Fort de cet engagement patriotique et européen qui est le mien depuis très longtemps, je peux dire que la volonté politique ne s'inscrit pas dans les traités. Ceux-ci définissent des instruments et des outils, mais le fait de mettre ces instruments et outils sur la table ne dit absolument rien de la volonté de les utiliser.
Je vous demande de faire confiance à Mme Federica Mogherini et de la soutenir, car, je le sais, elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour présenter une stratégie ambitieuse.
Dans quel contexte le fera-t-elle ? Cela dépendra du référendum britannique. Mais j'espère - car, comme l'a évoqué M. Daniel Reiner, l'attente des citoyens est plus forte que jamais - que les dirigeants européens seront capables de soutenir sa stratégie et de lui donner un mandat pour le décliner. Pour l'instant, nous n'en sommes pas là.
Je ne partage pas la critique formulée sur le Groupe des hautes personnalités, auquel certains Français, comme M. Antoine Bouvier - président de MBDA, une entreprise exemplaire -, ont participé.
Les sherpas ont commis un très important travail. J'ai personnellement assisté à la réunion de conclusion. La plupart des PDG étaient présents, ainsi que Mmes Mogherini et Bienkowska, et ils se sont engagés. Un certain nombre de sujets ont été identifiés, sur lesquels il faut agir en commun, faute de quoi nous deviendrons, au mieux, des sous-traitants, au pire, des consommateurs des industries chinoises, japonaises et américaines.
Notre autonomie stratégique se joue sur ces sujets.
Nous nous battons pour ouvrir la ligne budgétaire de 3 à 4 milliards d'euros que je citais précédemment, mais les Américains, eux, mettent en place un plan auquel ils consacrent 10 à 15 milliards d'euros, avec un objectif : la suprématie américaine. Nous ne pouvons pas avoir une telle ambition ; ayons au moins celle de l'autonomie stratégique !
Ce groupe a donc travaillé intelligemment et efficacement sur toute une série de problématiques.
M. Pozzo di Borgo a posé une bonne question. La réticence qu'il a constatée tient à la lecture des traités, et l'on ne peut en tenir rigueur aux services juridiques de la Commission européenne. Certaines dispositions du traité de Lisbonne peuvent être lues de manière extensive ou restrictive, d'où cette interrogation : peut-on, ou non, financer avec le budget européen des sujets directement liés à la défense ?
Cela vaut pour la recherche, mais aussi pour la capacity building, c'est-à-dire la capacité à financer, sur le budget européen, l'entraînement et l'équipement de forces de sécurité de certains pays.
Selon moi, c'est là une dimension du développement, car on ne peut investir des milliards d'euros dans l'éducation, la santé, l'agriculture pour que tous ces efforts soient balayés par la prise en main du pays dans lequel on est intervenu par Daesh ou Boko Haram. La Commission entend donc s'emparer du sujet.
Je recommande, sur le sujet évoqué par M. Pozzo di Borgo, de rechercher des compromis dynamiques.
L'AED aura-t-elle la capacité de gérer un programme de plusieurs milliards d'euros ? Si ce programme est décidé par les chefs de gouvernement et approuvé par le Parlement, en raison du contexte sécuritaire, de l'attente des citoyens et des restrictions budgétaires imposant de rechercher des mutualisations, nous trouverons les moyens pour qu'elle assume cette charge.
S'agissant de l'OTAN, je suggère que l'on ne vienne pas nourrir, en France, un débat aujourd'hui dépassé. Les représentants du Pentagone ou du commandement militaire de l'OTAN sont les premiers à demander aux Européens de s'organiser. « Une défense européenne forte, c'est une OTAN plus forte ! », tels sont les propos que, voilà peu, M. Stoltenberg tenait, en ma présence, à M. Junker. C'est en ce sens qu'il faut analyser la démarche menée par les Allemands depuis quelques mois et ma conviction, c'est que la France devrait participer à ce mouvement.
Je remercie Daniel Reiner de ses encouragements. J'ai pris au cours de ma carrière de nombreuses leçons de pragmatisme. Même si le traité de Lisbonne n'est pas ancien et si nous devons conserver une part d'utopie, je reconnais la difficulté de la situation. Mais, indépendamment du résultat du référendum britannique, c'est le moment d'agir. Si nous ne donnons pas l'élan maintenant, quand le ferons-nous ? Toutes les conditions sont en passe d'être réunies : contraction des budgets nationaux, contexte géopolitique avec une linéarité interne et externe, nouvelles priorités américaines, etc. Les dirigeants européens seront-ils à la hauteur des défis ?
Dans ce cadre, il faudra bien évidemment revisiter les tâches de Petersberg. Pour autant, je ne pense pas que l'OTAN soit aujourd'hui un frein à la construction d'une politique européenne.
Jean-Paul Emorine a évoqué le budget. Nous consacrons 51 % de nos dépenses militaires au personnel, les Américains 33 %. Cela explique aussi les proportions inverses en matière de recherche. Nous souffrons de duplications trop nombreuses, non seulement en matériel, mais aussi dans l'usage des hommes. J'observe, par exemple, que l'Allemagne et les Pays-Bas viennent de créer un bataillon commun.
Mme Conway-Mouret m'a interrogé sur un éventuel signal de la part de nos partenaires. Il existe bien une attente chez certains des États membres : l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Pologne. Les budgets militaires ont cessé de décroître depuis deux ans et le ministre fédéral allemand Wolfgang Schaüble, fait rarissime pour un ministre des finances, a même annoncé un accroissement des dépenses pour la défense.
En outre, les industriels sont en avance sur les politiques, si j'en crois les mouvements actuels de consolidation dans tous les domaines. Voilà pourquoi ils ont pris une part si active dans les travaux du Groupe de hautes personnalités.
S'agissant de Daesh, nous ne combattrons pas le terrorisme uniquement à coup de bombardements. Nous avons besoin de coopération au niveau des services de renseignement, d'une capacité d'intervention militaire, d'une gestion efficace et rigoureuse de nos frontières. Enfin, il faut créer un autre narratif, ce que permet le développement, tant dans certains pays d'Afrique ou du Proche-Orient que chez nous.
Le livre blanc sera élaboré à vingt-huit - j'espère effectivement que les Britanniques ne sortiront pas de l'Europe et que nous continuerons d'avancer avec eux. En l'absence de grain à moudre, certains pays devront prendre, seuls, des initiatives en matière de défense.
Madame Jourda, faites confiance à Federica Mogherini. Nous ne sommes plus, comme en 2003, dans une défense qui ne concernerait que l'extérieur de l'Union européenne. Cela justifie la clause de solidarité figurant dans le traité de Lisbonne. Celle-ci a été directement reprise du groupe de travail sur la défense européenne que je présidais, en 2001 et 2002, dans le cadre de la convention animée par Valéry Giscard d'Estaing. C'est le moment de revisiter ces clauses et ces outils.
Le sujet des sanctions à l'égard de la Russie n'entre pas dans le cadre de mes missions. Nous avons besoin d'engager un nouveau dialogue avec la Russie, y compris sur la lutte contre l'État islamique. Pour autant, la Russie ne peut pas rester durablement isolée. Les sanctions doivent donc être maintenues tant que les accords de Minsk ne sont pas appliqués. Sur ce sujet également, faites confiance à Mme Mogherini pour trouver un équilibre entre dialogue et fermeté.