La loi de modernisation de notre système de santé montre clairement une sensibilité importante à la recherche. Des outils sont mis à disposition ; la volonté est présente. Cela montre que ce sujet importe au ministère des affaires sociales et de la santé et pas seulement à celui de la recherche. Je rappelle que ces deux ministères contribuent chacun pour moitié au budget de l'INCa.
En revanche, la recherche ne se décrète pas. Une bonne idée naît souvent de façon surprenante ; parfois, elle s'avère en fin de compte mauvaise... Il faut simplement donner aux chercheurs les moyens de faire leur travail. Dans le cas du cancer, c'est par niches que, le plus souvent, nous avons accompli des progrès qui, en s'accumulant, ont changé le paysage et bouleversé l'image longtemps inexorable de cette maladie. Pour certains cancers, nous avons fait disparaître la mortalité ; pour d'autres, presque aucun progrès n'a pu être accompli. La recherche doit donc garder sa souplesse.
Quant aux relations entre l'INCa et la HAS, je voudrais d'abord rappeler que l'INCa n'entre pas dans le périmètre de la mission de la HAS. Il se trouve qu'Agnès Buzyn et moi sommes très bons amis : nous parviendrons à coup sûr à travailler ensemble partout où nos champs d'action coïncideront. Je la connais depuis son internat ; nous avons travaillé ensemble comme membres du conseil d'administration de l'INCa ; nous avons aussi beaucoup publié ensemble. Enfin, pour ainsi dire, les obus retombent parfois au même endroit : Mme Buzyn aussi est hématologue, spécialiste des leucémies aiguës et des greffes de moelle osseuse, tout comme plusieurs de ses prédécesseurs.
Cela dit, les missions de ces deux institutions sont complètement différentes. Le profil de recrutement des membres de la HAS est sensiblement différent : en dehors de certaines personnalités emblématiques, la cancérologie est rarement le champ où ces membres se sont fait reconnaître. Quoi qu'il en soit, partout où existent des zones de recouvrement des compétences, il faut s'enrichir du savoir de l'autre. Depuis Pic de la Mirandole, on sait qu'on ne peut tout savoir !
L'INCa apportera bien sûr tout son soutien au groupe d'études du Sénat sur le cancer, en fonction de vos souhaits. Quant à la pédiatrie, nous avons été quelques-uns à nous battre pour faciliter l'accès des pédiatres au droit à prescrire des traitements. Historiquement, leur parcours ne facilitait pas la double compétence. Ce problème est aujourd'hui réglé. Il faut évidemment que les pédiatres prennent à bras-le-corps cette question dans les nouveaux diplômes d'études spécialisées et les nouvelles formations spécialisées transversales. Je n'ai aucune inquiétude sur ce point.
L'accès aux médicaments pour les enfants atteints d'un cancer représente bien sûr un sujet de préoccupation. Agnès Buzyn et le conseil d'administration de l'INCa ont insisté sur l'importance des volets pédiatriques obligatoires. Le programme AcSé comprend des programmes d'actions intégrées de recherche spécifiquement pédiatriques. Des actions internationales ont également été menées, de même que des actions auprès des industriels : l'autorisation de mise sur le marché est en effet toujours une demande de l'industriel, et non pas de la société savante ou des médecins.
Les registres des cancers et leurs liens avec les observatoires régionaux de santé constituent un sujet sur lequel je n'ai sans doute pas encore, à titre personnel, toutes les compétences requises pour émettre une opinion. L'INCa travaille sur ces questions en collaboration avec l'Agence nationale de santé publique. Les registres des cancers de certaines régions sont extrêmement performants. En revanche, il n'en existe pas partout sur le territoire. L'outil statistique et la comparaison avec les registres internationaux laissent penser que ce dont on dispose n'est déjà pas mal et permet au moins de ne pas manquer les grandes évolutions observables. Il n'est jamais mauvais que les gens se parlent ; on peut toujours chercher quels progrès sont possibles à la marge.
Il faut néanmoins garder à l'esprit qu'on ne peut pas sur-interpréter un registre. Dans le cas d'un essai clinique, on sait vite s'il est prospectif ou mauvais. Si l'on remplit des bases données au hasard, lors de l'analyse des données, on se rend souvent compte qu'on n'a jamais pensé à relever les informations dont on a vraiment besoin parce qu'on ne peut anticiper ces besoins trente ans à l'avance. Ces bases constituent des outils très importants pour la démographie, mais il faut peser l'investissement qu'elles nécessitent, surtout si les moyens sont comptés.
Sur les liens d'intérêts, il faut que de vraies discussions aient lieu afin d'entendre les problématiques des agences et des experts et de réfléchir à la meilleure façon de valoriser ces derniers. On ne pourra pas durablement exiger d'eux des surcharges de travail extrêmement importantes, qui les obligent à s'absenter de leur lieu de travail, où ils devront ensuite rattraper le temps perdu, sans trouver un moyen de mieux les reconnaître.
Il faut distinguer les liens d'intérêts avec un industriel des conflits d'intérêts, qui interviennent lorsqu'une personne ayant un lien d'intérêts est appelée à donner un avis d'expert. Tant que l'expert n'est pas en situation de donner une expertise pour une agence, il n'est pas en conflit d'intérêts, dès lors que son activité est autorisée par le président ou le directeur de son établissement. Telle est l'ouverture permise par la loi. C'est d'autant plus compliqué que l'on nous incite à déposer des brevets en cotutelle avec l'industrie. Ainsi, les projets élaborés en lien avec le secteur privé sont seuls éligibles au programme d'investissements d'avenir...
Il m'est arrivé d'être sollicité par des collègues qui, de fait, n'avaient aucun lien d'intérêts mais n'en étaient pas sûrs. Ils voulaient que je leur donne des éléments d'indication. Évidemment, il est difficile de ne pas répondre à un collègue, mais, par transitivité, celui qui donne un avis n'est plus dénué de lien d'intérêts. La situation est donc bien compliquée ; il faut par conséquent se battre pour améliorer la transparence et la traçabilité des actions de chacun.
Outre les conflits « monétaires », je tiens à mentionner les conflits scientifiques, qui sont parfois bien pires. Il arrive qu'un évaluateur mette un coup d'arrêt à un projet excellent pour la seule raison qu'il est en compétition avec la personne qui l'a choisi et jugé dénué de conflit d'intérêts. Cette dernière notion va très loin, jusqu'au type d'activités de publication de l'évaluateur. Pourtant, si celui-ci n'avait pas des liens contigus avec le porteur du projet, il serait incapable d'évaluer.
L'INCa travaille énormément sur cette question et a mesuré les marges d'amélioration qui lui restent. Il faut aussi relever que, dans les divers rapports d'information sur ce sujet, l'INCa est considéré, pour ainsi dire, comme le moins mauvais élève de la bande !
J'en viens à la question relative au coût des traitements. Sur ce point, il y a plusieurs choses que je ne comprends pas. Certains médicaments ont trente ans d'âge, ne sont pas chers, sont efficaces, mais disparaissent du jour au lendemain, pour un prétendu problème de fabrication, avant de réapparaître un ou deux mois plus tard trente à cinquante fois plus chers. Ce n'est sûrement pas le prix de la découverte ! De tels cas se présentent régulièrement.
Quant au prix des nouveaux médicaments, nous sommes arrivés à la fin d'un modèle. Le système actuel n'est soutenable ni pour l'assurance maladie ni pour la société française ou européenne. Les améliorations du service rendu et le processus de développement même du médicament ne justifient pas toujours le prix imposé. Des cancérologues et hématologues du monde entier ont manifesté leur inquiétude ; j'en fais partie. Il n'empêche que nous avons besoin de ces nouveaux médicaments. Certains sont formidables, mais pas tous. En outre, ce n'est pas parce qu'un médicament change la donne qu'il doit coûter 100 000 ou 200 000 euros par an. Si on pratiquait de tels prix dans toutes les spécialités de la médecine, on arrêterait de soigner les malades ! L'aspirine ou le paracétamol sauvent des vies chaque jour, sans parler des médicaments révolutionnaires utilisés en cardiologie, mais ils ne seraient pas autant utilisés s'ils coûtaient aussi cher.
On se trompe quand on croit que la chimiothérapie ambulatoire va régler ce problème. Les résultats des chimiothérapies orales ne sont pas toujours révolutionnaires et ce mode d'administration ne rend pas le traitement moins cher ou moins toxique. Transformer une maladie monogénique mortelle en maladie chronique, voire la guérir, est bon, mais il ne s'agit pas forcément d'un modèle que l'on peut répéter pour d'autres maladies.
Enfin, on assiste à un renouveau de l'immunothérapie : croyez-moi, il ne s'agit pas là d'un traitement oral ! Comme toujours en cancérologie, on gagne par petites niches : on caractérise une maladie au mieux et on trouve la meilleure piste pour la guérir. Il faut donc que tous les outils soient vraiment disponibles. Le modèle français est particulier : l'autorisation de mise sur le marché va de pair avec le remboursement du médicament, ce qui n'est pas le cas partout dans le monde et, notamment, aux États-Unis. La réflexion doit être internationale, mais notre comportement doit être décliné au niveau national.
Quant aux stages en cancérologie, je ne suggère pas qu'ils doivent être obligatoires ; ils devraient simplement être disponibles sur simple demande pour les internes de médecine générale. Le premier recours - médecine générale, infirmières, pharmacie - est pour moi essentiel ; cela suppose une compétence, des liens et un nombre suffisant de professionnels : le traitement d'un malade du cancer demande beaucoup de temps. Le développement du dossier cancérologique partagé sera très important dans cette perspective car il sera accessible.