Je suis heureux de rencontrer l'un des pères de la loi Informatique et libertés, loi utile s'il en est, alors que tant d'autres ne le sont pas...
J'ai longtemps cru ne jamais pouvoir me passer de mon stylo ; je l'ai d'ailleurs toujours sur moi. Mais je ne pourrais pas non plus me passer du traitement de texte. L'informatique, comme la machine à vapeur avant elle, a transformé notre société. Le numérique est avant tout un outil qu'il s'agit de s'approprier. À cet égard, j'aurai un petit reproche à vous faire car cet outil ne devrait pas servir seulement à mieux vendre mais pourrait aussi être utilisé pour mieux penser. Voilà un aspect très absent de la réflexion générale même si je note que vous avez évoqué Chomsky.
On s'est aperçu combien il pouvait être intéressant de comparer ce à quoi conduisaient les procédures algorithmiques mises en place par les opérateurs. Je pense à l'envahissant M. Google : les outils qu'il a développés sont loin d'être neutres, pourtant on ne se bouge pas trop pour faire autre chose. Pour trouver certaines informations sur Google, il faut chercher, quand d'autres sont envahissantes. Tapez « dette publique », et vous obtiendrez 566 000 occurrences. Tapez maintenant « dette privée », vous n'en aurez que 66 700. La dette publique, ce n'est pas beau ; la dette privée, on n'en parle pas. Il y a des biais qui s'insèrent sur la toile et ce serait tout de même bien de s'en préoccuper. De même, s'agissant de l'éducation, l'ordinateur, l'informatique, la connexion à internet servent uniquement à recueillir des informations alors que cela pourrait également permettre, via des jeux de simulations, de penser un petit peu autrement. Ce serait un point à développer.
Je suis conscient que vous n'avez pas pu tout dire mais il est un deuxième aspect qui semble manquer dans votre approche, à savoir le rôle des institutions. Que serait la Silicon Valley sans les grandes universités américaines, qui pompent pas mal de nos cerveaux, et puis surtout sans le Pentagone ?
Monsieur Lemoine, l'enjeu premier, c'est de mettre en place des programmes d'actions, de lancer des appels d'offres pour attirer chercheurs et innovateurs, ce que vous avez vous-même évoqué en parlant d'un certain nombre de programmes européens. Voilà qui serait autrement plus efficace que de savoir s'il faut privilégier une gouvernance interministérielle. Il faudrait aussi disposer d'une recherche fondamentale un peu plus étoffée. J'ai cru comprendre, si je me trompe, dites-le-moi, que la prochaine révolution informatique sera l'informatique quantique. C'est un domaine qui reste encore très confidentiel, notamment, je le crains, dans les universités françaises, alors qu'en Amérique du Nord on s'y intéresse déjà beaucoup.