Intervention de Jean-Jacques Lozach

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 19 mai 2016 : 1ère réunion
Gestion de la ressource en eau : présentation du rapport d'information

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach, rapporteur :

Mes chers collègues, la question de bon sens que vient de poser Henri Tandonnet m'amène tout naturellement à notre second temps : le temps du partage. Il convient en effet, en la matière, de privilégier une approche collective.

Depuis la loi du 3 janvier 1992, l'eau « fait partie du patrimoine commun de la nation ». C'est une ressource qui n'appartient à personne, elle est la propriété de tous. De fait, les usagers de l'eau sont innombrables.

On pense évidemment, en premier lieu, à la consommation humaine en eau potable, avec toutes les contraintes qui s'attachent à son prélèvement, son traitement, son acheminement et sa distribution.

Ajoutons aussitôt les agriculteurs, pour lesquels elle constitue tout à la fois le moyen d'assurer leur revenu mais aussi de produire l'alimentation humaine et animale et de participer à l'indépendance alimentaire de notre pays. Sans oublier, aussi, le rôle joué par l'agriculture dans notre balance commerciale.

Suivent ensuite les producteurs d'énergie, qu'il s'agisse de l'eau utilisée pour faire fonctionner les centrales nucléaires et permettre le refroidissement des réacteurs ou bien encore de celle qui est destinée à la fourniture d'hydroélectricité, l'eau étant, je vous le rappelle, notre première source d'énergie renouvelable et notre seul moyen de stockage de l'énergie. Elle est tellement ancienne et habituelle qu'on oublie souvent de l'évoquer comme énergie renouvelable, en privilégiant les références à l'éolien, au solaire ou à l'énergie bois.

Puis viennent les industriels, car l'histoire du développement industriel s'est construite, dès l'origine, en partenariat avec l'eau : pour l'acheminement des matières premières ou des produits finis, ce qui englobe donc également le secteur du transport fluvial et de la batellerie ; pour assurer le processus de fabrication ou bien encore pour effectuer le rejet des sous-produits ou des déchets qui en découlent. Les préoccupations environnementales étaient en effet absentes au moment de l'industrialisation du pays.

Je citerai également les pratiquants d'activités sportives, de loisirs et touristiques, qui suscitent des besoins en hausse, dont la courbe est proportionnée à celle de l'évolution des modes de vie actuelle. Les pêcheurs, les pratiquants de sports d'eau - canoë-kayak, canyoning, nage en eau libre,... -, les golfeurs, les skieurs, avec le recours accru aux canons à neige en raison du réchauffement climatique, notamment dans les stations de basse altitude, les vacanciers et les touristes sont, par nature, de forts consommateurs d'eau.

Et, pour finir, les milieux naturels : la faune et la flore aquatiques, la biodiversité sont autant d'« usagers » de l'eau sur lesquels veillent, avec une vigilance extrême, les associations de protection de l'environnement.

Vous l'avez compris, les intérêts des uns et des autres se trouveront fatalement en contradiction et entraîneront des conflits d'usages, tout particulièrement durant la période estivale, lorsque les pics de chaleur se heurteront aux pics de besoin.

Dès lors, pouvons-nous hiérarchiser les usages de l'eau ? C'est évidemment un débat difficile et sensible, qui comporte le risque d'aviver les conflits précisément au moment où nous souhaitons les anticiper pour ne pas en subir les effets.

Néanmoins, il nous paraît nécessaire d'affirmer que la priorité absolue, celle qui doit s'imposer sans contestation, est celle qui conditionne la survie de la population. Elle s'exprime en deux termes : l'alimentation et la sécurité sanitaire. Il en résulte qu'en toutes circonstances il nous faudra veiller à l'approvisionnement alimentaire, à la fourniture d'eau potable répondant à nos critères nationaux de qualité et à la sécurisation des installations nucléaires.

Ce faisant, il est à notre sens primordial de ne pas mettre en opposition frontale les intérêts des consommateurs et ceux du monde agricole. En effet, tous partagent l'objectif commun de disposer d'une alimentation suffisante et à coûts accessibles.

Nous saisissons cette opportunité pour mettre en lumière un aspect trop méconnu de l'eau. Si l'on prononce le mot « eau », nous vient aussitôt à l'esprit l'eau visible, celle qui alimente les fleuves ou les lacs, ou bien encore celle qui se stocke dans les glaciers et les nappes phréatiques, dont on connaît l'existence même sans vraiment la voir.

Mais il existe aussi une eau invisible, une eau virtuelle : c'est celle qui correspond à la quantité d'eau qu'il a fallu mobiliser pour produire les biens de consommation dont l'utilisateur final ignore souvent le volume, et même parfois l'existence. Se pose la question de la justesse des estimations. En effet, les chiffres sont tellement variables d'une source à l'autre que l'on ne sait auxquels se fier avec certitude mais, schématiquement, un kilo de salade, c'est équivalent à 50 litres d'eau ; un kilo de maïs, à 500 litres ; un kilo de blé, à 1 300 litres ; et un kilo de viande de boeuf, à 13 500 litres.

Donc, lorsque nous importons des tomates d'Espagne ou du Maroc, c'est l'eau de pays encore plus fragilisés que le nôtre que nous achetons. Pour le dire de façon technocratique, l'eau virtuelle permet d'équilibrer le bilan hydrologique d'un pays sans importer réellement de l'eau. Il est nécessaire d'avoir cette réalité en tête pour promouvoir la vision de justice et de partage que nous soutenons pour le monde de demain, et que nous voulons promouvoir au travers de ce rapport.

En 2007, seule année pour laquelle ce calcul complexe a été effectué, au vu de nos échanges commerciaux, la France a été virtuellement importatrice nette d'eau à hauteur de 8,4 milliards de mètres cubes. Rapportés aux plus ou moins 33 milliards de mètres cubes prélevés sur le territoire métropolitain à la même époque, c'est loin d'être négligeable.

Puisque j'évoquais aussi la sécurité des installations nucléaires, une petite précision sémantique doit être faite. Il faut bien distinguer ce qui relève du prélèvement aquatique de ce qui correspond à une consommation effective d'eau.

Le secteur énergétique est, de loin, celui qui prélève le plus d'eau - 63 % -, mais il est faible consommateur - 22 % - car il restitue, après usage, l'eau aux milieux naturels. Certes, cette eau peut avoir été modifiée au passage, notamment en termes de température, ce qui n'est pas neutre quand elle est reversée dans une eau courante à étiage bas, donc déjà plus chaude qu'à la normale. C'est ce qui rend possible, par exemple, l'élevage de crocodiles au pied de la centrale de Civaux, dans la Vienne.

À l'inverse, le secteur agricole ne ponctionne que modestement les stocks pour l'irrigation - 10 % - mais absorbe à lui seul presque la moitié - 48 % - de la consommation, car l'eau ne retourne pas aux milieux naturels dont elle provient, étant pour partie restituée dans l'atmosphère par évapotranspiration.

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