Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis en séance publique pour examiner, en deuxième lecture, la proposition de loi organique et la proposition de loi relatives aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes que j’ai cosignées avec MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard.
Je relève avec satisfaction que la trajectoire d’examen de ces deux textes confirme la réalité du pouvoir de contrôle et d’initiative en matière législative des parlementaires, en l’occurrence des sénateurs.
Ces deux propositions de loi, qui reprennent les onze préconisations du rapport de la commission d’enquête adopté fin octobre 2015, ont été déposées en décembre 2015. Ces deux textes ont été adoptés sans opposition par le Sénat, le 4 février dernier, puis avec modifications par l’Assemblée nationale, le 28 avril 2016. Ils ont été inscrits à l’ordre du jour de cette semaine d’initiative sénatoriale sur demande conjointe du groupe Les Républicains et du groupe du RDSE.
Quatre mois seulement se sont écoulés entre la première et la deuxième lecture au Sénat. C’est un excellent tempo, et l’on peut se féliciter de ces délais très satisfaisants !
Sur le fond, je souhaite tout d’abord insister sur les points de convergence entre les deux assemblées.
Le Sénat et l’Assemblée nationale sont d’accord pour réserver au législateur une compétence exclusive en matière d’institution d’autorités administratives ou publiques indépendantes et de fixation des règles relatives à leur composition, à leurs attributions et aux principes fondamentaux de leur organisation et de leur fonctionnement.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale est entrée dans la logique suivie par le Sénat s’agissant de l’établissement de la liste des autorités, en ne modifiant qu’à la marge celle qu’avait proposée la Haute Assemblée en première lecture. Cette liste, où figurent à présent vingt-trois autorités administratives ou publiques indépendantes, au lieu des quarante-deux identifiées dans le rapport de la commission d’enquête, rétablit une cohérence au sein de cette catégorie juridique, le critère retenu étant l’existence d’un pouvoir effectif, qu’il soit normatif, de régulation ou de sanction.
L’Assemblée nationale a néanmoins complété cette liste, portant le nombre de ces autorités à vingt-six, par l’ajout du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, de la Commission nationale du débat public et, contre l’avis de son rapporteur, du Médiateur national de l’énergie. La commission des lois du Sénat n’a pas souhaité suivre l’Assemblée nationale sur la voie de cet élargissement, et je soutiens pleinement cette décision. Je ne suis pas non plus favorable aux propositions d’ajouts que présenteront plusieurs de nos collègues par le biais d’amendements en séance publique, ni à celle du Gouvernement concernant l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR. Le président de cette autorité lui-même – il s’agit du gouverneur de la Banque de France – ne souhaite pas qu’elle relève de cette catégorie, car il s’agit d’une autorité très intégrée à la Banque de France.
De façon plus générale, je souligne que les autorités ne figurant plus sur cette liste ne disparaissent pas pour autant, hormis la Commission de sécurité des consommateurs, dont l’Assemblée nationale propose la suppression. Mieux encore, des garanties ont été prévues pour reconnaître la spécificité de certaines d’entre elles. Il en est ainsi du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui s’est vu conférer, sur proposition du rapporteur, la qualité d’établissement public national à caractère administratif rattaché au Premier ministre, les garanties d’indépendance prévues par la loi du 5 janvier 2010 étant en outre maintenues.
En revanche, des divergences plus substantielles apparaissent s’agissant du statut de ces autorités administratives et publiques indépendantes. Si l’Assemblée nationale a admis la nécessité d’un statut général pour les autorités administratives et publiques indépendantes, elle a apporté des modifications substantielles au contenu de ce statut. Les principales concernent le principe du non-renouvellement du mandat des membres, l’harmonisation de la durée de celui-ci, fixée à six ans, les règles d’incompatibilités, enfin les règles de nomination des présidents de ces autorités, qu’il est proposé de toutes soumettre à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution.
Je regrette que ces modifications induisent un affaiblissement certain des garanties d’indépendance et de transparence, pourtant indispensables au bon fonctionnement de ces autorités.
Il en est ainsi pour les incompatibilités strictes fixées par le Sénat entre le mandat de membre d’une autorité et la détention directe ou indirecte d’intérêts en lien avec le secteur contrôlé par cette autorité. L’Assemblée nationale a supprimé ces incompatibilités professionnelles, considérant que les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts permettaient de s’en dispenser et que ces règles trop strictes empêcheraient le recrutement de personnes compétentes, particulièrement pour des autorités chargées de réguler des secteurs très spécifiques.
De même, l’Assemblée nationale n’a pas retenu le principe d’un mandat de six ans non renouvelable pour les membres de toute autorité administrative ou publique indépendante, considérant que cela risquait d’assécher le vivier de candidats potentiels. Mais autoriser un renouvellement du mandat rend possible l’exercice de pressions sur les membres au moment de ce renouvellement, ce qui n’est pas souhaitable.
En ce qui concerne la nomination des présidents de ces autorités, l’Assemblée nationale a considéré que la présidence de certaines autorités ne représentait pas une fonction dont « l’importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation » justifiait de soumettre la nomination à la procédure de l’article 13 de la Constitution, alors que, pour renforcer le contrôle du Parlement sur ces autorités, le Sénat avait prévu que cela serait systématique.
Enfin, en matière de transparence, l’Assemblée nationale a écarté certains des mécanismes mis en place, notamment en supprimant, en séance publique et à la demande du Gouvernement, la publication des déclarations d’intérêts et de patrimoine des membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Je ne suis pas du tout certaine que cette publication soulève une difficulté constitutionnelle et, à l’inverse, je relève que le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la réclame, au nom du devoir d’exemplarité de son autorité. Le rétablissement de cette disposition est donc important à mes yeux.
Au regard de ce constat, on pourrait être tenté de conclure que parvenir à un accord est impossible, et qu’il convient de rétablir strictement le texte adopté par le Sénat en première lecture pour marquer ce désaccord.
Telle n’est pas la position de notre excellent rapporteur, Jacques Mézard, qui a travaillé dans un véritable esprit de compromis et de recherche de consensus, que je salue. Je le remercie de ses travaux et de sa vigilance sur ce dossier. Il m’a associée pleinement à cette entreprise, et je soutiens toutes les propositions de rédaction qu’il a formulées en vue de parvenir, au-delà de cette deuxième lecture, à un accord avec l’Assemblée nationale.
Je pense tout particulièrement aux amendements adoptés hier matin par la commission des lois. S’ils sont également adoptés par le Sénat en séance publique, ils permettront de faire un grand pas en direction de l’Assemblée nationale. Je me bornerai à citer deux exemples à cet égard.
S’agissant de la règle du non-renouvellement du mandat, celle-ci s’appliquerait aux membres des autorités administratives et publiques indépendantes déjà soumises aujourd’hui à cette règle et à tous les présidents. Le mandat des membres des autres autorités, y compris celles qui ne connaissent aucune limitation actuellement, pourrait être renouvelé une seule fois. Cela inciterait à choisir le président des autorités dont les membres peuvent être reconduits une fois parmi les membres sortants, ce qui règlerait largement la question de l’assèchement du « vivier compétent » et conforterait la pérennité de l’autorité.
S’agissant des règles d’incompatibilité professionnelle, elles ne s’appliqueraient pas lors de la désignation d’un membre, celle-ci étant réputée intervenir en connaissance de cause, le nouveau membre étant, en outre, soumis à des mécanismes déontologiques classiques de déclaration et de déport. En revanche, serait interdit l’accès en cours de mandat à toute nouvelle fonction de dirigeant d’entreprise ou à une nouvelle activité professionnelle en lien direct avec le secteur contrôlé. Cette disposition répond aux objections de l’Assemblée nationale quant à la nécessité, pour les autorités de régulation, de compter en leur sein des représentants du secteur régulé, choisis pour leur connaissance de ce dernier, tout en interdisant une modification profonde des conditions initiales de leur désignation et en les soustrayant à des pressions éventuelles.
En tant que cosignataire de cette proposition de loi et de cette proposition de loi organique, je souhaite l’adoption des textes issus des travaux de la commission des lois, assortis des amendements de compromis du rapporteur que cette dernière a adoptés hier matin. Nous aurons ainsi fait une grande partie du chemin pour nous rapprocher des positions de l’Assemblée nationale et nous pourrons espérer aboutir à un texte commun dans les meilleurs délais.