Nous sommes aujourd'hui invités à nous prononcer sur une proposition de résolution adoptée jeudi dernier par la commission des affaires européennes et dont le principal objet est de recommander au gouvernement, dans la lignée de notre rapport de l'année dernière - dont, je le rappelle, notre collègue Gaëtan Gorce était aussi co-rapporteur-, de favoriser le dialogue et un allègement progressif et partiel du régime de sanctions applicables à l'encontre de la Russie.
L'Union européenne, je le rappelle, avait, comme d'autres pays occidentaux, et notamment les Etats-Unis, adopté ces sanctions en réaction aux actions commises par la Russie en Ukraine, en violation du droit international, à travers l'annexion, en mars 2014, de la Crimée et le soutien apporté, à compter d'avril 2014, au mouvement séparatiste dans le Donbass. Une première vague de sanctions est adoptée en mars 2014. Elle se compose de sanctions diplomatiques et politiques (notamment la suspension des négociations en vue d'un nouvel accord UE-Russie, des sommets officiels UE-Russie ou bilatéraux entre les Etats membres et la Russie) et de sanctions individuelles consistant à interdire l'octroi de visas et à geler les avoirs d'un certain nombre de personnes ou entités exerçant des responsabilités exécutives en Crimée ou ayant apporté leur soutien à son annexion par la Russie. Peu après, des mesures restrictives spécifiques sont prises à l'encontre du développement économique de la Crimée. Puis à l'été 2014, un train de sanctions économiques est adopté en deux temps en réponse à la dégradation de la situation à l'est de l'Ukraine, après le crash de l'avion MH17. Ces sanctions économiques - dites sectorielles - consistent en une limitation de l'accès des banques et grandes entreprises d'Etat russes aux marchés financiers et aux capitaux européens (mesure qui, soulignons-le-, est celle qui pénalise le plus l'économie russe), en un embargo sur le commerce d'armement et en une restriction des exportations de technologies dans le secteur énergétique. La liste des personnes et entités soumises à des sanctions ciblées est, quant à elle, complétée à plusieurs reprises, au titre tantôt d'un soutien à l'annexion de la Crimée, tantôt en relation avec les événements se déroulant dans le Donbass.
En réaction à ces sanctions, la Russie a elle-même adopté des contre-mesures, décrétant, le 7 août 2014, un embargo sur de nombreux produits agro-alimentaires fournis par les pays occidentaux, renouvelé depuis jusqu'en août 2016, ainsi qu'une « liste noire » de personnalités non autorisées à se rendre sur le territoire russe.
Je précise tout de suite que l'embargo sanitaire russe sur les porcs n'a rien à voir avec l'Ukraine puisqu'il a été imposé en janvier 2014 avant le déclenchement de la crise et en lien avec la peste porcine africaine.
Les sanctions européennes sont à l'évidence un moyen de pression, et sans doute le seul. Elles doivent être vues comme un moyen de pression en vue de parvenir à une normalisation de la situation, c'est-à-dire un règlement politique du conflit en Ukraine. Et c'est d'ailleurs le seul instrument dont nous disposions - qui envisageait sérieusement de s'opposer militairement à la Russie ?
Le lien entre l'application des sanctions et le règlement du conflit est d'ailleurs explicitement établi par le Conseil européen du 19 mars 2015, qui conditionne leur levée à une application intégrale des accords de Minsk du 12 février 2015. Ces accords, négociés dans le cadre du format dit « de Normandie », dans lequel la France et l'Allemagne, avec la Russie et l'Ukraine, ont joué un rôle déterminant, constituent une feuille de route complète, traitant à la fois des questions institutionnelles et de la situation sur le terrain, dont l'objectif est de parvenir à une résolution de la crise.
Force est de constater que ce n'est pas chose facile, malgré tous les efforts déployés par les médiateurs et les heures passées à débattre au sein des groupes de travail thématiques chargés, sous la houlette de l'OSCE, de la mise en oeuvre du « paquet de mesures ». Le seul groupe de travail politique, présidé par l'ambassadeur Pierre Morel, s'est ainsi déjà réuni 36 fois depuis sa mise en place.
Certes, on doit saluer les avancées enregistrées : la signature et la mise en oeuvre d'un protocole sur le retrait des armes légères, la progression du déminage, le rétablissement du paiement des pensions et les solutions pratiques trouvées pour permettre des opérations bancaires à l'est, le lent redémarrage de l'activité économique et des échanges.... La dernière avancée en date étant, la libération, la semaine dernière (le 25 mai) de la pilote ukrainienne Nadia Savtchenko, en échange de celle de deux militaires russes présumés.
Pour autant, la situation sécuritaire reste fragile. On a cru, à l'automne dernier, que l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu le 1er septembre 2015 constituerait une étape décisive. Celui-ci n'a, en réalité, tenu que quelques semaines. Très vite, les heurts ont repris, avec une intensité accrue depuis l'hiver dernier, avant que les parties s'accordent, sur un nouveau cessez-le-feu entré en vigueur le 1er mai dernier. Les violations ne s'en poursuivent pas moins de manière localisée sur trois points de fixation au contact entre séparatistes et Ukrainiens. Par ailleurs, des progrès importants doivent encore être faits en matière de déminage (les mines étant désormais responsables de la plupart des décès) et concernant le retrait des armes lourdes, sujet qui, jusqu'à présent, n'a pu faire l'objet d'un accord entre les parties.
Ces tensions persistantes sur le terrain ne favorisent bien évidemment pas la mise en oeuvre du volet politique des accords, les responsabilités étant sur ce point partagées. Il y a, bien sûr, celle de l'exécutif ukrainien qui ne parvient pas à accomplir les deux réformes institutionnelles prévues par les accords, à savoir la révision constitutionnelle relative à la décentralisation, qui a été votée en première lecture, et l'instauration d'un statut spécial pour les territoires de l'est, qui est adopté mais pas mis en oeuvre.
L'autre problème est celui des élections locales dans ces territoires, qui ne peuvent se tenir faute d'un projet de loi sur lequel les parties n'arrivent pas à se mettre d'accord. Les discussions achoppent sur des points sans doute assez techniques, mais aussi politiques et dont les séparatistes font des points de blocage, en refusant par exemple la participation des partis ukrainiens ou la présence des médias ukrainiens dans la campagne.
On le voit, la situation reste difficile et, pour tout dire, relativement bloquée malgré de récents progrès. Dans ce contexte, quelles sont les échéances s'agissant des sanctions ? Comme vous le savez, elles expirent, le 31 juillet prochain pour les sanctions économiques, et le 15 septembre prochain pour les sanctions individuelles, les sanctions diplomatiques n'ayant pas d'échéance. La question de leur renouvellement sera à l'ordre du jour du Conseil européen des 28-29 juin prochains.
Le renouvellement des sanctions suppose, rappelons-le, une décision unanime de la part de l'ensemble des Etats membres. Les pays d'Europe orientale, les Baltes et le Royaume-Uni sont résolument hostiles à la levée des sanctions, alors que la France et l'Allemagne seraient assez ouvertes à un allègement si des progrès réels étaient constatés.
Ce que nous souhaitons, c'est bien évidemment la mise en oeuvre rapide des accords de Minsk, dont le calendrier, initialement fixé au 31 décembre 2015, a malheureusement déjà dû être reporté. Autrefois l'une des régions les plus prospères d'Ukraine, le Donbass périclite aujourd'hui et le conflit de basse intensité qui s'y déroule constitue un frein au développement non seulement de ce territoire mais aussi du reste de l'Ukraine, et n'est pas sans affecter aussi l'économie russe. De notre côté - et Robert Del Picchia y reviendra -, nous n'avons pas non plus intérêt au maintien durable des sanctions.
L'adaptation du régime des sanctions à l'encontre de la Russie ne pourrait-elle pas, dès lors, constituer un levier permettant des avancées et l'amorce d'une dynamique positive en vue du règlement du conflit ? C'est ce que suggère le projet de résolution qui nous est soumis et qui reprend en tous points le dispositif que mes collègues Robert del Picchia, Gaëtan Gorce et moi proposions dans notre rapport « France-Russie : pour éviter l'impasse », rapport que vous aviez, mes chers collègues, adopté à la quasi-unanimité. Nous ne pouvons donc que vous inviter à adopter cette proposition de résolution.