Intervention de François Rebsamen

Commission d'enquête Chiffres du chômage — Réunion du 25 mai 2016 à 14h05
Audition de M. François Rebsamen ancien ministre du travail de l'emploi et du dialogue social

François Rebsamen, ancien ministre du travail de l'emploi et du dialogue social :

Merci de me recevoir. Comment les chiffres mensuels de Pôle emploi sont-ils élaborés ? Cela s'articule autour de quatre étapes. D'abord un appel à actualisation, permettant de sélectionner les personnes pour lesquelles une actualisation de leur situation est attendue : des déclarations de situation mensuelle sont envoyées, autrefois uniquement par courrier, mais cela ne représente plus aujourd'hui que 2 % des cas, le reste étant dématérialisé le 28 du mois à minuit - le 26 en février. Puis débute la période d'actualisation : les demandeurs d'emploi déclarent leur situation par des canaux là encore de plus en plus dématérialisés : internet pour 80 %, application mobile pour 6 % des cas, téléphone par un appel au 39 49 pour 14 %, ou bornes dans les agences pour 1 % - ce qui n'est pas rien, au vu des nombres - et autant pour le papier. Vient ensuite la relance par SMS pour éviter les oublis ou par message vocal ou courrier pour ceux qui se déclarent traditionnellement par courrier. Enfin arrive la clôture, qui intervient le 15 du mois suivant à minuit : les demandeurs d'emploi n'ayant pas répondu se voient alors notifier leur défaut d'actualisation.

Quelles vérifications sont effectuées à chaque étape ? Des comparaisons avec les données du mois précédent ou de l'année précédente sont faites pour le volume d'appel, le volume d'actualisation, les prévisions de radiation. Les flux reçus par des sous-traitants sont aussi contrôlés. La procédure de relance fait l'objet d'un suivi spécifique avec des indicateurs d'aboutissement des relances, sur lesquels il a pu y avoir quelques problèmes. Les taux de retour et de réinscription sont aussi contrôlés. Les clôtures sont comparées aux autres campagnes équivalentes. Tout cela fonctionne sans aucune intervention du ministre, quel qu'il soit.

Deux incidents importants sont à noter dans la période récente donnant lieu à des statistiques étonnantes. Lors de la première, en septembre 2013, Michel Sapin étant ministre, aucun SMS de relance des télé-déclarants n'avait été envoyé. Le prestataire SFR a depuis renforcé son outil, transmettant des informations à Pôle emploi avant, pendant, et après l'actualisation et procédant à une simulation de la relance par SMS avant exécution, le tout étant contrôlé par des comités de suivi. Un nouvel appel d'offre juste avant mon départ du ministère pour désigner le prestataire pour les opérations de relance, a retenu de nouveau SFR, ce qui a entériné ces améliorations.

Le deuxième épisode date de mai 2015. Pôle emploi a constaté alors que le nombre de demandeurs d'emploi ayant actualisé leur situation était plus faible que d'ordinaire. Voyant qu'il y avait moins de chômeurs, Pôle emploi a paniqué : il en avait perdu l'habitude !

Cela arrivait pourtant après un trimestre lui aussi surprenant affichant 0,7 % de croissance - il était logique que cela se voie quelque part dans les chiffres de Pôle emploi. Ce dernier a toutefois considéré, sans en référer à personne - m'a-t-on dit - qu'un deuxième SMS de relance devait être envoyé. De mémoire, il y avait 45 000 demandeurs d'emploi inscrits en moins. Ce deuxième SMS n'ayant rien donné le dimanche soir, veille ou avant-veille de l'annonce du chiffre, un troisième a été envoyé le lundi. Résultat, il y a eu beaucoup plus d'inscrits nouveaux que d'habitude, ce qui - à mon avis de ministre - ne correspondait pas à la situation économique. Je n'ai jamais su qui avait pris la responsabilité d'envoyer ces SMS supplémentaires... On aurait pu continuer à en envoyer ! Même le directeur général de Pôle emploi n'était pas au courant.

L'explication officielle de cette baisse initiale des actualisations est qu'il s'agissait d'un des mois de mai comportant le plus de ponts, ce qui expliquerait que les demandeurs d'emplois ne s'actualisent pas.... À la suite de cet incident, il a été décidé de changer le calendrier qui était auparavant fixé en fonction du nombre de jours ouvrés, ce qui faisait varier la période - cela datait de la période où tout se faisait par papier, le cachet de la poste faisant foi. L'actualisation, dématérialisée à 99 %, peut aujourd'hui avoir lieu n'importe quel jour de la semaine, y compris les jours ouvrés, surtout pour des demandeurs d'emploi... La clôture a donc toujours lieu le 15 du mois à 23 h 59.

Devant ces mouvements erratiques, j'ai demandé une mission à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). D'après son rapport, les demandeurs d'emploi de catégorie C - qui travaillent plus de 78 heures dans le mois - représentent 20 % des catégories A, B et C, soit un peu plus d'un million. Ce chiffre, qui augmentait peu jusqu'à octobre 2014, a connu une augmentation très dynamique depuis lors, dont un peu moins de la moitié est le fait de demandeurs d'emploi qui travaillent + de 150 heures par mois dans des secteurs donnés : industrie, transport et logistique, services à la personne. Il faut savoir que près de 40 % des demandeurs d'emploi de catégorie C, soit 400 000 personnes considérées comme des chômeurs, travaillent en réalité à temps plein ou ont travaillé à temps plein sur l'année qui précède. Cette évolution pourrait traduire des changements en partie structurels : soit la pratique des employeurs, soit l'offre des services opérateurs de Pôle emploi, soit de nouvelles règles adoptées par les partenaires sociaux comme sur l'assurance chômage - car cela a un impact fort sur les chiffres du chômage.

L'Igas a obtenu de l'Insee une analyse spécifique sur l'augmentation constante depuis 2009 du nombre d'actifs en activité s'inscrivant comme demandeurs d'emploi, dont la proportion est passée de 3 % au 1er semestre 2009 à 6 % au 1er semestre 2015. Le rôle de l'évolution structurelle du marché du travail a été confirmé par les données relatives au flux d'embauche : la rotation de main d'oeuvre est plus forte depuis 2009, car les employeurs ont davantage recours aux contrats courts, fragilisant la situation de chacun. Le fait d'être inscrit à Pôle emploi dépend en fait de nombreux facteurs : conditions d'indemnisation, offres de services de Pôle Emploi, procédures d'inscription. La convention d'assurance chômage de mai 2014 a assoupli à partir d'octobre de la même année les conditions de cumul entre l'indemnisation du chômage et un revenu d'activité, en supprimant des seuils, ce qui devrait expliquer au moins en partie la hausse du nombre d'inscrits en catégorie C - même si l'absence de recul suffisant empêche de l'affirmer sans contestation.

Au-delà de la mission de l'Igas, Pôle emploi a réalisé une enquête en mars 2015 auprès des demandeurs d'emploi de catégorie C présents en janvier. Parmi ceux d'entre eux qui travaillent à temps complet, 11 % étaient en période d'essai, mais 24 % avaient au moins un contrat de 6 mois devant eux - tout en étant considérés comme chômeurs ! Parmi ceux qui travaillent à temps complet, 87 % déclarent rechercher un meilleur emploi - ce qui explique la divergence avec les statistiques du chômage au sens du BIT ; 60 % d'entre eux disent s'actualiser pour ne pas avoir à refaire des démarches administratives en cas de perte de leur emploi ; 43 % le font pour bénéficier des services connexes de Pôle emploi tels que les conseils, les ateliers, les offres d'emplois, l'information sur les formations disponibles ; 27 % le font parce qu'ils croient à tort que c'est obligatoire - chacun tirera les conclusions qu'il voudra de ce dernier chiffre.

Des entretiens ont été réalisés auprès des conseillers. Selon ces acteurs de terrain, les demandeurs d'emploi ne s'actualisent pas de peur de s'exposer à une radiation, mais aussi par crainte de délais plus longs occasionnant des retards de paiement en cas de ré-adhésion. S'actualiser représente une sécurité face à des dates de fin de contrat parfois aléatoires. On peut supposer, dans ces conditions, que plus ils sont sollicités pour s'actualiser - je pense aux trois SMS - plus ils sont inquiets et s'actualisent même s'ils sont en situation d'emploi.

On me prête toutes sortes de propos ... j'aurais dit qu'on ne comprenait rien à l'écart entre les deux chiffres du chômage.

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