Intervention de Christian Favier

Réunion du 7 juin 2016 à 14h30
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Christian FavierChristian Favier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat de ce jour, devenu une tradition de notre assemblée, pourrait paraître routinier si nous devions nous limiter à l’examen de statistiques plus ou moins complètes sur l’application des lois. Mais la vérité commande de faire quelques remarques sur le processus de formation et de mise en œuvre de la loi dans notre pays.

Tout d’abord, il faut bien constater la réalité d’un nouvel alourdissement de la durée et de la densité des travaux parlementaires.

La session 2014-2015 a en effet été marquée par une nouvelle relance de la durée des séances publiques, avec 1 077 heures constatées. Nous avons ainsi connu 147 jours de séance, bien au-dessus des 120 jours « constitutionnels ».

L’activité a été également marquée par une véritable explosion du nombre des amendements déposés sur les différents textes examinés puisque ceux-ci sont passés de 11 856 sur la période 2013-2014 à 17 306 pour 2014-2015, soit une hausse de 46 %.

La matière législative à examiner le justifiait au demeurant pleinement, notamment pour ce qui concerne la loi NOTRe et la loi Macron.

Notons enfin que le rythme des travaux du Sénat au cours de la session actuelle ne s’est pas à proprement parler réellement ralenti, avec 714 heures de séance constatées avant l’examen, probablement chronophage, du projet de loi « Travail », et une, voire deux sessions extraordinaires qui devraient accroître encore l’intensité des travaux parlementaires.

Une autre observation que je souhaite relever, au-delà de toute considération de fond, porte sur le recours constant à la procédure d’habilitation.

Pas moins de 69 ordonnances ont été promulguées en 2015, soit bien plus que les 41 textes adoptés sur la période 2014-2015.

Ce recours renforcé à la procédure d’habilitation n’est pas sans poser de sérieux problèmes quant au sens que l’on entend donner au travail du législateur.

L’un des autres aspects formels est bien entendu le recours à la procédure accélérée, qui concerne l’essentiel des textes d’origine gouvernementale et se heurte bien souvent au principe de réalité.

Pour prendre l’exemple de la loi Macron, on rappellera que le texte fut déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en décembre 2014 et a attendu le 6 août 2015 pour être promulgué. Le projet de loi était pourtant assorti de la déclaration de procédure accélérée.

Quant à la loi NOTRe, compte tenu de sa nature, elle a fait l’objet d’un dépôt sur le bureau du Sénat en juin 2014 et sa promulgation définitive, malgré la procédure accélérée, est intervenue le 7 août 2015. Une procédure accélérée qui dure quatorze mois, cela fait tout de même beaucoup !

Un tel phénomène interroge sur le sens que l’on donne aux mots et aux choses, notamment quand on présente en débat des textes comportant, dès l’origine, un nombre d’articles ou de dispositions si élevé qu’un temps significatif est nécessaire pour un examen digne de ce nom.

Le travers de ces textes touffus n’a manifestement pas été abandonné puisque le projet de loi « Travail » comporte, avant le passage en séance au Sénat, plus de 100 articles. On y trouve notamment ce fameux article 2 relatif à l’insécurité juridique des accords collectifs, qui comporte rien moins que 745 alinéas après son examen en commission. Par ailleurs, l’article 3, qui vise à remettre en cause les modalités de congé, compte lui 417 alinéas…

Cette manière de procéder ne nous semble pas présenter les garanties les plus solides quant à la qualité, à la lisibilité et à la compréhension de la loi !

Quoi qu’il en soit, à multiplier les textes complexes, on multiplie aussi les recours et donc les retards de traduction réglementaire, en raison de la publication nécessaire d’un plus grand nombre de décrets et arrêtés d’application.

Ainsi, dans le cas de la loi Macron, plus de 50 dispositions réglementaires diverses et 28 autres mesures dont pas moins de 10 ordonnances, certaines désormais frappées d’une habilitation obsolète, sont restées en souffrance.

Outre le fait que de nombreux rapports prévus par le texte concerné n’ont toujours pas été publiés, on relèvera l’absence de l’ordonnance relative à la création de l’établissement public prévu pour la réalisation du canal Seine-Nord-Europe, tandis que, parmi les dispositions réglementaires prévues, manquent encore des décrets comme celui pour prévenir la conduite d’autocar sous l’empire d’un état alcoolique, ainsi que la plupart des décrets concernant l’évolution de la profession notariale ou l’ensemble relatif au fonctionnement des conseils de prud’hommes.

Pour ce qui est de la loi NOTRe, si 23 dispositions réglementaires prévues ont été promulguées, 21 autres n’ont toujours pas été prises.

On relève ainsi que certaines mesures relatives au traitement et à la planification du traitement des déchets n’ont toujours pas été prises. Par ailleurs, on n’en sait pas plus sur le contenu des conventions régionales en matière de construction de logements sociaux.

Le fait que certaines dispositions réglementaires n’aient pas encore été prises peut fort bien provenir de l’opposition durable de certains secteurs professionnels à toute modification des règles en vigueur.

Vu le retard enregistré dans la transformation des professions dites « réglementées », il est évident que d’aucuns poursuivent le combat engagé avant la discussion de la loi, parfois d’ailleurs à juste titre.

Pour ce qui concerne la loi NOTRe, sa mise en œuvre s’est accompagnée d’une nouvelle élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale qui ont, de manière systématique, visé à réduire le nombre d’EPCI existants en vue d’assurer à quelques notables la haute main sur le devenir de territoires toujours plus vastes et bien souvent incohérents.

Cette recentralisation des responsabilités, ce renforcement des échelons régionaux et intercommunaux au détriment des niveaux départementaux et communaux risque, sur la durée, de coûter très cher à la République, noyée dans une nouvelle et coûteuse technocratie totalement coupée des citoyens.

La revivification de notre démocratie passe par un renforcement de la démocratie locale – nous ne sommes pas les seuls à le penser, je vous renvoie notamment aux propos de notre collègue Philippe Bas – et, pour tout dire, un nouveau texte décentralisateur et progressiste reste nécessaire.

Je ne suis pas certain que la loi NOTRe ait jamais répondu à cette définition, surtout accompagnée par des lois de finances grevées par l’austérité.

Il est donc temps, pour faire la loi dans notre pays, de retrouver la voie du dialogue, de l’échange et de la démocratie. Telles sont les remarques que souhaitait le groupe CRC à ce moment du débat.

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