Si vous me le permettez, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne parlerai de moi qu'en dernier et commencerai par le sujet le plus important : le cancer.
Une personne sur vingt en France a ou a eu un cancer. Mille personnes, dont sept enfants, sont confrontées chaque jour au diagnostic de ces maladies. La maladie se concentre, pour la moitié des cas recensés, sur quatre localisations principales : la prostate, le sein, le côlon-rectum et le poumon. Le nombre de patients atteints d'un cancer a doublé depuis 1980, pour des raisons liées à l'accroissement de la population, à son vieillissement et à l'augmentation du risque intrinsèque. Un malade sur deux guérit toutefois de son cancer, rendant les réflexions relatives aux séquelles du traitement et au droit à l'oubli d'autant plus actuelles.
Les dépenses liées à ces affections s'élèvent à 15 milliards d'euros, soit un dixième du budget de l'assurance maladie et un niveau identique à celui représenté par les maladies cardio-vasculaires. Il s'agit du deuxième poste de dépenses après les maladies psychiatriques et au même. Ce poste est en forte tension.
Créé en 2004, l'INCa rassemble l'expertise scientifique de l'État, sous la tutelle conjointe du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cet institut a pour mission d'élaborer une vision intégrée de l'ensemble des champs du cancer. Le plan cancer constitue son principal outil, décliné en 4 axes, 17 objectifs et 208 actions dont 72 % sont pilotées ou coordonnées par l'INCa.
Le statut de groupement d'intérêt public de l'INCa l'amène à interagir avec les organismes payeurs, les établissements de soins et leurs fédérations, les organismes de recherche et les associations et fondations qui siègent à son conseil d'administration. Ce dernier s'appuie sur un conseil scientifique international et sur un comité des usagers et des professionnels qui participent à la démarche, très ancrée dans la culture de l'INCa, de démocratie sanitaire. Afin de favoriser la cohérence des fonds dédiés au plan cancer, une même personne assure les fonctions de directeur du pôle « recherche et innovation » de l'INCa et de l'institut thématique sur le cancer de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, ou Aviesan.
L'INCa produit, analyse et évalue des données de santé. Il contribue à l'établissement de référentiels et à l'attribution d'autorisations. Il accorde une attention particulière à l'indépendance, à la transparence et à la pertinence de l'expertise. Il favorise la diffusion des connaissances et des bonnes pratiques, ainsi que leur appropriation par les malades, les professionnels et le grand public. Il porte également la connaissance française à l'international, en coopération avec les sociétés savantes et les autres agences de l'État partageant ce domaine d'expertise : l'Agence nationale de santé publique, récemment créée, la Haute Autorité de santé, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l'Agence nationale de la recherche, mais aussi la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation. L'INCa effectue son travail, par ailleurs, dans un souci de concertation citoyenne, grâce à la qualité enviable et à l'engagement sans faille des acteurs de l'agence, dont le nombre a diminué de 187 à 149 équivalents temps plein en dix ans.
Le taux d'exécution budgétaire de l'INCa est passé de 84 % à 97 % ; il a atteint l'équilibre en 2015 par un prélèvement sur son fonds de roulement comblant 11 % de ses besoins. Cela n'est évidemment pas tenable sur la durée et conduira inévitablement à une hiérarchisation des objectifs, ce qui ne saurait s'avérer indolore.
L'INCa intervient simultanément sur les aspects sanitaires de la lutte contre le cancer, la formation, la recherche et l'innovation scientifiques. Une attention affirmée est aussi accordée aux sciences humaines. Le soin est confronté au bouleversement des pratiques historiques ; on peut citer le diagnostic moléculaire, parfois porté à distance, la radiologie précise voire interventionnelle, la chirurgie et la chimiothérapie ambulatoires, les nouveaux appareils de radiothérapie et la réduction parfois drastique du nombre de séances nécessaires. Cela façonne le parcours du malade et de ses aidants à un moment où le poste financier du médicament explose.
Je rappellerai que 40 % des cancers sont liés à des comportements sur lesquels il est possible d'agir, tels que le tabac, l'alcool, l'exposition aux rayons ultra-violets, les expositions professionnelles ou encore certains virus contre lesquels il existe des vaccins efficaces. Le dépistage organisé de certains cancers constitue donc une arme majeure lorsque l'on s'intéresse non seulement à la survie et à la guérison mais aussi aux séquelles que subira le malade tout au long de sa vie. L'INCa a donc le devoir d'apporter son expertise en matière de prévention. Il peut fournir aux pouvoirs publics des recommandations pour le dépistage, le soin et l'éducation thérapeutique.
L'articulation entre la ville et l'hôpital demeure largement perfectible, malgré les nombreux efforts qui ont déjà été réalisés. L'incertitude sur les modalités de financement à venir, ainsi que l'apparition des groupements hospitaliers de territoire, ont pu rendre certains établissements de soins trop prudents, voire frileux dans leur volonté de coopérer. Des professionnels isolés et surchargés ont besoin d'une information concise et rapide, besoin auquel ne répondent que partiellement les comptes rendus exhaustifs d'hospitalisation qui leur sont adressés dès que possible, mais parfois un peu trop tard. L'évolution vertigineuse des savoirs, des pratiques et des besoins et demandes de la société peut elle aussi être déstabilisatrice.
Les travaux engagés sur le parcours du patient, sur le patient expert, sur la création d'infirmières de coordination, sur la consultation de fin de traitement et sur les hospitalisations à domicile constituent pourtant de vraies pistes. La réflexion actuelle sur la tarification des parcours de soins et sur le partage de l'information avec les équipes de premier recours - médecins généralistes, pharmaciens, infirmières - est essentielle. Elle sera facilitée par la généralisation du dossier communicant de cancérologie, qui devrait être effectuée sur l'ensemble du territoire avant la fin de cette année. Des stages dans les services de cancérologie pourraient, en outre, être réservés aux internes de médecine générale qui le souhaitent. Cela serait la source, à moyens constants, d'une diffusion ultérieure du savoir, par compagnonnage, dans les cabinets médicaux où ils travailleront.
Vaincre les inégalités devant la maladie, qui constituent un autre enjeu auquel les plans précédents n'ont pas permis de répondre de manière entièrement satisfaisante, relève davantage de l'addition de petits pas que d'une action spectaculaire.
Le renouvellement des autorisations et des labels, contemporains de la réforme des diplômes d'études spécialisés, et les formations spécialisées transversales seront l'occasion de structurer plus simplement l'action contre le cancer dans un paysage caractérisé par un certain empilement. Il faudrait en effet tirer parti de cette étape pour s'orienter vers une exigence plus qualitative destinée à enrichir la simple définition des seuils.
La recherche est pour moi la partie la plus importante du travail de l'INCa. Effectuée en collaboration avec Aviesan, elle constitue le ferment du progrès.
La recherche fondamentale, tout d'abord, donne du sens. Elle permet le transfert et l'utilisation des savoirs pour mieux repérer, par exemple, les mutations à l'origine d'un cancer, expliquer leur signification et suivre l'évolution à chaque phase de la maladie. La génomique a ainsi montré que les mutations en cause lors de la résurgence d'une maladie peuvent être bien différentes de la situation initiale et que l'utilisation du terme de rechute est bien souvent impropre. Grâce à la recherche fondamentale, nous avons aussi appris que si chaque tumeur est unique, certaines voies de signalisation sont affectées de manière répétitive. L'environnement de la tumeur importe et le contexte immunologique est lui aussi perturbé. Ces découvertes ouvrent la voie à de nouvelles approches et à une médecine plus précise.
Ces connaissances fondamentales récentes doivent par ailleurs s'ouvrir aux sciences dures - mathématiques, physique, chimie - pour exploiter au mieux les perspectives qu'elles ouvrent.
La recherche clinique, où se situe l'essentiel de mon activité, n'est pas en reste. Elle constitue pour les malades une source d'accès à l'innovation ; elle permet aussi le développement de nouvelles stratégies plus efficaces, qui s'appuie notamment sur les grands groupes coopérateurs reconnus au niveau international. À mon sens, la recherche clinique doit davantage être développée dans les disciplines telles que la chirurgie, la radiothérapie, la pédiatrie et l'onco-gériatrie.
Enfin, la recherche doit aussi couvrir le champ médico-économique et épidémiologique, car ce domaine contribue à éclairer des choix indispensables. Il ne faut pas non plus mésestimer la recherche intervenant dans le champ des sciences humaines et sociales, ne serait-ce que pour s'interroger sur les inégalités, les inquiétudes, le déni, la qualité de vie, le retour au travail et le droit à l'oubli.
L'animation de l'INCa s'exerce sur tous ces fronts. Citons quelques-unes de ses créations : les équipes mobiles de recherche clinique, ou EMRC, les cancéropôles, les sites de recherche intégrée sur le cancer, ou Siric, les centres labellisés INCa de phase précoce, ou CLIP, dont six bénéficient aujourd'hui d'un volet pédiatrique fort, le programme d'accès aux molécules innovantes, ou AcSé, le programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie, ou PHRC-K, ainsi que le programme hospitalier de recherche médico-économique en cancérologie, ou PRME-K. Ces deux derniers programmes sont certes pilotés par la direction générale de l'offre de soins, mais la sélection scientifique et l'instruction sont confiées à l'INCa.
L'objectif affiché de 50 000 patients inclus dans des essais thérapeutiques en 2019 est très ambitieux. Toutefois, notons que 43 000 malades ont été inclus dans des essais cliniques en 2014, contre 12 000 en 2008.
L'INCa est une agence unique dédiée à l'intégration de toutes les facettes d'une seule famille de maladies. Il constitue en ce sens un hapax dont on aurait pu douter s'il n'avait pas trouvé à la fois une reconnaissance de la part des malades et de leurs familles, l'adhésion franche de tous ces acteurs, ainsi que des succès probants et, surtout, exportables. La recherche sur le cancer ne constitue pas une niche mais plutôt un modèle. Cette maladie conserve sa spécificité mais les découvertes permettent d'influencer la prise en charge d'autres maladies graves ou chroniques. Citons ainsi les nouvelles approches dans le domaine du démembrement des voies de signalisation et de communication cellulaire, l'immunothérapie, le dispositif d'annonce ou le plan personnalisé de soins.
Quant à moi, puisqu'il faut bien y venir, j'ai 61 ans, je suis professeur des universités et médecin des hôpitaux en hématologie au CHU et à l'université d'Angers. Je suis professeur depuis 1989 et chef de service depuis 2002. Je me suis consacré en particulier aux leucémies aiguës et aux allogreffes de cellules-souches hématopoïétiques.
Je suis membre d'une unité Inserm-CNRS et chef de pôle dans mon établissement. Ancien membre du comité d'éthique, j'ai également présidé la commission médicale d'établissement du CHU d'Angers.
J'ai par ailleurs été lauréat de l'appel à projet « Fédérations hospitalo-universitaires 2014 » organisé par l'INSERM, les universités et les hôpitaux universitaires du grand Ouest. J'ai également été lauréat, aux côtés du professeur Olivier Rascol, du premier plan d'investissement d'avenir pour le projet « FCRIN », qui a pour objectif de porter en Europe la recherche française et a reçu une aide d'un montant de 18 millions d'euros.
J'ai occupé les postes de président du conseil scientifique et de président des groupes nationaux traitant des leucémies aiguës. Président du collège des hématologistes français, j'ai également présidé la 47e section du Conseil national des universités, structure chargée de nommer et de promouvoir les professeurs, maîtres de conférences et praticiens hospitaliers et universitaires en hématologie, cancérologie immunologie et génétique.
J'ai également présidé le Comité national de coordination de la recherche, ou CNR, dont j'ai supervisé, en compagnie d'Yvonnick Morice, la transformation en groupement de coopération sanitaire, ainsi que le pôle cancer de la FHF, qui regroupe l'ensemble de la cancérologie publique.
Je suis à ce titre membre du conseil d'administration de l'INCa depuis 2008 et je termine mon mandat de trois ans de président du jury international des programmes hospitaliers de recherches cliniques et des programmes hospitaliers de recherches médico-économiques.
Pour répondre plus précisément à vos questions sur les moyens, monsieur le président, effectivement, si j'ai accepté de m'engager dans cette mission, ce n'est pas pour devenir le fossoyeur de l'INCa. Bien sûr, j'ai reçu des assurances que j'aurai le soutien, y compris budgétaire, des deux ministères de tutelle de cet institut. Nous avons signé des motions d'inquiétude sur la diminution de ce budget et j'ai eu l'occasion de m'exprimer sur le fait que l'on ne pourrait pas puiser durablement dans le fonds de roulement de l'INCa.
Surtout, la structuration même du fonctionnement de l'INCa consiste à proposer des projets de recherche sur plusieurs années. On engage la parole de l'État sur une longue période ; il faut donc que nous ayons les moyens de tenir ces engagements, faute de quoi nous devrons réviser de façon déchirante nos objectifs, alors même que les besoins restent fort nombreux. J'entends donc bien éviter que l'INCa ne finisse comme les Incas !
Le problème des liens d'intérêts est quant à lui très délicat. On ne peut selon moi parvenir à une solution au sein d'une seule agence ; il faut que soient impliqués tous les acteurs qui demandent des expertises. On aura toujours plus de mal à trouver des experts s'ils doivent répondre à de longs questionnaires à chacune de leurs interventions dans quatre agences différentes. Même à l'échelon européen, il n'existe pas 2 000 experts sur chaque sujet.
Nous faisons extrêmement attention aux liens d'intérêts et à la transparence de l'expertise, mais il faut également que cette expertise soit pertinente. Ce problème demande donc une importante réflexion et une valorisation de l'expertise. Pour avoir été expert pour différentes agences depuis 1992, je peux témoigner que cette activité n'aide en rien à la promotion des carrières et s'exerce de manière quasi bénévole. Au mieux, les experts sont payés trois ou quatre euros de l'heure, quand on ne perd pas les billets de trains à fournir pour être défrayé. La dématérialisation a certes amélioré les choses : nous ne payons plus pour travailler !
L'INCa reste extrêmement vigilant, mais ce n'est pas simple. Sur certains sujets, il n'existe que deux ou trois experts dans le monde. Nous ne sommes pas seuls à le savoir : les industriels aussi en sont conscients. En outre, on ne peut pas avoir accès aux médicaments qui nous sont indispensables sans travailler avec les laboratoires. Un laboratoire qui investit 1 milliard d'euros dans un médicament ne va pas le confier à quelqu'un sur sa bonne mine ! Il faut effectuer des travaux préparatoires et des tests internationaux, ce qui prend du temps : il n'est pas totalement indécent que ce temps soit dédommagé, surtout s'il est pris sur le week-end. Évidemment, il faut que cela soit transparent ; tout lien doit être connu.
Ma déclaration publique d'intérêts est à jour, mais elle n'est pas vierge. Si elle l'était, cela signifierait que je n'ai jamais effectué d'essai clinique, ce qui ne serait pas très rassurant. Cela dit, nous aurons la plus extrême vigilance sur ce sujet.