Intervention de Adeline Hazan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er juin 2016 à 8h34
Audition de Mme Adeline Hazan contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je répondrai à M. Thani Mohamed Soilihi que nous suivons bien évidemment le dossier de Mayotte avec une grande vigilance. Une première mission avait été conduite au centre de rétention administrative de Mayotte en 2009-2010 et nous prévoyons d'en organiser une nouvelle dans un avenir très proche. La situation est en effet préoccupante et nous avons décidé d'en mesurer l'ampleur in situ très prochainement.

Sur la question adressée par Mme Esther Benbassa, je n'avais pas eu l'occasion d'en parler et je suis ravie que vous l'ayez abordée. En effet, le rétablissement des fouilles systématiques me paraît entraîner un recul extrêmement important des droits fondamentaux en raison d'un contexte sécuritaire qui les relègue loin derrière les exigences de sécurité. Parce que la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme pour son système de fouilles systématiques, la loi de novembre 2009 avait pris des mesures qui me paraissaient tout à fait équilibrées. En effet, cette loi avait interdit le principe des fouilles intégrales systématiques tout en les autorisant du moment que sont réunis des motifs spécifiques, comme le risque qu'un détenu fasse entrer des produits ou objets illicites. Ce dispositif me paraît tout à fait pertinent. Cependant, comme je le souligne dans le rapport annuel 2015, le problème réside dans sa mauvaise application.

Les contrôles que nous conduisons régulièrement nous montrent que cette loi n'était pas respectée et que les fouilles systématiques étaient poursuivies. J'ai alors alerté les pouvoirs publics en demandant une évaluation de la loi pénitentiaire et en demandant que le garde des sceaux rappelle aux directions interrégionales des services pénitentiaires que ces fouilles ne peuvent être systématiques. Cette tendance n'a pas vraiment été suivie, puisque le Gouvernement a, bien au contraire, fait passer un amendement dans la loi qui, à mon sens, rétablit le caractère systématique des fouilles. Le garde des sceaux nous assure de la conformité de cette disposition avec la jurisprudence de la convention européenne des droits de l'homme, car des critères précis sont définis. En effet, lorsque dans un établissement, il y aura des raisons de soupçonner l'introduction d'objets ou de substances interdits, alors des fouilles pourront être globalement conduites. Je défie quiconque de nous présenter un établissement qui ne présente pas ce risque. On pourra ainsi le faire tous les jours et de manière aléatoire. Cette disposition me paraît extrêmement grave et j'ai écrit aux présidents des commissions des lois des deux assemblées, ainsi qu'à tous les membres de la commission mixte paritaire, avant leur examen des dispositions finales du texte pour les alerter du grand danger de cet amendement gouvernemental. Je n'ai manifestement pas été entendue puisque cet amendement est largement passé, toutes familles politiques confondues.

Sur la question posée par M. le sénateur Anziani qui concerne la surpopulation carcérale, les hôpitaux psychiatriques et le nombre de cas psychiatriques dans les prisons, j'adhère totalement au constat qui a été dressé. Il y a en effet énormément, et de plus en plus, de personnes détenues qui ont des problèmes psychiatriques. Il n'y a pas eu d'étude épidémiologique au sens strict conduite depuis une dizaine d'années, mais d'un point de vue empirique, on peut dire que 70 % des détenus présentent, au sens large, des troubles et environ 20 à 25 % des troubles graves, comme la psychose ou la schizophrénie. Des progrès ont certes été enregistrés, du fait de la création des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) où les personnes détenues présentant des troubles peuvent être mieux soignées à l'intérieur de la prison. Ces progrès me paraissent tout à fait insuffisants. Il faut ainsi renforcer les moyens à l'intérieur des établissements et se poser la question de savoir ce qu'un certain nombre de personnes font en prison, alors que le motif de leur incarcération est consécutif à des troubles psychiatriques. Un certain effet pervers peut d'ailleurs être constaté, dans le fait que certains magistrats incarcèrent des personnes notamment parce qu'elles pourront ainsi être soignées en prison. Or, la prison ne peut être considérée, en premier lieu, comme un lieu de soins.

S'agissant de l'interrogation de M. le sénateur Détraigne, le Gouvernement répond aux points que nous soulevons en termes de moyens. Je pense notamment à la question de l'aspect indigne, et souvent totalement insalubre, des cellules de garde à vue, qui relève à l'évidence d'une question de moyens. Les conditions de travail des personnels, aussi bien dans les prisons que dans les commissariats, sont aussi indignes. Il s'agit de problèmes budgétaires, mais beaucoup de recommandations que nous faisons n'impliquent pas de moyens budgétaires supplémentaires. Dans ces cas-là, nos recommandations ne sont pas suivies d'effets, soit en raison d'une inertie administrative, soit en raison d'un manque de volonté politique. Il faut par exemple que les pouvoirs publics s'interrogent sur l'intérêt des très courtes peines en prison, qui induisent bien souvent une perte d'emploi et un abandon de logement. Ne serait-il pas plus intéressant de procéder autrement pour l'exécution de ce type de peines ?

Cependant, j'ajouterai une touche d'optimisme. Certaines de nos propositions réitérées sont suivies d'effets, lorsque nous contrôlons les établissements. En effet, lors des réunions de restitution, nous constatons que les établissements modifient leurs pratiques. Certaines initiatives se sont ainsi avérées particulièrement intéressantes. Nous dénoncions la situation des femmes enceintes qui étaient incarcérées. La loi du 15 août 2014 nous a donné raison en rendant, en principe, exceptionnelle leur incarcération. La loi du 26 janvier 2016 sur la contention et l'isolement est, en grande partie à mon sens, une réponse aux constats et aux préconisations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il s'agit d'un travail de longue haleine, mais heureusement, certaines de nos recommandations finissent par être suivies d'effets.

Sur la question posée par M. le sénateur Pillet, il y a dans la volonté de construire de nouvelles prisons à la fois une nécessité et une logique d'inflation carcérale qui ne me semble pas bonne. Je pense qu'annoncer, comme cela a été fait récemment, la construction de 20 000 places en établissement pénitentiaire d'ici à 2020 ne constitue pas une démarche pertinente. Lorsque Mme Christiane Taubira avait évoqué, en 2014, 6 000 places nouvelles, un tel chiffre me paraissait nécessaire et suffisant. Culturellement, plus il y a de place, plus il y a d'incarcération. Ce n'est nullement une mise en cause du travail des magistrats, mais un constat étayé par des statistiques qui démontrent que la construction de nouveaux espaces carcéraux induit systématiquement une augmentation du nombre de détenus. Il faut ainsi que les pouvoirs publics aient le courage de réfléchir à la régulation de la population carcérale. Une telle démarche est déjà opérée dans les ressorts administratifs des tribunaux et des prisons. Ainsi, lorsque les places disponibles en cellule ne permettent plus de juguler la surpopulation carcérale, les magistrats et les directeurs de prison se réunissent parfois pour éviter que ne soient mis en oeuvre des moyens de fortune, comme les matelas au sol dont parlait M. le sénateur Michel Mercier, en modifiant à la marge l'exécution d'une peine ou en aménageant la peine d'un détenu, huit jours avant sa sortie. Tout le monde n'est pas d'accord avec cette proposition, mais je sais que M. Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'avait défendue. Je pense qu'on y viendra et qu'il n'y aura pas d'autre solution. Autant que cette démarche se fasse dans l'intelligence collective ! D'ailleurs les pouvoirs publics l'acceptent à l'échelle locale, mais ne veulent pas l'officialiser. Il faut du courage politique même si de telles positions peuvent s'avérer clivantes aux yeux de l'opinion.

S'agissant des questions et des réflexions formulées par M. le sénateur Mercier, la question de la localisation des établissements pénitentiaires est en effet délicate. Maintenant, l'ensemble des intervenants, qu'ils soient personnels pénitentiaires, parlementaires, sociologues ainsi que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ont la certitude que la construction de très gros établissements éloignés de centres urbains n'est pas une bonne solution. Une telle démarche s'avère très déshumanisante comme le soulignent à la fois les surveillants et les détenus lors de nos missions. L'internement dans des lieux, certes modernes, mais isolés implique une perte de relations humaines. Puisque ces établissements sont situés très loin des villes, ils sont très difficiles d'accès et posent de réels problèmes en termes de maintien de liens familiaux. En l'absence de transports en commun, comment les familles peuvent-elles s'y rendre ? Il est ainsi impossible pour les familles de se rendre depuis Dijon au centre de détention de Villenauxe-la-Grande qui est distant d'une trentaine de kilomètres. Il leur faut alors prendre un taxi. On éprouve également de réelles difficultés à recruter des médecins et des enseignants. Un lieu reculé peut ainsi induire toute une série de problèmes en cascade.

S'il n'y a pas une prise de conscience que le budget de la justice doit être sérieusement renforcé, voire doublé, les pouvoirs publics n'arriveront pas à régler les problèmes que nous venons d'exposer. Le budget de la justice a été sacralisé par rapport à d'autres budgets depuis 2012. Il a certes augmenté, mais pas dans des proportions suffisantes par rapport aux enjeux et aux besoins. Bien que tous les gouvernements aient souligné le caractère prioritaire de la justice, aucun n'a encore pris les mesures budgétaires traduisant cette priorité que l'on doit afficher si l'on veut que notre justice et notre administration pénitentiaire fonctionne dans des conditions respectueuses des libertés des uns et des autres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion