Reste la question du règlement des différends.
Traditionnellement, les accords internationaux de libre-échange renvoient cette question à des tribunaux d’arbitrage privés. Je défends depuis janvier 2014 au Sénat le principe d’une juridiction publique et indépendante. Cette position, partagée par la majorité de nos collègues, a donné lieu à l’adoption de nombreuses résolutions par notre assemblée. Non seulement Matthias Fekl l’a faite sienne, mais il a persuadé l’ensemble de nos partenaires européens de l’absolue nécessité de créer une telle instance.
L’accord prévoit donc désormais l’institution d’une Cour publique de justice des investissements, acceptée par le Canada – et le Viêt Nam –, ainsi que d’un mécanisme d’appel, ce qui n’est rien de moins qu’une révolution dans le domaine des accords internationaux sur le libre-échange. Cela a pu être obtenu grâce à la contribution décisive de notre pays et, en particulier, de notre Parlement !
Permettez-moi cependant, monsieur le secrétaire d’État, d’exprimer des réserves sur le dispositif envisagé.
Certes, il constitue un progrès indiscutable par rapport à la justice privée qui préside habituellement au règlement des différends en matière commerciale. Je ne saurais cependant me satisfaire d’une juridiction aux contours encore imprécis et dont le statut des membres ne m’agrée pas.
L’enjeu est important. Les décisions de la Cour de justice des investissements ne nécessiteront pas l’exequatur de nos tribunaux pour être applicables. Plus grave, cette cour pourra statuer sur tout litige procédant de l’application provisoire du traité, alors même que les parlementaires nationaux n’auront pas encore statué sur l’accord. Je ne peux imaginer une mise en œuvre provisoire de l’accord et l’institution d’une telle cour sans modification substantielle des règles énoncées dans le texte actuel.
S’agissant du mécanisme d’appel, l’accord ne donne quasiment aucun détail sur son organisation pratique et renvoie cette question à une délibération conjointe de l’Union européenne et du Canada, qui devra intervenir « rapidement » après l’entrée en vigueur de l’accord. Je ne sais trop ce que signifie, en l’occurrence, « rapidement »… C’est tout simplement inacceptable ! Nous demander de valider une telle clause reviendrait à solliciter de notre part un chèque en blanc, sans possibilité de contrôle par le Parlement.
S’agissant du fonctionnement plus général de la Cour, l’accord prévoit qu’elle sera composée de quinze juges, nommés pour un mandat de cinq ou dix ans par les autorités canadiennes et européennes et rétribués par elles. Ils devront justifier de qualifications juridiques et d’une expertise en droit international de l’investissement. Ils pourront être récusés par les parties en cas de conflit d’intérêts avéré. Pour favoriser la transparence, l’accord prévoit une publicité des débats et des documents.
Monsieur le secrétaire d’État, je dois vous faire part, ici encore, de mon insatisfaction, au moins partielle.
Le fonctionnement de la Cour, tel qu’il est envisagé, ne garantit manifestement pas l’indépendance de ces juges intérimaires, …