Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je crois pouvoir présenter mes félicitations à l’équipe qui a animé, pendant huit mois, les travaux de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.
Je dis bien « l’équipe », car j’ai le sentiment qu’il est légitime d’englober dans ces compliments le président, les deux vice-présidents et les deux rapporteurs de cette mission, qui ont travaillé dans un esprit de consensus pour aboutir à une position synthétique, reflet de la plus large partie de l’opinion de notre assemblée.
Pour leur part, les représentants du groupe socialiste ont joué le jeu du travail collectif, qui imposait l’écoute, la discussion et le compromis, au point même de demander que des votes intermédiaires soient différés lorsque la gauche se trouvait majoritaire au sein de la mission, considérant que, dans ce cas-là, celle-ci n’était pas représentative du Sénat.
Ils n’en ont été que plus consternés par l’attitude du groupe UMP qui, le 17 juin, dernier jour de nos travaux, a présenté, en fin de matinée, au cours d’une séance de « bouclage », une contribution que l’on a pu penser destinée à se substituer à certaines parties approuvées du rapport.
Finalement renvoyée en annexe et édulcorée par la suppression de certaines propositions aussi surprenantes que la réduction du nombre de conseillers municipaux, y compris ruraux, cette contribution n’en contient pas moins des propositions donnant à penser que, depuis la lettre de mission du Président de la République au comité Balladur, il ne s’est rien passé au Sénat !
Ainsi nombre des propositions de l’UMP sont-elles en contradiction flagrante avec ce que ses représentants ont approuvé au fil des mois au sein de la mission.
Je pense, par exemple, aux compétences des départements, transférées en bloc aux métropoles. Je pense à la clause générale de compétence, que la mission maintient au bénéfice des différents niveaux territoriaux, mais que l’UMP réserve aux seules communes et intercommunalités. Je pense encore, mais j’y reviendrai, à la proposition, il est vrai plus attendue, de substitution des conseillers territoriaux aux conseillers généraux et régionaux.
Tout cela est surprenant : s’il n’y avait pas consensus, il fallait le dire au cours des débats !
La question se pose désormais de savoir quelle est la valeur de l’énorme travail fourni par la mission. Doit-on considérer dès maintenant qu’il a été inutile ? Doit-on considérer qu’en tout état de cause il n’y aura pas de position claire du Sénat sur la réforme des collectivités ? Doit-on considérer que nous travaillerons sur les propositions des seuls conseillers de l’Élysée ?
Si tel était le cas, il s’ensuivrait une situation humiliante pour les animateurs de la mission et, en particulier, pour son président, sénateur de l’UMP, perçu, au fil des débats, comme un homme d’une grande qualité par l’ensemble de ceux qui ont participé aux travaux de la mission.
Mais c’est pour vous, monsieur le président du Sénat, que la situation serait encore plus humiliante. J’avais en effet cru comprendre que votre souhait, au lendemain de votre élection, était de donner toute sa force à l’initiative parlementaire dans le cadre des principes affichés de la dernière révision constitutionnelle.
Il me semble, monsieur le président du Sénat, que vous êtes directement concerné et que vous devez nous dire votre sentiment à ce sujet. Nous saurons alors si cette mission était un leurre ou si vous comptez promouvoir ses travaux, à tout le moins, les utiliser afin que, pour une fois, l’initiative parlementaire, et plus particulièrement sénatoriale, trouve, dans le respect de l’équilibre des pouvoirs, sa juste place.
Y a-t-il moyen dans ce pays d’avancer sans que, systématiquement, la majorité parlementaire, quelle qu’elle soit, se couche devant les propositions de l’exécutif ?
Y a-t-il un moyen pour que l’on reconnaisse enfin, autrement que par de simples pétitions de principe, que l’opposition existe et que l’on peut dialoguer avec elle ?
Pour notre part, nous approuvons, je le répète, les propositions de la mission et nous souhaitons - sans illusion excessive - qu’elle inspire la réforme à venir. Certes, ce n’est pas le big bang qui ferait table rase du passé. Cette réforme est-elle pour autant conservatrice ? Je ne le crois pas et, en matière de reconnaissance du fait métropolitain, de renforcement de l’intercommunalité, de clarification des compétences, de renforcement de la coordination entre les différents niveaux territoriaux, de principes fondamentaux en matière fiscale, de péréquation, notamment, elle propose une mine de retouches qui aboutiraient à une réforme profonde.
Nous approuvons pleinement cette démarche. Nous avons quelque droit à revendiquer la paternité véritable d’une décentralisation qui, dans les années quatre-vingt, a été très violemment combattue par la droite parlementaire. Très vite, cependant, sur tout l’échiquier politique, chacun a reconnu ses mérites et la profonde rénovation de notre vie administrative qui en est résultée. C’est du moins ce qui était proclamé. Mais, à voir ce qui se prépare hors de la mission, on peut se demander si certains ont bien accepté ce qui, pour le coup, était une révolution !
Je le rappelle, la première loi de décentralisation, relativement récente, n’a que vingt-sept ans. Elle fut suivie d’une série d’autres lois de mise en place et le processus initial ne fut achevé qu’en 1988.
Au demeurant, notre conception était, au vu du constat, de la faire évoluer en permanence. C’est ainsi que d’autres dispositions vinrent la compléter, la corriger ; parmi celles-ci, certaines se révélèrent majeures : je pense à la loi du 12 juillet 1999 sur l’intercommunalité. La réforme Raffarin de 2003-2004, dont nous n’avons pas approuvé tous les aspects, relevait du même principe évolutif.
Que nous propose-t-on aujourd’hui en marge de la mission sénatoriale ? De supprimer, à terme, deux niveaux de collectivités, les départements et les communes, pour ne conserver, selon les préconisations du comité Balladur, que l’intercommunalité et la région.
En effet, le mode d’élection qui se profile pour les intercommunalités favorisera l’émergence de « super-maires » qui ne laisseront aux maires des communes de base que la police et l’état civil.