Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avions précisé en première lecture, nous partageons les préoccupations et les positions des auteurs de ces propositions de loi.
Les autorités indépendantes, dont la multiplication a accompagné la dérégulation de pans entiers de notre économie, coûtent près de 600 millions d’euros par an. Leur budget a augmenté de 11 % depuis 2010 et leurs effectifs de 5, 3 %. Certains de leurs dirigeants bénéficient de rémunérations pouvant aller jusqu’à 300 000 euros par an, compte non tenu de la possibilité de cumul.
Au-delà de ces chiffres, leur mode de mise en place, les problèmes de déontologie et de conflits d’intérêts qui se posent ont été largement mis en lumière par le rapporteur en première lecture.
Les autorités administratives sont effectivement trop nombreuses aujourd’hui. Leur composition, trop peu diversifiée – mêmes membres, issus des mêmes grands corps, des mêmes grandes écoles… –, accentue, comme nous l’avions souligné, un « entre soi » qui freine tout changement. De ce point de vue, il faut bien admettre que la France ignore totalement le modèle participatif, dans lequel les usagers d’un secteur peuvent – et à mes yeux doivent – participer activement aux prises de décision.
La composition des AAI de régulation reflète parfaitement le champ auquel les pouvoirs publics ont entendu confiner le service public, à savoir celui des questions techniques. Elles ont de plus dépouillé l’État de son pouvoir politique et normatif dans les secteurs clés de l’économie, sans parler de toutes les fois où l’exécutif a fait le choix de se défausser de ses responsabilités en matière d’arbitrages. En effet, ces autorités indépendantes de régulation définissent une politique, une stratégie pour l’avenir du secteur d’activité concerné, elles produisent en partie le droit de la régulation, même quand elles ne sont pas dotées d’un pouvoir normatif direct. Elles exercent la supervision quotidienne de l’activité régulée, non seulement par la délivrance de permis ou autres autorisations, mais aussi par l’utilisation de pouvoirs d’inspection et d’investigation des plus étendus, sans contrôle juridictionnel préalable. Elles interviennent en tant qu’arbitres dans des rapports juridiques de nature purement privée. Je pourrais continuer cette énumération. En résumé, le pouvoir public est délégué à des institutions trop souvent inspirées par une logique technocratique.
Enfin, comment, du point de vue de la séparation des pouvoirs, concevoir qu’un même organe, indépendant du pouvoir politique dont il tire sa légitimité, puisse à la fois édicter des règles générales, les faire respecter, sanctionner et arbitrer les litiges liés à leur application ?
Ainsi, pour reprendre les mots d’un éminent publiciste, les AAI participent à l’exercice d’une « fonction hyper-administrative, clairement plus étendue et pluridimensionnelle, qui envahit des domaines appartenant jadis aux fonctions gouvernementale, législative et juridictionnelle ».
Dès lors, nous nous interrogeons sur la frilosité du Gouvernement, si prompt à dénoncer les doublons, les gaspillages et à prôner un effort de rationalisation et de mutualisation. À cet égard, mes chers collègues, je vous renvoie à nos débats sur la réforme territoriale : je me garderai de toute comparaison hasardeuse, mais, à l’instar du rapporteur, je pense que certains principes ne doivent pas être oubliés.
Alors qu’existe un besoin certain d’encadrement et de moralisation dans ce domaine, le Gouvernement a fait jusqu’à présent le choix du statu quo.
Nous n’avons pas d’opposition de principe aux autorités administratives indépendantes et nous pouvons reconnaître l’utilité de certaines d’entre elles, qui ont un rôle de vigilance, de conseil, d’alerte, de protection des plus faibles.
Toutefois, on ne peut nier que les AAI manquent de légitimité démocratique, et ce déficit ne peut être compensé par leur expertise, réelle ou supposée. Nous récusons la légitimation technocratique a posteriori, qui voudrait que les AAI régulatrices résolvent « mieux » les questions touchant aux activités dérégulées. Accepter cette forme de légitimité comme substitut à la démocratie représentative n’est pas possible pour nous, la toute-puissance du régulateur accroissant les risques d’arbitraire et suscitant, comble d’ironie, l’apparition de nouvelles formes d’interventionnisme.
C’est pourquoi, comme nous l’avions fait en première lecture, nous voterons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, premier pas vers l’acceptation d’un constat que nous dressons, avec d’autres, depuis plusieurs années, celui d’une perte de repères et de compétences des administrations centrales, d’une dilution du pouvoir de décision, et donc de la responsabilité, d’une distorsion de l’État, d’une perte de son pouvoir politique sur les marchés, d’une confiscation de la définition de l’intérêt général par une élite déconnectée des réalités.
Monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que vous applaudir lorsque vous soutenez le travail parlementaire. Les deux lectures de ce texte auront finalement eu lieu dans un temps assez court. La démonstration est faite que le Parlement doit être écouté et respecté.