaient penser en 2015, près de 145 000 personnes pourraient bénéficier du dispositif d'inscription d'office, 20 000 personnes ne pouvant être inscrites qu'après une démarche de leur part. L'inscription d'office ne signifie pas inscription automatique. L'électeur est seulement dispensé de déposer une demande d'inscription. L'administration transmet son nom mais la commission administrative spéciale vérifie qu'il satisfait bien aux critères pour être inscrit. Au total, près de 85 % des électeurs potentiels devraient bénéficier de l'inscription d'office. Ce nombre varie selon les régions : il frôle les 100 % dans les îles Loyauté car la quasi-totalité de la population relève ou a relevé du statut civil coutumier, ce qui constitue un des critères pour l'inscription d'office, tandis que la part des inscrits d'office avoisine les deux-tiers dans le Grand Nouméa où la population est plus mobile et d'installation plus récente, entrant moins dans les cas d'inscription d'office.

Ensuite, lors de l'examen de la loi organique du 5 août 2015, une des huit conditions alternatives pour voter lors de la consultation avait soulevé des inquiétudes quant à son application : avoir le centre de ses intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie. Pour harmoniser l'appréciation de ce critère et donner aux commissions administratives spéciales des lignes directrices, une commission consultative d'experts a été prévue par le législateur organique. Elle a été installée début mai jusqu'à la fin des opérations en juillet. Or, contre toute attente, elle a rendu, à ce jour, seulement trois avis sur saisine des commissions administratives spéciales. Il semble que les difficultés autour de ce critère aient été de bonne foi surévaluées lors de l'examen de la loi organique.

Enfin, et c'est sans doute le plus préoccupant, plusieurs milliers d'électeurs qui pourraient être inscrits sur les différentes listes électorales ne le sont pas, faute pour eux d'avoir sollicité leur inscription sur les listes. En effet, pour être inscrit sur les deux listes électorales spéciales, il faut l'être sur la liste électorale générale, la même qu'en métropole. Ce phénomène de non-inscription, qui traduit un désintérêt des citoyens pour la vie politique, n'est pas propre à la Nouvelle-Calédonie et existe sur l'ensemble du territoire national. Ses effets sont plus importants dans l'archipel calédonien car les citoyens se privent ainsi de la capacité de participer à des scrutins déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Pour évaluer le phénomène, nous sommes tenus à des hypothèses. Pour ne prendre qu'un exemple simple, 65 000 personnes de statut coutumier sont inscrites sur les listes électorales alors qu'un potentiel de près de 90 000 serait en âge de voter selon le fichier coutumier. Certaines formations, comme l'UNI-Palika, ont d'ailleurs fait le choix, contrairement l'UC, de se concentrer sur ce vivier d'abstentionnistes, de l'ordre de 30 % du corps électoral actuel, plutôt que de s'acharner sur un litige électoral aux élections provinciales, réduit à quantité négligeable.

Si mon exemple porte sur la communauté kanak, il pourrait être étendu aux autres communautés, soulevant ainsi le problème plus général de la participation et surtout de l'intérêt de la population calédonienne pour le débat institutionnel. Face à un débat complexe, le risque est celui d'une population spectatrice d'un choix préempté par les experts et la classe politique. Il faut indéniablement que l'État participe activement à l'information des Calédoniens, non seulement pour favoriser leur inscription sur les listes électorales, mais également pour susciter leur intérêt. Je voudrais souligner, à cet égard, la proposition formulée par M. Mélin-Soucramanien de créer des instances de dialogue avec la société civile. Sur ce point, tout est à penser et le territoire calédonien devra, comme à son habitude, inventer de nouvelles formes de participation.

La société civile calédonienne est riche. Historiquement, les forces religieuses et spirituelles, comme les autorités coutumières, ont toujours joué un rôle de réflexion et de médiation qui sera à nouveau précieux pour le débat qui s'annonce. La Nouvelle-Calédonie est en passe de surmonter les difficultés administratives et juridiques qui la préparent à la sortie de l'Accord de Nouméa, elle doit désormais retrouver le souffle politique qui a animé les discussions de 1988 et de 1998 pour éviter le retour de la violence et construire le destin commun de ses habitants.

Je conçois que cette communication paraisse technique. Si l'on porte une telle attention à la définition des listes électorales, c'est parce que la légitimité de la consultation repose sur la fiabilité du corps électoral.

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