Intervention de Emmanuelle Cosse

Réunion du 1er juin 2016 à 17h00
Relance de la construction en milieu rural — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Emmanuelle Cosse, ministre :

Cela change beaucoup de choses, en tout cas ! La question de la ruralité ne m’est pas étrangère.

En préambule, je voudrais rappeler, au nom du Gouvernement, notre ambition et plusieurs éléments importants de la politique que nous menons.

Notre ambition première est d’accompagner les territoires ruraux dans leur développement, en prenant des dispositions adaptées pour soutenir leur dynamisme – tel fut l’objet des trois derniers comités interministériels aux ruralités –, en construisant à partir des atouts de chaque territoire et en luttant contre toute forme de séparatisme, notamment entre le rural et l’urbain, en imposant des règles d’urbanisme qui concilient l’émergence de projets de développement et la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers faisant la richesse et l’attractivité des territoires ruraux.

Les comités interministériels aux ruralités, auxquels certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont assisté, ont été l’occasion d’annoncer un grand nombre de mesures en faveur des territoires ruraux, avec deux impératifs : pallier les effets de l’action des gouvernements successifs, notamment ceux de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, qui ont fait tant de mal aux zones rurales ; avoir un impact sur la vie quotidienne de nos concitoyens.

Ainsi, ce sont plus de 104 mesures qui ont été annoncées, dont 37 lors du dernier comité interministériel aux ruralités qui s’est tenu à Privas, parmi lesquelles le retour des services publics dans les territoires, avec le développement de 1 000 maisons de services au public d’ici à la fin de l’année, la lutte contre les déserts médicaux – c’est un enjeu absolument essentiel –, avec la création de plus de 400 maisons de santé et de 800 contrats, la lutte contre les « zones blanches » par le renforcement de la couverture mobile, la création des contrats de ruralité, afin de mettre en cohérence l’ensemble des actions menées en faveur des ruralités aux niveaux national et local et de fédérer l’ensemble des acteurs dans ces territoires, tout en finançant leurs projets d’investissement en matière d’accès aux services publics ou de création d’équipements.

Le Gouvernement agit de manière forte et résolue pour être aux côtés des habitants et des élus des territoires ruraux, et pour offrir aux ruralités – elles sont diverses – la politique ambitieuse qu’elles méritent.

Nous prenons ainsi des mesures spécifiques liées au logement et à l’habitat durable dans les territoires ruraux.

Le double enjeu, pour ceux-ci, est de lutter contre la vacance en centre-bourg, parfois liée à un habitat ancien dégradé, qui doit être réhabilité, et de contenir l’étalement urbain pavillonnaire en périphérie.

Il nous faut également améliorer l’adéquation de l’offre de logements avec les besoins des populations et les attentes des nouveaux arrivants.

Dans le cadre du plan de relance et des comités interministériels aux ruralités, le Gouvernement a déjà mis en place plusieurs initiatives, qui contribuent à apporter des réponses concrètes à la question du logement en milieu rural.

Ainsi, nous avons instauré un soutien à l’accession sociale à la propriété dans plus de 30 000 communes, par extension à l’ancien du prêt à taux zéro, le PTZ, pour l’achat d’un bien immobilier. Aujourd’hui, 60 % des PTZ pour l’ancien sont octroyés en zone C, c'est-à-dire en zones rurales.

Nous avons également institué un soutien à la construction neuve, avec le renforcement du PTZ, notamment dans la zone C : 45 % des PTZ octroyés depuis 1er janvier 2016 l’ont été en zone C.

Par ailleurs, nous soutenons la rénovation, avec la mobilisation du programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat : le nombre de logements concernés est passé de 50 000 à 70 000 en 2016, dont 40 % en secteur rural.

En outre, nous menons une politique de revitalisation des centres-bourgs. Le premier appel à manifestation d’intérêt lancé l’an passé a montré l’existence d’un réel besoin d’aides financières, mais aussi d’ingénierie dans les territoires ruraux.

Un autre enjeu est de soutenir l’économie dans ces territoires, notamment l’économie agricole, mais pas seulement. Nous devons en particulier favoriser le développement d’une agriculture locale compétitive et respectueuse de l’environnement. C’est notamment pour cette raison que nous avons soutenu la mise en place des groupements d’intérêt économique et environnemental forestier.

Ce développement impose bien entendu que des mesures soient prises pour préserver les terres agricoles, qui garantissent la pérennité de leur exploitation face à l’urbanisation. Il s’agit certainement là du sujet le plus difficile à traiter.

Certains territoires périurbains sont soumis à des pressions foncières extrêmement fortes ; dans d’autres, la construction reste limitée. Tous requièrent des solutions d’aménagement adaptées.

C’est pourquoi nous entendons développer des outils d’urbanisme adaptés et simples pour les territoires ruraux.

Ainsi, la planification stratégique, avec, par exemple, les SCOT et les PLU intercommunaux, reste la réponse appropriée pour concilier préservation de l’environnement et développement de nos villes et de nos villages. Je le dis devant vous : les territoires ruraux requièrent la même qualité en matière d’urbanisme ; ils ne doivent pas être considérés comme relevant d’un urbanisme de seconde zone.

Ainsi, il faut dire et répéter que les terres agricoles et les espaces verts ne sont pas des réservoirs de foncier pour une urbanisation diffuse et incontrôlée. Nous voulons promouvoir un aménagement plus économe et plus sobre, qui préserve les équilibres.

Nous considérons aussi qu’une attention particulière doit être portée à la préservation des centres-bourgs et que les solidarités territoriales doivent être renforcées.

Voilà pourquoi nous avons conçu une nouvelle génération de documents d’urbanisme, correspondant à des stratégies de développement efficaces et partagées, mises en œuvre à l’échelon intercommunal ; je pense notamment au plan local d’urbanisme intercommunal, le PLUI.

Comme M. le rapporteur vient de le rappeler, la loi ALUR a renforcé les obligations des collectivités territoriales en vue de réduire la consommation d’espace. En particulier, elle prévoit la fixation d’objectifs chiffrés de réduction de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers dans les documents d’urbanisme. Elle limite également la constructibilité des zones naturelles et agricoles et renforce le rôle des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, les CDPENAF.

J’ai entendu exprimer le souhait que les avis de ces commissions soient rendus facultatifs. Il se trouve que je viens d’une famille politique pour laquelle ces avis ne vont pas encore suffisamment loin… Il y a donc un vrai débat entre nous sur la mission de ces structures !

Ces commissions regroupent l’ensemble des parties prenantes : les représentants des collectivités territoriales et du monde agricole, c’est-à-dire des chambres d’agriculture et des syndicats agricoles, mais aussi des propriétaires fonciers et forestiers et des opérateurs fonciers. Elles expriment donc la synthèse des intérêts des différents acteurs, dans un souci de préservation des espaces ruraux et agricoles. Surtout, elles renforcent la sécurité des autorisations d’urbanisme délivrées par le préfet. On est loin d’un pouvoir de tutelle !

Plus généralement, la « boîte à outils » des règles d’urbanisme a été rénovée et développée, en vue notamment de répondre aux besoins des territoires ruraux.

D’abord, le nouveau règlement du PLU, entré en vigueur le 1er janvier dernier, doit permettre de mieux adapter les règles aux enjeux de chaque territoire. Ainsi, certains assouplissements en matière d’inconstructibilité, s’agissant notamment des annexes et extensions, ont été instaurés pour les zones agricoles et les zones naturelles.

Ensuite, nous observons aujourd’hui que la dynamique dans le domaine de la construction et du logement repose aussi sur les territoires ruraux, ce qu’atteste le développement des PLUI. De fait, le nombre de communautés de communes qui se dotent d’un PLUI est élevé : sur les 568 EPCI actuellement compétents en matière de PLU, près de 90 % sont des communautés de communes, majoritairement situées en zone rurale. En outre, plus d’un tiers des 270 candidats à l’appel à projets « PLUI 2016 » se trouvaient en zones de revitalisation rurale.

En discutant avec certains élus de ces zones, j’ai constaté qu’ils choisissaient de s’engager dans la démarche du PLUI parce qu’elle représente une chance pour leur territoire. En effet, cet outil permet de renforcer les petites communes, qui, unies, ont plus de poids pour défendre leur projet de territoire, ainsi que la solidarité entre ces communes, notamment par la mutualisation de moyens d’ingénierie. Il offre également un cadre réglementaire à la lutte contre la consommation excessive des espaces naturels, agricoles et forestiers ; de ce fait, il contribue à la préservation et à l’amélioration de la qualité paysagère, et donc de l’attractivité des territoires ruraux

Au fond, mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit de ne pas confondre le développement des territoires ruraux, qui requiert une juste prise en compte des enjeux de territoire et des projets de qualité, et une politique permissive en matière d’urbanisme, qui conduirait notamment à une artificialisation et à une imperméabilisation croissantes des sols. C’est pourquoi je veux défendre certains principes qui ont été inscrits dans notre législation.

Il me semble que les règles d’instruction des permis en zones agricoles sont adaptées ; il faut veiller à leur stabilité et à leur pérennité après les récentes évolutions, parmi lesquelles l’instauration du principe fondateur d’inconstructibilité en zones naturelles et agricoles, à l’exception des bâtiments nécessaires à l’exploitation agricole.

Il convient de préserver également le caractère exceptionnel des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées, les STECAL, dont il a déjà été plusieurs fois débattu au Sénat à l’occasion de questions posées au Gouvernement : ils doivent être le support d’un développement réfléchi et maîtrisé des zones agricoles et naturelles.

L’encadrement strict des évolutions de documents d’urbanisme et l’application de procédures de révision exigeantes lorsqu’une zone agricole ou naturelle doit être réduite doivent aussi être défendus ; ces évolutions peuvent d’ailleurs être l’occasion de renforcer la participation des citoyens.

Le renforcement du rôle des CDPENAF est une autre avancée qui doit être sauvegardée.

Enfin, il convient de poursuivre dans la voie de la stabilité des mesures fiscales en matière d’urbanisme. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté en 2010 une réforme proposée par le gouvernement précédent et qui a recueilli un large consensus : elle a permis de simplifier le paysage des taxes et participations en matière d’urbanisme par l’instauration d’un outil principal simple et lisible, la taxe d’aménagement. Il me semble qu’il ne serait pas opportun de rompre la stabilité en revenant sur cette mesure adoptée il y a six ans.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous rappeler ma ligne de conduite : plutôt que d’engager une nouvelle modification législative, j’entends poursuivre et amplifier le travail d’accompagnement technique, juridique et financier des collectivités territoriales et renforcer leur ingénierie.

Cette orientation se matérialise notamment par l’attribution d’une nouvelle mission de « nouveau conseil aux territoires » aux services déconcentrés, assortie d’un repositionnement des agents. Une circulaire du Premier ministre est parue sur ce sujet le 10 mars dernier, déclinée par le biais d’une note technique ; concrètement, 400 emplois à temps plein seront affectés à la nouvelle mission et 600 formations seront réalisées.

Elle se concrétise également par la mise en réseau des acteurs pour le partage et le retour d’expérience. Je pense en particulier au « club PLUI », animé par les agents du ministère du logement et qui fédère plus de 500 collectivités territoriales pour les accompagner dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme, ainsi qu’au séminaire sur le « SCOT des ruralités ».

Elle se traduit encore par le soutien financier ou en ingénierie de l’État, à travers des appels à projets, par exemple sur le PLUI et les SCOT ruraux, et les ateliers des territoires, plus particulièrement consacrés, cette année, aux territoires de montagne.

L’accent est mis sur la formation et l’information sur les nouveaux outils. Ainsi, vingt-quatre agents de mon ministère sont aujourd’hui formateurs sur le règlement du PLU : ils se déplaceront dans les territoires, en particulier ruraux, pour faire connaître les potentialités des nouveaux outils.

En outre, la présence des établissements publics fonciers, qu’ils soient locaux ou d’État, est étendue en vue d’aider l’ensemble des territoires non seulement à construire des logements, mais aussi à procéder à des restructurations foncières au service de l’activité économique.

Enfin, l’État prête une attention particulière aux difficultés des communes rurales. Sa présence se renforce, notamment en matière de formation, et il se tient à l’écoute des élus locaux.

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