Je dois rappeler in limine les objectifs de notre commission d’enquête, dont le titre du rapport, quelque peu provocateur, « Un État dans l’État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler », se suffit à lui-même.
Il ne s’agit aucunement de supprimer toutes ces autorités : nous n’avons jamais dit ou écrit qu’il fallait donner un grand coup de balai. Il est des autorités administratives indépendantes dont la nation a besoin. L’existence de certaines résulte de nos obligations européennes ; d’autres, dont la création procède de notre législation, jouent un rôle utile. Il s’agit simplement de fixer les critères de leur reconnaissance en tant que telles.
Une AAI est une autorité : en conséquence, elle prend des décisions opposables. Elle est administrative, et doit être aussi indépendante. Or la conjonction des adjectifs « administrative » et « indépendante » n’est pas toujours facile, monsieur le secrétaire d'État.
Fixer des critères pour la reconnaissance du statut d’AAI doit logiquement aboutir à réduire le nombre de ces instances, car depuis la création de la première d’entre elles, la CNIL, en 1978, on a assisté à une prolifération dont l’exécutif et le législatif sont conjointement responsables.
À plusieurs reprises, les gouvernements successifs se sont défaussés de problèmes délicats en créant des AAI, et le Parlement a été souvent trop complaisant. Cela a pu être considéré comme un délitement de l’État et une défaillance de ses structures habituelles.
Au fil du temps, certaines autorités, du fait de leurs prérogatives étendues, ont imposé à l’État de composer avec elles, sans la contrepartie du contrôle démocratique. Au cours de nos travaux, nous avons pu entendre certaines autorités contester même l’existence d’un contrôle de la Cour des comptes, par exemple.
La force du lobbying exercé par nombre d’organismes au cours de nos travaux en vue de conserver ou de se faire reconnaître le statut d’AAI est à cet égard révélatrice, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues. Cela nous a d'ailleurs permis de relever la force des réseaux d’influence de la haute fonction publique, activant les relations les plus éminentes.
Ne pas se voir reconnaître le statut d’autorité administrative indépendante, ce n’est ni une dégradation ni un déni de respectabilité, c’est simplement la conséquence du fait que les critères requis ne sont pas remplis.
Plus étrange, nous avons vu une AAI ne plus vouloir de ce statut et le Gouvernement insister pour qu’elle le conserve. C’est l’étrangeté du lobbying… Disons-le, il arrive que le lobby des assurances parte à l’assaut du lobby financier. N’en rajoutons pas sur ce sujet, ce ne serait guère utile.
La liste des autorités administratives indépendantes que nous proposons n’est pas encore parfaite. Des divergences subsistent avec nos collègues de l’Assemblée nationale – nous sommes en voie de les réduire –, ainsi qu’avec le Gouvernement, mais nous avons beaucoup progressé, comme vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d'État. Je me souviens que, lors de la première lecture, M. Harlem Désir s’opposait, certes avec beaucoup de diplomatie, à tout ce que nous proposions.
Notre travail a aussi, selon moi, le mérite d’alerter sur la prolifération, par exemple, de médiateurs divers et variés, et d’y mettre un frein. Je pense que l’on ne créera plus d’AAI discrètement, par le biais de cavaliers législatifs ; ce sera déjà un progrès.
La déontologie sera mieux appliquée et l’exemple récent de la nomination du président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAFER, est une illustration de cette évolution…
D'ailleurs, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a été amenée à adresser soixante-quinze relances et vingt-neuf injonctions aux membres des collèges des autorités administratives. Il y avait donc du travail !
Une harmonisation des règles, la mise en place d’un statut général sont donc nécessaires, nous l’avons dit. Il faut poursuivre sur ce chemin, en prévoyant évidemment quelques dérogations législatives, rendues indispensables par la spécificité de certaines autorités.
En principe, moins il y aura d’AAI, plus elles auront d’importance, de compétences, et il n’est donc pas anormal que, pour la plupart d’entre elles, la procédure de nomination de leur président relève de l’article 13 de la Constitution.
Nous avons eu un débat sur le recrutement des membres des collèges. La compétence, l’intelligence de ces derniers sont une évidence. La question que nous avons posée est celle de la diversification de leur recrutement, qui ne doit bien sûr pas nuire à la qualité de celui-ci. Le sujet est délicat, car des compétences très spécialisées sont parfois requises des membres des collèges.
Nous avons aussi relevé que certaines porosités peuvent poser problème. Que près des deux tiers des présidents d’AAI soient des conseillers d’État ou des magistrats de la Cour des comptes peut amener à s’interroger, sachant que la voie de recours est le Conseil d’État. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait la moindre suspicion ! Nous disons nous-mêmes que la Cour des comptes doit pouvoir contrôler toutes les AAI.
Nous avons avancé, mais il reste des efforts à faire, notamment sur la question du cumul, monsieur le secrétaire d'État, ou sur celle du temps plein ou du temps partiel des présidents de certaines autorités. En ce qui concerne le cumul, le Gouvernement doit être cohérent : il ne peut pas refuser le cumul des mandats pour les parlementaires et, pour le reste, estimer que l’on peut cumuler tout et n’importe quoi sans que cela pose problème.
J’aborderai enfin la question de la déontologie. Nous considérons, par exemple, que les déclarations de patrimoine des membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique doivent être publiées. Le président de cette instance, M. Jean-Louis Nadal, le demande, mais le Gouvernement, bien conseillé en la matière, le refuse ! Ce n’est pas possible ! Nous y reviendrons lors de la discussion des articles, monsieur le secrétaire d'État.
Je conclurai en disant que nous avons bien avancé. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont fait du bon travail.