Intervention de Robert del Picchia

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er juin 2016 à 9h05
Régime de sanctions de l'union européenne à l'encontre de la fédération de russie — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia, rapporteur :

Comme vient de le rappeler Josette Durrieu, cette initiative s'inscrit effectivement dans la droite ligne de notre rapport d'information publié en octobre dernier. C'est en quelque sorte la déclinaison de notre proposition figurant en page 94 du rapport. Elle va aussi dans le sens du dialogue que nous avons ouvert depuis, en phase avec la présidence du Sénat, avec nos homologues du Conseil de la Fédération de Russie.

Il ne s'agit pas de nier les violations du droit international commises par la Russie ni de passer par pertes et profit l'annexion de la Crimée. Le texte de la résolution est clair là-dessus, au considérant 14 en particulier. Mais reconnaissons que si les sanctions ont constitué, au moment où elles ont été prises, un signal fort et une manifestation indispensable de la fermeté européenne, elles n'ont jusqu'à présent pas permis d'avancée significative dans le sens d'un règlement du conflit.

Il est d'ailleurs difficile d'évaluer dans quelle mesure ces sanctions pèsent sur l'économie russe, qui est simultanément affectée par la baisse significative des cours du pétrole ; nous percevons nettement, en revanche, l'impact négatif que nous subissons, en retour, du fait des contre-mesures russes et notamment de l'embargo qu'elle oppose à nos produits agricoles. Embargo qu'elle applique, au demeurant, de manière très extensive, en y intégrant des mesures d'ordre sanitaire adoptées antérieurement, qui n'ont rien à voir avec l'Ukraine et qui pénalisent dramatiquement notre filière porcine alors que la peste porcine africaine n'est pas présente dans les élevages français. Il est indispensable que, sur ce point, notre gouvernement se montre encore plus offensif compte tenu de la situation sanitaire.

Nous mesurons l'impatience des acteurs économiques aussi bien français que russes, de retrouver un environnement d'affaire favorable : nos agriculteurs souffrent de la perte de débouchés, les entreprises russes de la difficulté d'accéder à des financements... Et nous sommes bien conscients aussi des risques de long terme liés la pérennisation de la situation actuelle, la perte de contrats et de marchés étant souvent irréversible.

Par ailleurs, les sanctions individuelles qui touchent les parlementaires nous semblent constituer un obstacle à la reprise du dialogue, qui était le coeur du message de notre commission, en les privant de la possibilité de se rendre sur le territoire des Etats européens. Il me semble qu'une différence de traitement s'impose entre les parlementaires russes de la Douma et du Conseil de la Fédération et les personnes sanctionnées au titre de responsabilités exécutives directes en Crimée, dans le Donbass ou en Russie. Même s'il existe des possibilités de dérogations, cette mise à l'index de personnes n'ayant pas pris directement part aux événements que nous condamnons, nous semble inutilement humiliante et même contre-productive. Sur les 146 personnes listées sous sanction, une trentaine seulement sont des parlementaires russes.

Enfin, comme nous l'avions montré dans notre rapport, la Russie est un interlocuteur incontournable sur la scène internationale, avec lequel nous avons besoin de coopérer pour gérer et résoudre de nombreuses crises, notamment au Moyen-Orient, et dont nous voudrions qu'elle soit un partenaire stratégique. La pérennisation des sanctions et contre-sanctions constitue indéniablement un frein à la relance des relations UE-Russie.

J'en viens à présent au texte de la résolution, qui, comme l'a souligné Josette Durrieu, constitue une proposition équilibrée.

L'adaptation du régime de sanctions se fonde sur un dispositif à trois étages prévoyant :

- en premier lieu, à l'alinéa 17, l'allègement progressif et partiel des sanctions économiques sectorielles en fonction de progrès significatifs et ciblés dans la mise en oeuvre des accords de Minsk (alors que la position actuelle est : aucun allègement avant l'application intégrale et totale des accords) ;

Des progrès « significatifs » pourraient être, à mon sens, un accord sur le projet de loi électorale, permettant son adoption dans des délais rapides, et l'observation d'un vrai cessez-le-feu pendant plusieurs semaines consécutives. Nous n'en sommes pas si loin et cette résolution pourrait montrer le chemin à suivre ;

- deuxième étage du dispositif, une réévaluation des sanctions diplomatiques et politiques, qui, soulignons-le, ne sont juridiquement pas liées à la mise en oeuvre des accords de Minsk. Il me semble que nous pourrions, en effet, tenir compte de l'évolution favorable du climat dans lequel s'inscrivent nos relations et envisager la reprise de discussions en vue de la tenue de réunions bilatérales de haut niveau entre la Russie et les Etats membres. Notons, à cet égard, que les relations entre la France et la Russie ont progressé dans cette direction, avec la tenue, en janvier dernier, du Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC) qui ne s'était pas réuni depuis septembre 2013 et plus récemment celle de la commission culturelle franco-russe ;

- enfin, troisièmement, une levée immédiate des sanctions individuelles visant les parlementaires russes ; comme les sanctions diplomatiques et politiques, ces sanctions ne sont juridiquement pas liées à l'application des accords de Minsk, même si elles le sont politiquement ; leur levée immédiate est donc possible pour peu que les Etats membres le décident. Les parlementaires russes représentent une trentaine de personnes sur les 146 qui sont sanctionnées. Une telle mesure serait, comme je l'ai dit, de nature à favoriser un approfondissement du dialogue.

Cette résolution rappelle, par ailleurs, la position responsable que le Sénat entend défendre ; il y exprime, en effet, son regret que la Russie ait autorisé le recours à la force sur le territoire ukrainien, son attachement à l'intégrité territoriale, à la souveraineté et à l'indépendance de l'Ukraine et sa condamnation de l'annexion de la Crimée.

Tel est donc le contenu de cette proposition de résolution qui explore toutes les marges de manoeuvre disponibles pour adapter le régime de sanctions, dans un esprit de responsabilité et sans ignorer - comme certains seraient tentés de le faire - les accords de Minsk. Ceux-ci demeurent, en effet, la pierre angulaire de la résolution du conflit en Ukraine et la France, puissance garante de l'application de ces accords, ne saurait s'en départir.

Nous voulons croire qu'un tel dispositif serait de nature à enclencher un cercle vertueux encourageant la Russie à oeuvrer à la résolution du conflit. Il faut rappeler, à cet égard, que dans le régime actuel, la levée des sanctions dépend aussi des progrès attendus de la partie ukrainienne.

Nous espérons qu'il déboucherait aussi sur l'allègement, réciproquement, des contre-mesures dirigées contre les Etats membres de l'Union européenne.

En conclusion, je ne peux que vous inviter, mes chers collègues, à voter en l'état ce texte dont chaque mot a été pesé pour proposer une rédaction équilibrée. Il constitue, à notre sens, une opportunité de faire évoluer les choses en même temps qu'un signal politique de notre aspiration à renouer une relation forte avec la Russie.

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