Intervention de Catherine Génisson

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 juin 2016 à 9h05
Avenir du fonds de solidarité vieillesse fsv — Présentation du rapport d'information

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson, rapporteure :

L'origine du FSV nous plonge dans l'une des principales controverses qui existe entre l'État et les partenaires sociaux depuis la création de la sécurité sociale en 1945, à savoir la distinction entre les dépenses contributives et les dépenses de solidarité. L'idée qui a présidé à la création du FSV en 1993, portée à l'origine par le gouvernement de Pierre Bérégovoy et concrétisée par celui d'Édouard Balladur était la suivante : aux partenaires sociaux, la responsabilité de gérer les régimes de base finançant les dépenses contributives au moyen des cotisations sociales ; à l'État, celle de financer les dispositifs de solidarité avec des ressources fiscales.

Lors de sa création, la loi a confié au FSV la mission de financer les régimes de base pour la prise en charge de deux dispositifs :

- le minimum vieillesse, devenu à la suite de la réforme de 2007, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Je note au passage que le rapport de notre collègue député Christophe Sirugue sur la simplification des minima sociaux n'aborde pas directement la question des circuits de leur financement et n'interfère donc pas avec nos travaux ;

- et le deuxième dispositif : les cotisations retraite des personnes au chômage pour qu'elles puissent valider leurs trimestres, ces derniers n'étant pas pour autant cotisés. Dans le jargon du FSV, ces périodes sont appelées « périodes assimilées ». La dépense « chômage » est aujourd'hui la principale du fonds puisqu'elle représente 11 milliards d'euros en 2016.

Dès 1995, ces missions ont été progressivement élargies. Certains élargissements ont consolidé l'objet initial du FSV, comme la multiplication des périodes assimilées qui concernent désormais les arrêts de travail pour maladie ou maternité ou encore les périodes de service civique, de stage ou d'apprentissage.

D'autres sont toutefois plus contestables. C'est en particulier le cas de la prise en charge par le FSV d'une partie du minimum contributif (Mico), décidé par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Le Mico est une allocation différentielle destinée à compléter la retraite de personnes ayant cotisé toute leur vie sur la base de revenus modestes. Versé à plus de 6 millions de retraités, il représente un coût d'environ 7 milliards d'euros par an dont la moitié est financée par le FSV.

L'élargissement de la mission du FSV au Mico est contestable car la nature de ce dernier est hybride : bien que de nature non contributive, cette allocation constitue le complément de prestations de retraite qui elles, le sont. On parle souvent, à propos du Mico, d'un dispositif de solidarité professionnelle par opposition à la solidarité nationale qui ne s'appuie sur aucune prestation pour être versée.

Par la multiplication de ses missions et la dénaturation de son objet initial avec des missions ne relevant pas exclusivement de la solidarité nationale, le FSV a perdu en lisibilité ce qui entraîne une certaine confusion dans le financement de la protection sociale.

S'appuyant sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites, notre rapport s'arrête longuement sur l'ensemble des dispositifs de solidarité au sein du système de retraites et montre que le FSV est loin d'en avoir le monopole en termes de financement.

La Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) finance ainsi les droits familiaux de retraite au premier rang desquels la majoration de pension pour enfant, qui s'élève à 10 % de la pension de base de chaque parent d'au moins trois enfants. Son coût de 4,7 milliards d'euros a été financé par le FSV entre 2001 et 2015.

Les régimes de base financent également une partie des dispositifs de solidarité : les règles de calcul pour la liquidation d'une pension intègrent par exemple une dimension non-contributive comme le fait de calculer la pension non pas sur la totalité des salaires d'une carrière mais sur les vingt-cinq meilleures années ; certains minima de pension, comparables au Mico, ne sont pas pris en charge par le FSV comme la prestation minimum de retraite au sein du régime des non-salariés agricoles ou le minimum garanti pour les régimes de la fonction publique.

Le problème que soulève ce constat est que le FSV, censé incarner la distinction entre les domaines contributif et non contributif dans la branche vieillesse, n'offre en réalité qu'une vision partielle du coût global de la solidarité dans le système des retraites.

Cette confusion est renforcée par la nature théorique des résultats financiers du fonds. Si la prise en charge des prestations qu'il finance pour le compte des régimes (le minimum vieillesse essentiellement) s'effectue à « l'euro près » en fonction des factures transmises par ces derniers, celle des cotisations pour périodes assimilées est calculée sur une base forfaitaire, qui ne correspond pas à la dépense réelle des régimes.

En effet, alors que le FSV finance les cotisations pour les périodes d'inactivité au moment où le bénéficiaire est arrêté, la validation des trimestres ne pourra être constatée qu'a posteriori, au moment de la liquidation de ses droits. Par ailleurs, il est impossible de savoir si un trimestre validé sera finalement utile au futur pensionné, sachant que ce dernier a pu valider un même trimestre en tant que chômeur indemnisé (ce qui est possible à partir du 50e jour d'indemnisation) mais également dans le cadre d'un travail temporaire (un trimestre est validé dès la 150e heure payée au Smic soit à partir de 4,2 semaines). Des taux de réfaction, fixés par l'administration et censés prendre en compte ces incertitudes, sont à la base des règles de calcul des dépenses liées aux périodes assimilées et varient significativement d'une période à l'autre. Nous souhaitons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport permettant d'expliciter et d'évaluer ces taux de réfaction intervenant dans le calcul des prises en charge de cotisations au regard du coût réellement supporté par les régimes.

Le caractère théorique de ces dépenses forfaitaires, qui représentent en 2016 12,5 milliards sur les 20 milliards d'euros de dépenses du FSV, interroge quant au retour à l'équilibre observé pour les régimes de base. Les dépenses du FSV permettent-elles de remettre artificiellement à l'équilibre les régimes de base ou au contraire, sont-elles à la hauteur de leurs dépenses ? Aucune des personnes auditionnées n'a été en mesure de nous répondre.

Ce qui est certain cependant, c'est que les résultats des régimes de base et du FSV sont intrinsèquement liés. Ce constat invite à revoir les modalités de présentation des comptes du FSV et de la branche vieillesse au sein des lois de financement. Gérard Roche abordera cette question.

J'en viens maintenant à la persistance du déficit du FSV. La crise économique de 2009 a contribué à durablement dégrader le résultat du fonds avec l'envolée du nombre de chômeurs. Le compte du FSV, qui était à l'équilibre en 2008, a atteint un déficit de plus de 3 milliards d'euros en 2009 et 4 milliards d'euros en 2010. Il varie depuis lors entre 3,5 et 4 milliards d'euros chaque année.

Ce déficit s'explique principalement par l'instabilité et l'insuffisance des recettes du fonds, qui n'ont pas suivi le dynamisme des dépenses.

À son origine pourtant, le financement du FSV était simple et suffisant. Il bénéficiait de l'affectation de 1,3 point de CSG, ce qui avait permis au début des années 2000 de générer un excédent de 1,6 milliard d'euros. Cet excédent, accumulé au cours d'années relativement prospères économiquement, n'était d'ailleurs pas une anomalie pour un fond très exposé à la conjoncture.

Pourtant, dès 2001, les gouvernements successifs ont commencé à modifier le panier de recettes affectées au FSV en diminuant la fraction de CSG qui lui était attribuée.

En 23 ans d'existence, plus d'une quinzaine de recettes fiscales différentes ont été affectées au FSV, ce dernier n'ayant seulement connu que cinq années sans modification de ses ressources. L'inventivité de l'administration en matière de « plomberie » financière, qui est bien connue dans cette commission, a pleinement fonctionné pour le FSV.

La LFSS pour 2016 s'inscrit dans cette tradition en ayant modifié 12 milliards d'euros de recettes affectées au FSV. Elles sont désormais recentrées autour des seuls prélèvements sur les revenus du capital, conséquence de l'arrêt de Ruyter de la Cour de justice de l'Union européenne.

Je rappelle en deux mots le sens de cet arrêt : la France ne peut pas assujettir les revenus du capital des ressortissants d'un État-membre de l'Union Européenne à des prélèvements obligatoires finançant notre sécurité sociale si ces contribuables n'y sont pas affiliés et relèvent d'un autre système de protection sociale au sein de l'Union. Pour pouvoir conserver cette ressource qui représente 300 millions d'euros, le Gouvernement a décidé de réaffecter les 15 milliards d'euros que représentent les prélèvements sur les revenus du capital vers le FSV et la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). En contrepartie, le FSV a abandonné les recettes tirées de la fraction de CSG sur les revenus d'activité et de remplacement ainsi que la part de contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) qu'il percevait.

La décision d'affecter les recettes des prélèvements sociaux sur les revenus du capital au FSV a conduit à la réorganisation de son compte, principalement en deux sections, de façon à s'assurer que ces recettes financent bien uniquement des dépenses de solidarité.

La première section, financée par ces nouvelles recettes, retrace les dépenses de solidarité, soit le minimum vieillesse et les cotisations pour les périodes non travaillées ; la seconde, qui est très partiellement financée par une fraction de la taxe sur les salaires, regroupe les dépenses considérées comme contributives au premier rang desquels le Mico.

En effet, si la première section est à peu près à l'équilibre avec les recettes tirées des prélèvements sur le capital, la seconde accuse un déficit structurel de plus de 3 milliards d'euros. Or, la règle d'infongibilité entre les deux sections, liées à l'impossibilité pour les prélèvements sur les revenus du capital de financer des dépenses contributives, conduit à ce que, à recettes constantes, la nouvelle section 2 du FSV soit durablement en déficit.

Je passe sur l'incertitude pesant sur la pérennité de la décision du Gouvernement de continuer à prélever de la CSG et de la CRDS sur ces revenus du capital tout en les affectant à des dépenses de solidarité et au remboursement de la dette sociale. Cela sera-t-il suffisant pour fermer le contentieux européen ? L'avenir nous le dira.

Notre rapport note cependant que ce nouveau panier de recettes est beaucoup plus erratique puisque les prélèvements sur les revenus du capital varient fortement d'une année sur l'autre.

Je termine cet état des lieux en évoquant la crise de gouvernance que rencontre actuellement le fonds.

Cette crise tient tout d'abord au fait que les deux organes chargés d'assurer le pilotage du FSV ne se sont plus réunis depuis 2013. Il en est ainsi du conseil d'administration, réunissant les administrations de tutelle que sont les ministères des affaires sociales et du budget, et du comité de surveillance, composé de parlementaires, des partenaires sociaux et des représentants des régimes de base.

Une importante réforme a pourtant été décidée par le décret du 7 octobre dernier, visant à intégrer administrativement le FSV à la Cnav. Cette réforme, qui n'a fait l'objet d'aucune concertation, suscite d'importantes réserves.

La première tient au fait que la Cnav se retrouve désormais à devoir contrôler les dépenses vers les régimes de base tout en étant le principal récipiendaire de ces financements. Le risque d'être « juge et partie » n'est donc pas exclu en cas de contentieux.

La seconde est liée à l'absence de cohérence entre un tel rapprochement et la volonté de cloisonner plus strictement les dépenses contributives et les dépenses de solidarité.

Enfin, la troisième a trait à la faible portée d'une telle intégration en termes d'économies, alors qu'il s'agit de la principale motivation. Elle devrait se traduire par la suppression de 5 des 6 équivalents temps plein du FSV. Les modalités sont en cours de négociation dans le cadre de la convention entre les administrations de tutelle et la Cnav.

La suppression de ces postes n'entraînera toutefois pas la suppression des tâches accomplies par les agents du fonds et qui ne seront pas si facilement mutualisées avec des fonctions existant déjà à la Cnav. C'est donc cette dernière qui devrait supporter le coût de la suppression de ces postes.

Voici donc les principaux constats que nous formulons dans ce rapport et qui ont servi de ligne directrice à nos propositions pour un FSV recentré et équilibré financièrement. Je laisse Gérard Roche vous exposer les pistes de notre réflexion.

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