Merci, monsieur le président, de ces mots aimables.
C'est à la fois une obligation et un plaisir de venir ici présenter ce contrat d'objectifs et de moyens. J'articulerai mon exposé autour de deux questions : où en sommes-nous et où allons-nous ? En d'autres termes, je m'attacherai à dresser un bilan et à tracer des perspectives.
Notre métier consiste à projeter l'expertise française à l'international, à accompagner et conseiller des gouvernements et des administrations étrangères dans la mise en place de politiques publiques.
Nous gérons 400 projets, dans 80 pays, pour un chiffre d'affaires de 130 millions d'euros, dont 65 % proviennent de contrats à financements multilatéraux ou européens et 35 % de contrats bilatéraux.
Plus concrètement, nous travaillons, par exemple, sur un projet de renforcement des finances publiques en Grèce et sur la ville durable en Turquie ; nous gérons des centres de soins primaires en Syrie ; nous travaillons sur les finances publiques et sur le renforcement des équipes douanières en République centrafricaine ; nous sommes présents au Maroc sur un projet d'accompagnement du ministère de l'immigration et de la diaspora marocaine ; nous travaillons en Tunisie sur un projet de renforcement des services de l'Assemblée des représentants du peuple et sur un grand projet de dépollution du golfe de Gabès avec les collectivités territoriales, le Gouvernement et les industries ; nous travaillons aussi en Chine dans le domaine de la protection vieillesse...
Quel bilan tirer, après dix-huit mois d'existence ? Notre croissance atteint cette année 14 % - si nous enlevons les projets d'infrastructures que nous gérons pour le compte de l'ONU et l'aide que nous apportons à la logistique de la MINUSMA, cette croissance atteint 30 % sur la seule activité de conseil et d'expertise.
Où va-t-on ? Rassurez-vous, monsieur le président, je ne reprendrai pas les soixante pages du contrat d'objectifs et de moyens. J'évoquerai simplement quatre objectifs.
Le premier objectif consiste à construire une agence polyvalente, dans ses missions, dans ses métiers et dans ses secteurs.
Polyvalence dans les missions : une mission de solidarité - améliorer la gouvernance des pays du Sud -, une mission d'influence politique - projeter la vision française du monde et de la mondialisation - et une mission d'influence économique, de diplomatie économique.
Trois métiers : le métier de conseil, d'accompagnement ; le métier d'assistance directe aux populations, ce que nous faisons en Syrie ; et le métier de gestion de projets complexes d'infrastructures et d'expertise, ce que nous faisons, par exemple, pour la MINUSMA et que nous comptons développer dans d'autres secteurs.
Le contrat d'objectifs et de moyens nous fixe quatre secteurs prioritaires : la gouvernance démocratique et financière, le développement durable, le renforcement des systèmes de santé, de protection sociale et d'emploi et le renforcement des services de sécurité et l'accompagnement des pays fragiles en situation de crise ou de post-crise.
L'État nous demande également de nous investir dans deux nouveaux secteurs : l'agriculture et l'éducation.
D'un point de vue géographique, le contrat d'objectifs et de moyens nous fixe une compétence universelle : le mandat d'influence ne s'arrête pas aux seuls pays en développement. Nous travaillons en particulier dans le voisinage européen - Balkans et pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne -, dans les pays du Golfe - je viens de signer au Bahreïn un contrat de 8,3 millions d'euros dans le domaine de l'urbanisme - et dans les pays émergents.
Le contrat d'objectifs et de moyens nous impose toutefois de maintenir 50 % de notre activité en Afrique et 20 % dans le voisinage européen - à l'est et au sud, vers le Maghreb.
En résumé sur ce premier objectif, si j'osais, je dirais qu'il s'agit de un couteau suisse de la coopération technique française !
Le deuxième objectif consiste à faire de l'agence l'opérateur de référence de la coopération technique française.
Nous avons rassemblé six opérateurs qui appartenaient chacun à des ministères différents. L'État nous demande de fédérer « l'équipe France » de la coopération technique en rassemblant d'abord les opérateurs publics.
Nous représentons déjà 75 % du chiffre d'affaires de la coopération technique publique française. Nous souhaitons mettre en place une coopération opérationnelle avec les autres opérateurs afin de créer une véritable « équipe France » de la coopération technique et gagner ensemble des marchés internationaux.
Nous devons rassembler le secteur public, mais aussi porter le secteur privé, chaque fois que cela est possible.
C'est ce que nous avons fait, par exemple, au Bahreïn, en remportant ce contrat sur la réforme du ministère de l'urbanisme et de la planification urbaine autour de la capitale aux côtés d'Egis, d'Arep et de Setec - des bureaux d'études d'excellence français. Cette opération permettra de conduire des projets d'infrastructures selon une planification élaborée par des bureaux d'études français et par Expertise France, ce qui devrait amener un certain nombre de champions français à se positionner, notamment sur le transport léger.
Rassembler le secteur public, porter le secteur privé, notamment dans des offres intégrées associant expertise et infrastructure, nous le faisons en portant Thalès et Razel-Bec dans la construction et la sécurisation des camps de la MINUSMA. Nous pourrions aussi le faire dans le domaine de la santé en portant non seulement l'expertise, mais aussi l'ensemble des équipementiers et de l'ingénierie hospitalière.
Pour faire d'Expertise France l'opérateur de référence de la coopération technique, nous devons enfin construire un partenariat stratégique avec l'Agence française de développement, l'AFD, opérateur pivot de la coopération et établissement de crédit.
L'AFD finance les projets ; nous sommes une agence de mise en oeuvre. Ce contrat fixe un objectif de 25 millions d'euros de projets de coopération communs avec l'AFD. Au-delà de cet objectif, nous avons un intérêt à travailler main dans la main : nous avons les mêmes tutelles, nous avons les mêmes objectifs issus de la même stratégie en matière d'action extérieure de l'État. Il nous faut construire un ensemble un partenariat et des marges de progression existent.
Le troisième objectif devrait être le premier. Il s'agit de parachever la fusion et d'apaiser le climat social. Les syndicats m'ont d'ailleurs demandé d'en faire le premier objectif et j'ai demandé aux tutelles d'accéder à cette demande tant elle s'apparente à une évidence.
Nous avons beaucoup de vent dans les voiles, alors que la construction du bateau n'est pas achevée. Cette fusion, comme toutes les fusions, est éprouvante. Mais elle l'est peut-être plus que d'autres. En regroupant ces six opérateurs, nous n'avons certes pas fusionné Ernst & Young avec Médecins sans frontières, mais presque...
Nous avions des cultures d'entreprise extrêmement variées, des statuts variés. Or la culture est le facteur dominant dans la construction d'un collectif.
Cette fusion est éprouvante pour les personnels parce qu'il a fallu que 50 % d'entre eux passent d'un statut de droit public à un statut de droit privé, parce que 40 % ont dû changer de fonction pour rentrer dans le nouvel organigramme et parce que 30 % ont dû changer de métier : on leur demandait de gérer une subvention et on leur demande maintenant de gagner des marchés, ce qui est un métier assez différent.
Ces dix-huit mois ont donc été éprouvants et je reconnais que le climat social est tendu. Nous devons d'abord harmoniser les temps de travail et la grille salariale dans le cadre d'un premier accord d'entreprise. Nous vivons avec sept régimes différents de temps de travail ; dans un même bureau, certains peuvent avoir quinze jours de RTT en plus ou en moins et une différence de salaire pouvant dépasser mille euros.
Je négocie depuis six mois un accord d'entreprise avec les délégués syndicaux, ce qui n'est pas chose aisée sous contrainte d'équilibre financier. Je pense que nous allons bientôt aboutir à un compromis.
Nous devons donc accompagner le changement. Il s'agit d'un effort important en termes de formation professionnelle et de réalisation d'outils notamment informatique. Nous devons donner aux salariés les moyens d'atteindre les objectifs fixés. L'ensemble de ces mesures me paraît tout à fait primordial.
Le quatrième objectif, et non des moindres, est celui de la trajectoire financière. Nous devons, en cinq ans, parvenir à l'équilibre et à l'autofinancement, et doubler le chiffre d'affaires. Un ami m'a fait remarquer qu'il s'agissait du business plan non pas d'un établissement public, mais d'une start-up. Mais nous sommes prêts à relever le défi !
Notre déficit de départ est important : les agences fusionnées étaient à peine à l'équilibre et bénéficiaient d'avantages en nature importants, de l'ordre de 6 millions d'euros. Quand nous avons fusionné, ces 6 millions d'euros ont progressivement disparu. Par ailleurs, les coûts de fusion ont été de l'ordre de 3 millions.
Nous faisons face à une situation déficitaire avec pour objectif - c'est écrit noir sur blanc dans le contrat d'objectifs et de moyens - de réduire de 30 % le déficit dès l'année prochaine, de 50 % l'année suivante, et d'arriver donc à l'équilibre en cinq ans. Il s'agit d'un objectif ambitieux que l'on peut atteindre en agissant sur trois leviers : augmenter l'activité, améliorer les marges et réduire les coûts.
Cela suppose à la fois une transformation des méthodes de travail, une évolution du personnel et un défi managérial important.
Cette trajectoire comporte néanmoins un certain nombre de risques.
Nous devons tout d'abord éviter de nous enfermer dans une logique purement opportuniste en cherchant avant tout, comme n'importe quel opérateur privé, à gagner des marchés, quitte à s'écarter de la stratégie française de coopération au développement.
Certes, 60 % de notre trajectoire sera liée à notre développement économique et aux marchés internationaux, mais 40 % sont liés à la commande publique. Il revient donc à cette commande publique de nous conduire vers les secteurs et les pays faisant partie de la stratégie française. C'est toute l'importance du partenariat avec l'AFD.
Nous devons ensuite prendre garde au risque social, qui menace au sein même de l'Agence et sur lequel je ne reviendrai pas plus longuement.
À vouloir faire du chiffre pour du chiffre enfin, c'est la qualité de nos projets qui pourrait en souffrir ; à nous de faire en sorte de la préserver. En effet, nous engageons à la fois la réputation de la marque Expertise France, mais aussi, en quelque sorte, celle de l'expertise française. C'est la raison pour laquelle ce contrat d'objectifs et de moyens comporte notamment des indicateurs d'évaluation de la qualité de l'Agence.
Si nous maîtrisons ces différents risques, je pense que nous parviendrons à construire un opérateur utile à la politique de solidarité française. Améliorer la gouvernance est sans doute ce que l'on peut faire de plus utile pour les pays en difficulté qui ont tout autant, sinon plus, besoin de transferts de compétences, de savoir-faire, que de transferts financiers.
Expertise France est un opérateur utile aussi en termes de rayonnement de la France. En exportant l'expertise française, on exporte des normes françaises ; et, quand on exporte des normes françaises, on exporte un écosystème favorable aux intérêts politiques et économiques français. Expertise France, et l'expertise en général, sont un outil moderne au service d'une diplomatie globale.
Monsieur le président, permettez-moi une réflexion d'ensemble en guise de conclusion : si la création d'Expertise France est une réussite, la France reste en retrait en matière d'expertise.
À moyens constants, l'Allemagne, par exemple, consacre 27 % de son aide au développement à l'expertise publique. En France, je ne peux vous donner de chiffres, mais on est sans doute à moins de 10 % !
L'Allemagne a compris à quel point l'expertise pouvait être un vecteur d'influence. La GIZ, qui est l'homologue allemande d'Expertise France, met en oeuvre 2,1 milliards d'euros de projets dans le monde sur financements publics, quand nous bénéficions d'une commande publique d'environ 21 millions d'euros...
Les Allemands y croient. Je pense que la France, qui dispose d'une longue tradition de coopération technique et d'une intimité avec les pays du Sud que l'Allemagne n'avait pas, devrait sans doute y penser plus souvent.
Expertise France peut contribuer à pallier cette faiblesse en gagnant des parts de marché. Nous le ferons sans doute d'autant mieux que nous serons aidés dans la construction d'Expertise France et la structuration des équipes et que nous serons accompagnés d'une aide bilatérale importante dans laquelle l'expertise aura une part plus conséquente.
Il s'agit de l'un des enjeux de la programmation du programme 209 de la mission « Aide publique au développement » que vous étudiez chaque automne dans le cadre du projet de loi de finances. C'est aussi l'un des enjeux de notre partenariat avec l'AFD.
Sous ces réserves, mesdames, messieurs les sénateurs, l'agence que je dirige croit pouvoir atteindre les objectifs fixés dans ce contrat d'objectifs et de moyens.
Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions.