Intervention de Claude Malhuret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er juin 2016 à 9h05
Régime de sanctions de l'union européenne à l'encontre de la fédération de russie — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Sur la procédure, il y a effectivement un problème, il aurait fallu au minimum que nous puissions élaborer ce texte conjointement avec la commission des affaires européennes. Sur le fond, je suis atterré par cette proposition de résolution qui, si nous la votons, serait une grande victoire pour Vladimir Poutine. Comme dictateur, celui-ci sait que les démocraties cèdent toujours les premières. Ce texte prévoit, d'une part, la levée progressive et partielle des sanctions économiques, d'autre part, la levée immédiate, inconditionnelle et sans contrepartie des sanctions touchant les parlementaires. Qu'est-ce qui a changé depuis un an et demi qui justifierait ce changement unilatéral ? Rien, au contraire. Le 24 mai dernier, les combats se sont intensifiés, sept militaires ukrainiens ayant été tués. Les séparatistes pro-russes voient leur position renforcée avec le soutien de l'armée russe. Qu'est-ce qui a changé en Ukraine, en Crimée, en Transnistrie, en Abkhazie, en Ossétie du Sud, au Haut-Karabagh ou encore en Syrie, où la Russie bombarde ceux que nous soutenons et épargne Daech ? Qu'est-ce qui a changé dans l'attitude de Poutine ? Qu'est-ce qui a changé en Russie, si ce n'est dans le mauvais sens, avec une dictature ultra-nationaliste, la chasse aux organisations non gouvernementales et de défense des droits de l'homme, les emprisonnements, les exils forcés, la violation des espaces aériens, norvégiens, finlandais, portugais, la destruction de l'avion de la Malaysian Airlines, l'envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises et d'autres pays européens, de navires de guerres, des menaces contre des navires danois, l'augmentation de 30 % du budget militaire, la dénonciation quasi maladive de l'OTAN et une croisade anti-occidentale dans les médias ? Pourquoi, dans ces conditions, devrions-nous changer notre position ? Elle était tout sauf belliqueuse. Le couple franco-allemand, dans le cadre du format de Normandie, a répondu à l'agression en cherchant désespérément une négociation ; cette position de dialogue a débouché sur les accords de Minsk, qui font consensus en France sur tous les bancs politiques. Rien n'a changé, les auteurs de la proposition de résolution sont d'accord avec moi sur ce point-là. Aux termes de l'exposé des motifs, la France et l'Allemagne ont joué un rôle décisif dans la conclusion des accords de Minsk. Ceux-ci prévoient une feuille de route à laquelle il faut se tenir, d'autant plus que sa mise en oeuvre n'est pas aisée. Y renoncer, ne serait-ce que partiellement, serait un très mauvais signal adressé aux protagonistes sur le terrain. Or, dans la proposition de résolution, les auteurs prévoient au contraire de renoncer à la feuille de route selon laquelle les sanctions seront levées seulement quand les accords de Minsk auront été intégralement appliqués. En effet, avec cette résolution, le Sénat appellerait à un « allègement progressif et partiel du régime des sanctions économiques et en ce qui concerne les parlementaires un allègement immédiat et total ». L'évolution proposée nous est présentée comme mesurée, progressive et conditionnée, par contraste avec la résolution de l'Assemblée nationale qui est caricaturale. Mais, en fait, il s'agit d'un changement majeur, qui est l'abandon de la ligne des accords de Minsk ! Une fois qu'on aura cédé un peu, on risque de devoir très vite tout lâcher. C'est d'ailleurs ce que dit l'exposé des motifs de la résolution : « Cette proposition de résolution ne constituerait que la première étape. En effet, les relations de l'UE avec la Russie sont trop stratégiques pour être retenues indéfiniment en otage d'un débat récurrent sur les sanctions ». Cette phrase est un tour de passe-passe mensonger, les relations entre l'UE et la Russie ne sont pas l'otage des sanctions, mais de la présence des troupes russes en Ukraine et de l'annexion de la Crimée. Ce serait un inacceptable renversement de la charge de la preuve et aux yeux du monde entier, la victoire de Vladimir Poutine.

Je sais que les sanctions sont coûteuses, étant moi-même élu d'un département rural, mais le recul devant un dictateur serait plus coûteux encore. Demain, ce serait le siège de Marioupol, les menaces sur les Etats baltes. Nous trouvons souvent les pays d'Europe orientale trop inquiets, mais si nous avions des frontières communes avec la Russie, nous le serions sûrement aussi.

Concernant la levée des sanctions à l'encontre des parlementaires, il faut rappeler qu'il s'agit de personnalités qui ont voté en faveur de l'envoi de troupes en Ukraine.

Je connais les dictateurs, ils ne s'arrêtent que devant les obstacles et la fermeté, pas devant des barrières qui se lèvent. Nos parents, qui ne le savaient pas, en ont fait l'expérience au XXe siècle, ils l'ont payé cher ; nous qui savons, ne commettons pas l'erreur d'adopter cette proposition de résolution.

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