Intervention de Jérôme Bignon

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 1er juin 2016 à 9h35
Ratification de l'accord de paris — Examen du rapport pour avis

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon, rapporteur :

Nous avons aujourd'hui à donner notre avis sur la ratification d'un accord international que l'on peut qualifier d'historique : l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 à l'issue de la COP 21.

La dernière fois que j'ai eu l'occasion de parler d'un accord sur le climat devant vous, c'était en décembre 2014, à l'occasion de la ratification par la France de l'amendement au protocole de Kyoto prévoyant une deuxième phase d'engagements, de 2013 à 2020. Il s'agit ici de permettre l'entrée en vigueur de l'accord de Paris qui s'appliquera à compter de 2020, sauf mise en oeuvre anticipée.

L'accord de Paris est le résultat d'une méthode d'élaboration unique et constructive. Les précédentes négociations avaient échoué lorsque les décisions venaient d'en haut et que les États refusaient de les appliquer. L'enjeu était donc très fort. Pour éviter les difficultés ou les erreurs du passé, et notamment celles mises en évidence par exemple lors de la COP 15 à Copenhague, la diplomatie française a travaillé toute l'année, en lien avec la présidence précédente du Pérou, selon une méthode originale dans les négociations climatiques. Pour la première fois, la logique a été de partir d'en bas, c'est-à-dire des États, selon une démarche bottom-up. Chaque État a dû soumettre sa contribution nationale à l'effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'objectif étant, une fois les contributions additionnées, de parvenir à un résultat soutenable pour la planète.

Les négociations préparatoires à la COP 21 et durant les deux semaines qu'a duré la conférence ont été très inclusives, qu'il s'agisse de prendre en compte tous les États, quelles que soient leur taille, leur population, leur situation géographique, mais également la société civile, c'est-à-dire les entreprises, les collectivités locales, les ONG, les associations. La société civile a joué un rôle à part entière dans les négociations, pour la première fois dans l'histoire de cette convention des Nations unies sur le climat.

Les Parlements ont également été associés, quoique peut-être encore insuffisamment, et c'est d'ailleurs un des points sur lesquels le Maroc a annoncé souhaiter être attentif à la COP 22.

Le Sénat a contribué à la position française en soulignant le rôle déterminant des territoires, à la fois en première ligne face aux dérèglements climatiques et comme principaux porteurs de solutions, notamment en matière d'adaptation. Nous avons adopté une résolution à l'unanimité en ce sens le 16 novembre 2015. Il est désormais reconnu et admis que 80 % des mesures requises pour l'application de l'accord de Paris seront mises en oeuvre par les territoires.

La réunion de l'Union interparlementaire qui s'est tenue à l'Assemblée nationale puis au Sénat a conduit, sur le rapport du président Maurey, à l'adoption le 6 décembre 2015 d'une résolution annexée à l'accord de Paris.

Nous ne pouvons que saluer la diplomatie française, qui a permis d'aboutir à un accord ambitieux.

L'élément clef de l'accord est l'objectif de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de s'efforcer de la limiter à 1,5°C. La référence à cet objectif inférieur à 2°C traduit toute l'ambition de l'accord et était un des points cruciaux pour obtenir la signature des États insulaires, pour lesquels il s'agit d'une question de survie. À 2°C de réchauffement, les petits États insulaires seront submergés.

L'accord vise également à renforcer les capacités d'adaptation et la résilience aux changements climatiques, notamment pour les pays ou les groupes de population les plus vulnérables. Pour cela, il faudra intensifier la coopération internationale dans plusieurs directions : échange d'expériences, appui et conseil technique, ou encore amélioration des connaissances scientifiques.

L'accord a vu les parties reconnaitre la nécessité d'éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques. C'est une question au centre des négociations depuis la conférence de Varsovie de 2013.

L'accord comporte par ailleurs un volet financier, selon lequel les pays développés fournissent des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement. Ce soutien financier doit être équilibré entre atténuation et adaptation.

La mise en oeuvre de l'accord repose sur un cadre de transparence visant à renforcer la confiance entre les parties. C'était un point délicat des négociations : sans s'ingérer dans la gestion interne des États, il fallait imposer le principe de la transparence pour s'assurer de la bonne application de l'accord. Une clause de révision engage les parties à actualiser et à faire progresser leurs engagements nationaux tous les cinq ans.

Enfin, tous les pays sont appelés à publier avant 2020 des stratégies bas-carbone de long terme, à l'horizon 2050.

Il s'agit donc véritablement d'un accord universel, ambitieux et équitable. Pour savoir s'il s'agira bien d'un accord juridiquement contraignant, il convient de faire le point sur le processus de ratification en cours.

Conformément à ce qui est prévu dans l'accord, il entrera en vigueur 30 jours après avoir été ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À ce stade, 17 parties ont déjà ratifié l'accord. La Chine et les États-Unis, qui représentent 38 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, se sont engagés à le ratifier dès 2016.

En Europe, la ratification des 28 États membres est nécessaire pour que l'Union européenne en tant que telle puisse déposer son instrument de ratification. La Hongrie a ratifié la première l'accord la semaine dernière. Notre pays pourrait être le deuxième en Europe. Le projet de loi de ratification que nous examinons ce matin a déjà été adopté à l'Assemblée nationale, le 17 mai dernier, et devrait être définitivement adopté par le Parlement le 8 juin, à l'issue de son passage en séance publique au Sénat. J'ai été invité par le président Raffarin à assister aux travaux de la commission des affaires étrangères en présence de Hakima El Haité, ministre de l'environnement du Maroc, et de Laurence Tubiana, championne française pour le climat. Je vous renvoie au compte-rendu de cette réunion qui a donné lieu à des échanges très intéressants.

Au vu de tous ces éléments, je vous propose bien évidemment d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi de ratification de l'accord de Paris.

Cette ratification est l'occasion de faire le point sur le chemin qui reste désormais à parcourir d'ici à la COP 22 et plus largement, d'ici à l'entrée en vigueur de l'accord en 2020. Plusieurs points présents dans l'accord de Paris demandent encore des précisions et des négociations pour pouvoir être mis en oeuvre.

Chaque État partie a soumis une contribution nationale à l'effort de lutte contre le changement climatique, selon la méthode bottom-up. À ce stade, ces contributions sont insuffisantes pour atteindre l'objectif fixé dans l'accord. L'enjeu sera leur traduction concrète par chaque pays, notamment dans le cadre de législations adaptées. En Europe, il faudra déterminer la répartition de l'effort entre les différents pays. Autre enjeu par rapport à ces contributions : la mise en place de mécanismes de transparence et de suivi, dont le principe a été acté à Paris mais dont les modalités concrètes restent à définir.

L'adaptation au changement climatique et le mécanisme de pertes et préjudices restent un enjeu central dans les négociations, avec les pays en développement notamment.

Le financement de l'accord de Paris est un autre sujet déterminant. Le financement est fortement lié à l'adaptation. Il s'agit d'ici à la COP 22 d'établir la feuille de route permettant la mobilisation des 100 milliards de dollars que les pays développés devront fournir chaque année aux pays en développement à compter de 2020.

En plus de ces sujets à préciser pour rendre l'accord de Paris opérationnel, certaines problématiques laissées en marge de l'accord doivent désormais faire l'objet de négociations, notamment la question de l'instauration d'un prix mondial du carbone, et son corollaire, l'inclusion des transports, en particulier l'aviation civile, dans l'effort de lutte contre le changement climatique. Il y a également la mise en valeur des océans et leur capacité à capter le carbone. Je vous signale à ce titre la publication prochaine d'un rapport intermédiaire du GIEC sur cette question.

Nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces points lors du colloque organisé jeudi 9 juin prochain à l'initiative du président Hervé Maurey et qui réunira des personnalités et des experts de renom.

La ratification de l'accord de Paris ne constitue qu'un premier pas dans cette année remplie de défis. C'est un signal important pour maintenir la dynamique lancée à Paris, mais il nous faudra, tous, rester vigilants et mobilisés pour que, de la prise de décision, nous passions désormais à l'action.

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