Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme chaque année depuis 1971, le débat consacré au bilan d’application de la loi est aussi l’occasion pour nous de réfléchir sur nos méthodes de travail.
Au-delà des aspects quantitatifs de la mise en œuvre, l’application de la loi est inextricablement liée à sa qualité ; personne ne le contestera.
Mieux légiférer, c’est un souci qui traverse toutes les institutions chargées de pouvoirs normatifs, y compris les institutions européennes. D’ailleurs, elles sont récemment parvenues à un accord interinstitutionnel à cet égard.
La défiance qui anime de nombreux citoyens est un motif supplémentaire pour conduire une réflexion approfondie sur notre capacité à légiférer, si possible à bon escient – chacun sait que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires –, puis à faire appliquer des normes dans des délais raisonnables. Mais on se saurait confondre vitesse et précipitation.
Le contrôle de l’application des lois est absolument nécessaire pour le Parlement. À long terme, retarder l’entrée en vigueur de dispositions annoncées, donc attendues par les citoyens, contribue à affaiblir la loi et la parole publique. Il est donc impératif de poursuivre les efforts qui sont les nôtres dans l’usage de nos prérogatives de contrôle en la matière. Sans les textes d’applications qui s’imposent, une loi adoptée par le Parlement et promulguée par le président de la République risque de demeurer lettre morte.
En tant que parlementaires, nous disposons de peu de moyens juridiques pour lutter contre les retards de publication de textes d’application. Mais il est positif de constater la multiplication de comités de suivi destinés à surveiller les effets d’un texte après son adoption.
Certaines dispositions méritent, en effet, une vigilance particulière en raison de la menace qu’elles présentent pour les libertés – c’est le cas de l’état d’urgence, monsieur le secrétaire d’État – ou de la complexité de leur exécution – la refondation de l’école, par exemple.
Le déficit d’information est également une problématique récurrente. Malgré nos précédentes mises en garde, nous ne pouvons que regretter que le taux de communication de rapports d’origine gouvernementale n’ait pas augmenté depuis la dernière session puisqu’il stagne autour de 60 %.
À première vue, selon les estimations de notre excellent rapporteur, l’augmentation du taux de parution des décrets d’application pris lors de la session parlementaire 2014-2015, qui porte à 80 % le taux de parution pour la XIVe législature, est une évolution réjouissante. La réduction à moins de six mois du délai moyen de parution des décrets d’application procède du même effort gouvernemental.
Toutefois, ces résultats cachent des disparités entre les textes et ne permettent pas, à eux seuls, d’apprécier la mise en œuvre effective des dispositions adoptées par le Parlement lors de cette législature.
Les auteurs du rapport annuel soulignent que le taux de publication des décrets d’application n’est pas un indicateur suffisant pour juger de l’opérabilité d’un dispositif. Il arrive en effet qu’une loi soit appliquée sans que les mesures d’application n’aient été prises. Dans d’autres cas, les mesures d’application sont décrétées, mais la mise en œuvre se heurte à des difficultés sur le terrain.
Paradoxalement, ces bons résultats quantitatifs interviennent à l’issue d’une session qui a été marquée par un phénomène que l’on pourrait qualifier de « densification législative ». Le nombre de lois examinées a diminué, mais leur taille moyenne a augmenté, tout comme la part des textes d’origine gouvernementale. Il s’agit de lois conçues comme des grands ensembles. Cela présente l’avantage de la cohérence : en embrassant l’ensemble des aspects du sujet, le législateur cherche à maîtriser toutes lesconséquences des nouvelles dispositions. Cependant, lorsqu’elle est conjuguée à la procédure accélérée, cette pratique réduit considérablement les temps d’examen et d’amendement parlementaire, et le risque de la « loi fourre-tout » n’est jamais bien loin.
Au-delà de l’inflation législative qui en résulte, l’absence de deuxième lecture nous contraint à une très grande réactivité dans des délais particulièrement courts. Il est donc très décevant de constater que l’urgence qui justifiait la mise en œuvre de la procédure accélérée disparaît parfois au moment de la publication des mesures d’application de ces mêmes textes !
Au-delà de ces remarques générales sur l’évolution de l’examen et de l’application des lois, je voudrais également insister sur quelques dispositions plus précises.
À l’heure de leur application, certains textes semblent souffrir de leur gigantisme, sans que l’on puisse discerner clairement les causes réelles des retards de publication observés. On parle beaucoup de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, parue au Journal officiel il y a plus de deux ans, qui nécessite encore un très grand nombre de mesures d’application pour produire tous ses effets. Il ne s’agit cependant pas d’un cas isolé, puisque la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, promulguée en octobre 2014, connaît les mêmes difficultés de mise en œuvre.
Pour les thèmes qui ont accaparé l’actualité lors de la session précédente, les retards de publication de décrets d’application sont moindres, mais parfois préoccupants. S’agissant de la loi relative à la réforme du droit d’asile, parue il y a bientôt un an, plusieurs décrets en Conseil d’État se font toujours attendre pour permettre sa pleine application. De même, il est étonnant de constater que le décret relatif à la détermination des modalités et des conditions d’échanges d’informations entre les services de renseignement et les autres autorités administratives ne soit pas encore paru, alors que le Gouvernement justifie la prorogation de l’état d’urgence par la menace terroriste…
Enfin, les retards n’épargnent pas les décrets d’application de textes d’origine parlementaire, quand bien même ils concernent des dispositions très attendues par nos concitoyens. Il s’agit, par exemple, du décret simple visant à préciser les conditions d’intervention de l’inspecteur du travail lorsqu’il constate qu’un stagiaire occupe un poste en méconnaissance de dispositions du code du travail.
Logement, agriculture, réfugiés, sécurité, emploi : tous ces textes ont des implications très concrètes sur la vie des Français. Au nom du groupe du RDSE, je souhaite donc alerter le Gouvernement sur les retards constatés s’agissant des mesures d’application, retards que rien ne semble justifier, d’autant moins que les mesures sont souvent très attendues sur le terrain par les acteurs concernés.