Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 2 juin 2016 à 10h30
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son rapport annuel de 2001, le Conseil d’État soulignait le caractère imprévu de la qualification législative d’autorité administrative indépendante, constatant que ce concept désignait des entités administratives aux règles de fonctionnement et aux attributions non uniformes.

Face à cette impression de « hasard législatif », pour reprendre l’expression du Conseil d’État, le juge s’est parfois aventuré à attribuer, lui-même, la qualification à certaines autorités administratives indépendantes, qui auraient été oubliées par le législateur, accélérant ainsi un mouvement de prolifération.

Je voudrais donc, dès à présent et au nom de l’ensemble des sénateurs du groupe du RDSE, saluer le travail qui a été réalisé par Jacques Mézard et les autres auteurs des deux propositions de loi, organique et ordinaire, que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture. Elles visent précisément à ne plus laisser place au hasard dans la qualification des AAI. Il s’agit, au contraire, de rendre le Parlement totalement maître de la notion d’autorité indépendante qu’il a lui-même instaurée.

Comme l’ont souligné plusieurs rapports parlementaires, notamment le rapport issu de la commission d’enquête du Sénat créée à l’initiative du groupe du RDSE, les autorités se sont multipliées, sans que leur indépendance soit effectivement garantie par des normes minimales.

Qui pourrait croire, en effet, à l’indépendance de collèges composés, pour l’essentiel, de membres de grands corps de l’État, en l’absence de règles déontologiques claires et d’une réelle indépendance budgétaire ? Comme s’il suffisait d’appartenir à la haute fonction publique pour être indépendant et au-dessus de tout soupçon…

L’invention des autorités publiques indépendantes, qui, contrairement aux autorités administratives indépendantes, sont dotées d’un budget propre, constitue un premier aveu de faiblesse. Et même si nous l’aurions souhaité plus ambitieux encore, nous nous félicitons de l’équilibre trouvé par le texte à ce stade de la procédure.

Il permettra de nommer, au sein des collèges, des personnalités compétentes, possédant une expérience du secteur concerné, tout en fixant des normes déontologiques communes, destinées à lutter contre les conflits d’intérêts, l’un des plus grands maux qui rongent notre République.

Nous soutenons également pleinement l’esprit de ces propositions de loi, qui réaffirment la compétence exclusive du législateur concernant la création d’autorités administratives et publiques indépendantes dans une perspective de rationalisation.

Comme vous le savez, ces nouvelles autorités jouent un rôle indispensable au service de la protection des libertés publiques et de la régulation du secteur économique.

L’étude annuelle du Conseil d’État de 2013 mentionne les recommandations de certaines d’entre elles comme des normes de « droit souple », façonnant subtilement le champ d’action d’acteurs économiques. Leurs décisions sont régulièrement commentées par les médias et sur les réseaux sociaux.

Il est donc absolument nécessaire de s’assurer que leurs règles de fonctionnement sont facilement accessibles au public et fondées sur un socle légal, plus légitime qu’une construction jurisprudentielle, aussi étoffée soit-elle. Il nous semble, à ce titre, que la réunion et l’harmonisation de dispositions variables et éparses satisfont les objectifs à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. En outre, l’impact des missions de ces autorités sur la vie économique ou politique de la Nation justifie de les placer sous le contrôle du Parlement.

De nombreuses autorités indépendantes ont été conçues comme des gages d’impartialité et d’indépendance en période de défiance des citoyens vis-à-vis des institutions traditionnelles de l’État.

On pense notamment aux circonstances qui ont abouti à la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Si elle peut permettre d’apaiser temporairement les esprits, leur indépendance consacrée ne doit pas faire obstacle à l’impératif, pour elles, de rendre des comptes devant les représentants du peuple, les seuls qui bénéficient de la légitimité démocratique. Nous ne pourrions tolérer un État dans l’État, sans affaiblir l’autorité de ce dernier.

Or la prolifération des AAI depuis quelques années participe de ce démembrement de l’État, auquel nous souhaitons mettre un terme. Comme le suggérait notre ancien collègue, le doyen Gélard, en 2006 et comme l’a très bien souligné le rapporteur Jacques Mézard à l’issue de la commission d’enquête, la prolifération de telles autorités ne peut être interprétée comme un signe de vigueur démocratique. C’est au politique à prendre les décisions, même les plus difficiles à assumer…

Nous soutenons donc sans réserve le parti pris de limiter le nombre d’autorités indépendantes, afin d’apporter aux entités les plus exposées aux risques d’immixtion, en raison notamment de leurs pouvoirs de sanction et de recommandation, les garanties budgétaires prévues dans ce nouveau statut général.

Une fois adopté, ce texte constituera donc un cadre très utile, à condition de ne pas y insérer trop de dispositions dérogatoires et de poursuivre la réflexion sur la rationalisation et les possibilités de fusion des entités existantes.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe du RDSE se réjouissent de l’évolution de ces propositions de loi sénatoriales, et nous les approuverons de façon unanime. Nous sommes tout proches du but et espérons que l’Assemblée nationale pourra, sans tarder, procéder à la deuxième lecture.

Le Sénat apporte ainsi, une nouvelle fois, la preuve de l’efficacité du contrôle parlementaire et de sa capacité d’initiative : d’une commission d’enquête à la production législative, nous aurons fait œuvre utile, même s’il nous faudra poursuivre indéfiniment ce travail de contrôle des autorités administratives indépendantes. C’est notre mission !

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