Quant à la vision historique des auteurs du texte, que l’on peut découvrir dans l’exposé des motifs, elle me laisse perplexe. C’est au nom des principes du Conseil national de la Résistance et d’un système de protection sociale qui serait, aujourd’hui, à bout de souffle que cette proposition de loi est présentée. Chers collègues, revoyez votre histoire ! Quand les gouvernements issus de la Libération du pays ont fait le pari de créer la sécurité sociale, on ne pouvait pas trouver caisses plus vides !
En réalité, la création de ce que vous avez appelé « l’État providence » présentait un caractère dialectique particulièrement stimulant, car, voyez-vous, la sécurité sociale est à la fois portée par la croissance et moteur de cette croissance.
La proposition de loi, qui mélange législation sociale, code de la nationalité et droit pénal, est bien loin de faire honneur à notre Haute Assemblée.
En Alsace, les bénéficiaires du RSA ont reçu l’obligation de fournir des relevés de compte bancaire pour vérification, une démarche qui fait polémique, à juste titre.
Ces arguments stigmatisants visent sans doute à donner des gages à la droite la plus extrême, mais c’est vraiment jouer avec le feu.
Au reste, la démonstration concernant les économies réalisées est très chancelante – c’est le moins que l’on puisse dire.
Ainsi, le rapport d’information de Dominique Tian, député des Bouches-du-Rhône, publié en 2011, qui a inspiré une bonne partie des mesures prises en matière de lutte contre la fraude sociale, présente des chiffres contradictoires et fantaisistes. Il indique que « l’impact financier de la fraude représenterait entre 0, 91 % et 1, 36 % du montant total des allocations versées en 2009, soit entre 540 et 808 millions d’euros ». Quelques pages plus loin, il évoque une fraude aux alentours de 4 milliards d’euros… Vous apprécierez le grand écart !
Je veux rappeler que, selon le même rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires a estimé que la fraude aux cotisations imputable aux entreprises constituait un volume de pertes de recettes de 8, 4 milliards à 14, 6 milliards d’euros pour les premières années du XXIe siècle.
Quant à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, elle a estimé cette fraude, sur la base d’une étude de terrain et par extrapolation, entre 13, 5 milliards et 15, 8 milliards d’euros.
Cette réalité, c’est aussi celle des réseaux de travail illégal et dissimulé.
Cette réalité, c’est celle d’entreprises qui font de la fraude sociale un élément de la concurrence déloyale qu’elles imposent aux autres entreprises de leur secteur, respectueuses des droits de leurs salariés et des règles du jeu dans un État de droit.
Cette réalité, c’est celle que nous avons dénoncée lors du récent examen de notre proposition de loi invitant les 5 000 plus grandes entreprises de notre pays à rendre publics leurs comptes, pays d’implantation par pays d’implantation, pour que nous puissions faire le juste partage entre l’éthique, d’un côté, et la tricherie, de l’autre.
Cette réalité, on la retrouve également dans la volonté du P-DG de l’une de nos grandes banques commerciales de dissimuler au Sénat la réalité des services bancaires pour le moins particuliers rendus par son entreprise à des clients à la recherche de cieux fiscaux cléments...
Je constate, d’ailleurs, que vous n’avez voulu ni adopter notre proposition de loi ni même demander à la justice s’il y avait matière à poursuites.