Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte adopté et présenté par notre commission des affaires sociales a le mérite d’être – je vous cite, madame la rapporteur – « profondément remanié sur la forme ». De fait, il était si confus et comportait tant d’erreurs de rédaction qu’il a été entièrement réécrit.
Toutefois, cette réécriture préserve, bien qu’atténuées, l’essentiel des mesures proposées. Elles sont de trois ordres : réduire l’accès au revenu de solidarité active, soumettre son bénéficiaire à l’exécution d’un travail d’intérêt général et à un contrôle du respect des principes et valeurs de la République, donner au conseil départemental le droit de suspendre l’allocation in limine litis, avant que l’intéressé ne soit entendu.
Il nous faut bien constater que cette proposition de loi, qui vise, selon son intitulé, « à améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale », ne comporte aucune mesure d’amélioration. Quant aux allocations et prestations sociales existantes, seul le RSA est concerné.
Améliorer les droits aurait supposé de traiter du problème du non-recours qui touche un tiers des bénéficiaires potentiels, socialement les plus vulnérables et ne demandant rien. Or cette proposition de loi n’en fait nulle mention. Pourquoi n’avoir pas annoncé d’emblée la couleur et intitulé ce texte, conformément à son unique objet, proposition de loi visant l a fraude au RSA ?
Les mesures qui nous sont soumises dans ce périmètre restreint sont-elles justifiées ? On comprend mal la logique qui conduit, dans la lutte contre la fraude, à focaliser l’attention et à concentrer les mesures spécifiques sur l’un des points d’entrée le plus faible quantitativement.
La délégation nationale à la lutte contre la fraude développe une démarche totalement inverse et cible prioritairement les fraudes les plus importantes grâce aux outils de data mining.
Ces méthodes sont également celles des comités opérationnels départementaux anti-fraude et des caisses d’allocations familiales délégataires, qui ont un large accès aux fichiers de données et au répertoire national commun de la protection sociale.
Des conventions de partenariat, l’une entre la CNAF, la police et la gendarmerie, l’autre avec le ministère des affaires étrangères, ont également été signées sur les typologies de fraude les plus difficiles à repérer.
Le rôle que cette proposition de loi entend faire jouer aux conseils départementaux sur le seul RSA apparaît pour le moins dérisoire au regard des services et des moyens d’ores et déjà dédiés à la lutte contre la fraude dans son ensemble.
Au surplus, comme le relève la Cour des comptes dans le référé transmis en septembre 2015 au Premier ministre à la suite de l’enquête menée sur l’ensemble des minima sociaux, le RSA est une allocation qui se caractérise déjà « par un régime comparativement restrictif » et apparaît comme « le dispositif le plus contrôlé ».
Il y a moins de logique encore à proposer la création de cellules de contrôle, ce qui nécessiterait l’engagement de nouvelles dépenses de fonctionnement, et à soutenir en même temps des programmes annonçant la suppression, l’un de 300 000, l’autre de 500 000, le dernier d’un million, de postes de fonctionnaires !
Par ailleurs, ce texte s’inscrit – je vous cite encore, madame la rapporteur – dans « un environnement en pleine mutation et non encore stabilisé, sur fond de négociations entre l’État et les départements en vue de la nationalisation de tout ou partie du financement du RSA ».
Un travail de fond est donc mené, en concertation avec les départements, pour réduire la complexité et accroître l’efficacité du revenu de solidarité active.
Plus largement, le rapport Sirugue, remis le 18 avril dernier au Premier ministre, prolonge les recommandations de la Cour des comptes, qui préconise le regroupement des minima sociaux autour de trois grandes allocations et une harmonisation des modalités de prise en compte des ressources pour la liquidation des droits.
Au mieux contre-productive, au pire inutile, dans tous les cas à contretemps et hors de propos à l’heure où s’engage une réforme d’ensemble des minima sociaux… Comment ne pas s’interroger sur les raisons d’être de cette proposition de loi dont les auteurs n’ignorent rien du contexte actuel ?
L’exposé des motifs invoque un système de protection sociale « à bout de souffle » et une sécurité sociale aux « marges de manœuvre fortement réduites ». Faux ! La publication des comptes des caisses mi-mars démontre que nos finances sociales connaissent leur meilleure situation depuis douze ans, et ce sans nouveau déremboursement ni réduction des prises en charge. Cet argument n’est donc pas recevable.
Dans ce même exposé, la nécessité de préserver notre pacte républicain, issu des principes posés par le Conseil national de la Résistance, est aussi mise en exergue et en regard d’un système qualifié de « généreux ». C’est entretenir une étrange contradiction entre une organisation fondée sur des droits reconnus à tout être humain et une organisation fondée sur une libéralité qui attribuerait au-delà de ce qui est dû. Est-ce ce même raisonnement qui justifierait l’instauration d’une contrepartie sous forme de travail d’intérêt général ?
L’imposition d’un service social n’est pas nouvelle. En 2011 – année de mon entrée dans la Haute Assemblée – le père du RSA, Martin Hirsch, l’analysait sans appel : « C’est absurde. La création du RSA vise justement à en finir avec l’assistanat. Contrairement aux RMIstes, les allocataires du RSA sont obligés, sauf problème de santé grave, de rechercher un emploi ». Et Martin Hirsch d’ajouter : « On n’a pas le droit de faire croire des choses fausses aux Français. Même quand on est en campagne électorale, tous les coups ne sont pas permis ! »
On ne saurait mieux qualifier la présente proposition de loi.