C'est pourtant celle qui est en train de devenir le marqueur d'un certain élitisme de la pensée. De mon point de vue, il faut absolument la rejeter. Quand j'étais chercheur en informatique, j'ai côtoyé un formidable mathématicien, Marcel-Paul Schützenberger, venu aux mathématiques à cinquante ans après toute une vie de psychiatre et d'intellectuel politique. À l'origine, avec Noam Chomsky, de « super-théorèmes », il s'est notamment intéressé à la théorie des automates finis, dont le but était de démontrer qu'il existait un biais de départ en matière d'intelligence artificielle rendant impossible l'exécution, par les machines, d'un certain nombre de tâches, par exemple la traduction d'une langue dans une autre. C'est vrai, en théorie. J'ai moi-même passé des années de ma vie à essayer de le démontrer. Il n'empêche, malheureusement, qu'en pratique on arrive à fabriquer des traducteurs automatiques.
L'Estonie, quant à elle, est un modèle absolument étonnant, preuve qu'on peut aller très loin, même si, assez rapidement, on risque de buter sur les enjeux sensibles de liberté et d'identité numérique.
À l'évidence, dans un pays grand comme la France, il faut, dans la manière de concevoir les choses, associer la puissance publique et la faire travailler en écosystème. Le « patron » de l'informatique publique, Henri Verdier, met en avant, non sans raison, la notion d'État plate-forme.
Je me suis intéressé à la situation de Pôle Emploi. C'est l'administration qui a la plus mauvaise image dans les sondages quand les chiffres du chômage sont ceux qui sont le plus attendus par nos concitoyens. Le problème du chômage est une priorité nationale. Or, au moment où j'élaborais mon rapport, seuls 17 % des chômeurs étaient inscrits à Pôle emploi, qui montrait une incapacité à maîtriser réellement cet enjeu du numérique. Parallèlement, plusieurs start-up avaient imaginé toute une série d'outils très fluides et efficaces. Il fallait assurer la cohésion entre les deux. J'en ai parlé longuement au patron de Pôle Emploi : il était d'accord avec moi mais pointait un déficit de confiance chez ses agents. La confiance, lui ai-je rétorqué, cela se crée. Il l'a fait en leur parlant un langage de vérité, en leur expliquant que vouloir travailler avec des start-up était tout sauf un effet de mode. Pôle Emploi doit à la fois gérer le contact avec les chômeurs, avec les entreprises, et, tous les mois, rendre compte au ministre du travail et à l'Élysée des mauvais chiffres du chômage. C'est un travail épuisant, bien différent de celui d'un entrepreneur du numérique, qui est à 200 % concentré sur ses clients et leurs besoins. Pôle emploi exerce des missions complémentaires et ne peut pas avoir cette capacité à se dédier entièrement à ses « clients ». J'ai été un petit peu suivi car, de fait, dans le prolongement de mon rapport, a été mis en place ce qui s'appelle l'« Emploi Store », une sorte d'App Store de l'emploi.