Or il est aujourd’hui de bon ton, dans une certaine population, de vilipender le RSA. Certains, bien connus dans mon département, la Haute-Loire, vont même jusqu’à parler d’un « cancer » de notre société ! Comment est-il possible de parler ainsi d’un outil de solidarité qui honore notre pays ?
Que deviendraient ces femmes, ces mères de famille, ces veuves, ces divorcées n’ayant jamais pu travailler et qui se trouvent seules et sans ressources ? Que deviendraient toutes ces personnes sans emploi et qui ont perdu leurs droits à l’allocation chômage ? Je ne cite que ces deux exemples, mais il y en a tant d’autres…
Personne ne fait exprès d’être pauvre ; personne ne doit être stigmatisé en raison d’une situation subie. Or certaines dispositions de cette proposition de loi risquent de stigmatiser les bénéficiaires de la solidarité nationale.
Je veux ici parler de l’obligation de réaliser des travaux d’intérêt général en contrepartie du bénéfice du RSA. J’ai bien dit des travaux d’intérêt général, ceux-là mêmes qui sanctionnent un comportement illégal ! Si, au sein de cet hémicycle, nous savons qu’une même expression désigne ici des réalités différentes, nous devons être conscients de l’impact d’un tel rapprochement sur l’opinion publique.
En leur demandant de travailler gratuitement pour des collectivités ou des associations, ne risque-t-on pas de laisser à penser que ces personnes, frappées par le destin et entraînées dans le monde de l’exclusion, sont un poids pour notre société ? C’est un peu comme si elles avaient une dette à rembourser alors qu’elles sont victimes !
Ces gens sont des exclus, soit parce qu’ils ont traversé une trop longue période sans travailler, soit en raison de conduites addictives ou de troubles du comportement, par exemple. Nul ne sait ce qui se passe dans une maison quand les volets sont fermés, comme on dit en Haute-Loire... Lequel d’entre nous a-t-il le droit de juger son prochain ?
J’ai beaucoup appris sur l’insertion en tant que médecin, puis en tant que président de conseil départemental. Comme beaucoup d’entre vous qui le pratiquez au quotidien, j’ai appris qu’il s’agit d’un véritable métier pour l’élu. J’ai aussi compris une chose essentielle et fondamentale : entre le monde de l’exclusion et celui du travail, il existe un fossé très profond.
Or notre société a le devoir de constituer des passerelles, des ponts, de part et d’autre de ce fossé. C’est l’insertion par le travail, bien sûr, mais aussi par la vie familiale, le logement et la santé.
La solidarité nationale est un outil indispensable aux bénéficiaires des minima sociaux pour parvenir à reconstruire ces passerelles. Priver les allocataires du RSA du bénéfice du dispositif pendant l’instruction de leur dossier n’est pas de nature à reconstruire les ponts. Il ne faut pas que les plus démunis se retrouvent sans ressources pendant des mois.
Il ne s’agit pas pour moi de nier l’existence des fraudeurs. Ils existent, nul ne remet en cause ce fait, et doivent être punis, car ils discréditent notre solidarité nationale. Pour autant, suspecter tous ceux qui connaissent des difficultés d’être des fraudeurs serait grave et contre-productif. Notre société doit, au contraire, leur tendre la main ; les mettre à l’index ne reviendrait qu’à les isoler encore davantage.
Si l’on peut évidemment admettre que des comportements délictuels induisent la suspension de l’allocation, demander aux bénéficiaires de signer une charte n’est-il pas discriminatoire ? Ne risquerait-on pas de tomber dans les travers que je dénonçais ? Être un exclu rend-il automatiquement suspect d’être un mauvais citoyen, tenu de prouver le contraire à la société ?
Par ailleurs, s’il est normal que le président du conseil départemental, qui a la responsabilité de la compétence sociale, puisse avoir accès aux données des allocataires, il faut veiller à ne pas le transformer en une sorte de juge d’instruction.
En tenant compte de ces précautions, nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’échange de données afin de rendre les attributions plus adaptées et plus justes.
Affirmer le rôle du département comme chef de file de la compétence sociale est tout autant nécessaire. Éric Doligé, René-Paul Savary, Yves Daudigny, Georges Labazée, Yves Rome, moi-même et bien d’autres nous sommes battus pendant des années, sous deux gouvernements, pour résoudre le problème du financement du RSA, beaucoup trop lourd pour les assemblées départementales. J’espère que l’Assemblée des départements de France va enfin trouver un bon compromis avec l’État, car il ne faut pas qu’un problème financier interfère avec un problème social.
Dans ce contexte, la lutte contre la fraude sociale peut recouvrir le pire comme le meilleur : le meilleur, si les mesures proposées ont pour but de sauvegarder un dispositif social fondamental, d’éviter le discrédit et de respecter la dignité humaine des bénéficiaires ; le pire, par contre, s’il ne s’agit que d’un marqueur politique visant à exacerber le climat de tension existant au sein de notre société et à opposer les uns aux autres.
Vous l’aurez compris, je ne saurais voter une proposition de loi pouvant laisser entendre que le rôle essentiel de notre société n’est plus de tendre la main à ceux qui sont abandonnés sur le bord de la route – et je sais que la majorité de mes amis du groupe UDI-UC pensent comme moi.