Intervention de André Vallini

Réunion du 9 juin 2016 à 15h00
Accord économique et commercial entre l'union européenne et le canada — Débat organisé à la demande du groupe crc

André Vallini, secrétaire d'État :

C’est un progrès majeur, et les professionnels s’en sont montrés très satisfaits ! Autre exemple, l’usurpation de l’indication géographique « jambon de Bayonne » sera passible de sanctions.

Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur Raoul, les dispositions relatives aux marchés publics constituent l’une des principales avancées de cet accord.

Les entreprises françaises de l’industrie ou des services sont compétitives, mais elles continuent de se heurter à des réglementations désavantageuses. Le CETA en réduit drastiquement le nombre. C’est le cas pour l’industrie du textile : les entreprises européennes de ce secteur sont sous-représentées, détenant à peine 7 % du marché. De la même façon, les avancées sont notables dans le secteur des services financiers, avec la levée de certaines restrictions provinciales, ou encore dans celui des services de télécommunication.

L’instauration d’une cour de justice publique et permanente pour le règlement des différends entre les investisseurs et les États marque une rupture radicale avec l’ancien mécanisme d’arbitrage privé. Je tiens à rétablir la chronologie et les faits : les tribunaux d’arbitrage existent depuis les années cinquante et c’est en 2016, pour la première fois, qu’un accord de commerce, en l’occurrence le CETA, permet de remplacer ce mécanisme privé en créant une juridiction publique.

La France a activement contribué à l’élaboration de la nouvelle approche européenne et la Commission européenne a repris en septembre dernier en très grande partie la proposition présentée par Matthias Fekl en juin 2015. Cette initiative européenne a été reprise par le nouveau gouvernement progressiste de Justin Trudeau.

Vous avez raison de rappeler, MM. les sénateurs Raoul et Guerriau, que l’ancien mécanisme d’arbitrage privé a été dévoyé de son objectif initial, les entreprises attaquant la législation de certains États et remettant en cause leur droit à réguler. Nous avions abouti à des excès, à l’instar de la plainte de Philip Morris contre les législations sur le tabac de l’Australie et de l’Uruguay, qui a heureusement connu un dénouement favorable, ou, plus près de nous, de la plainte de Vattenfall contre la sortie anticipée du nucléaire décidée par le Gouvernement allemand.

Le modèle proposé représente un progrès indéniable en matière de transparence, comparable à celui qu’avait permis la création de la Cour internationale de justice de La Haye. Un code de conduite exigeant complétera cette avancée.

C’est bien pour lutter contre les dérives que j’ai citées à l’instant qu’une nouvelle institution est créée : une juridiction publique, avec des juges désignés et rémunérés –insuffisamment sans doute, monsieur le sénateur Raoul – par les États, et non par les entreprises. Cette nouvelle institution juridictionnelle s’appuiera sur des principes qui rendent impossible la remise en cause des politiques publiques par les investisseurs privés. La clause de protection du droit à réguler est une innovation majeure. J’espère que ces indications seront de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur Bosino.

En effet, c’est bien l’extension abusive des droits des investisseurs qui est à l’origine des dérives que nous avons évoquées. Pour y mettre un terme, il fallait donc qu’une institution publique veillât au respect de la souveraineté réglementaire des États. Monsieur le sénateur Gattolin, la nouvelle cour appliquera donc le droit international public, comme vous l’avez souhaité. Elle n’empiétera pas sur les prérogatives de la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’interprétation du droit de l’Union européenne ni, évidemment, sur celles des juridictions nationales.

Cette cour publique européenne est une première étape vers la création d’une cour multilatérale. Le Canada a en effet accepté d’engager avec l’Union européenne des démarches en vue d’instaurer une cour multilatérale, comme le souhaitait la France, et cette approche doit désormais servir de modèle pour l’ensemble des négociations commerciales européennes.

Ces acquis renforcent la crédibilité de la proposition européenne de Cour de justice des investissements, qui a également été soumise à Washington, dans le cadre de la négociation du traité transatlantique, ainsi qu’au Japon.

En ce qui concerne le secteur agricole, sur le volet tarifaire, l’accord est équilibré. Monsieur Requier, vous avez raison de souligner l’importance fondamentale de l’agriculture dans ce type d’accord. La France a donc veillé scrupuleusement au respect de ses intérêts, tant défensifs qu’offensifs, s’agissant du secteur agricole. Le CETA ouvre largement le marché agricole et agroalimentaire canadien, ce qui permettra aux entreprises européennes, et notamment françaises, de ce domaine de se développer à l’international.

Les droits de douane canadiens seront supprimés pour 92 % des produits agricoles et agroalimentaires européens, ce qui est évidemment très intéressant pour tous nos produits transformés de biscuiterie ou de boulangerie, secteur dans lequel la France est très compétitive. De nombreuses barrières non tarifaires disparaissent aussi, ce qui est aussi important.

En ce qui concerne les fromages, le Canada a accepté l’importation d’un quota annuel de 18 500 tonnes de fromages européens exemptés de droits de douane, qui s’ajoute au quota existant de 13 472 tonnes dans le cadre de l’OMC, alors que ces produits font aujourd’hui l’objet de droits de douane très élevés. C’est une avancée très importante pour nos producteurs de fromages, dont l’excellence est reconnue dans le monde entier.

Des contingents d’importation au Canada sont maintenus pour certains produits laitiers, les œufs et certaines céréales. La filière de la volaille a pour sa part été exclue de tout démantèlement tarifaire.

En ce qui concerne la viande bovine, je réfute l’affirmation selon laquelle les importations seraient entièrement libéralisées. Un quota annuel de 45 840 tonnes de viande de bœuf canadienne – sans hormones, je le précise – a certes été accordé, mais, au-delà de ces volumes, les importations en provenance du Canada continueront à être soumises aux droits de douane existants.

Monsieur le sénateur Bizet, dans le cadre de la reprise des négociations avec le Mercosur, le Gouvernement a bien obtenu le retrait des volumes de viande de bœuf, la discussion sur les lignes sensibles étant renvoyée à une éventuelle phase finale.

En ce qui concerne les normes sociales et environnementales, elles ne sont pas et ne seront pas remises en cause. J’ai entendu vos inquiétudes, et le Gouvernement est très attentif à celles qu’exprime la société civile sur ces sujets.

Pour le présent, les garanties, de deux ordres, sont là.

Premièrement, l’accord ne remet pas en cause les normes environnementales et sociales européennes : il n’est pas question de modifier la législation européenne, notamment en matière de décontamination chimique des viandes – je pense aux « poulets chlorés » –, d’OGM ou d’utilisation des hormones, autrement appelées « promoteurs de croissance ». Nos lignes rouges ont été intégralement respectées.

Monsieur Bosino, je tiens à répondre aux légitimes inquiétudes que vous avez exprimées : l’accord contient trois chapitres dédiés aux normes sociales et environnementales, qui prévoient des niveaux élevés de protection.

Deuxièmement, la coopération réglementaire n’est pas non plus un moyen de franchir ces lignes rouges. Elle ne s’applique que lorsque les niveaux de protection sont reconnus équivalents entre l’Union européenne et le Canada. De plus, elle est soumise à condition : un droit à réguler est garanti, les États pouvant toujours renforcer leur législation interne.

Pour le futur, nous aurons avec nos partenaires canadiens, au sein d’un forum, des échanges réguliers sur les réglementations et normes que nous adoptons. Je tiens à rappeler, monsieur Bosino, que ce forum n’aura pas de pouvoir réglementaire et ne pourra donc décider d’aucune évolution normative.

Messieurs Vera et Gattolin, je puis vous assurer que les services publics ne sont, délibérément, ni définis ni spécifiés dans une liste limitative. Les réserves sont aussi protectrices que dans l’AGCS précédent.

Pour la France, l’objectif est de fixer les standards sociaux et environnementaux les plus exigeants, qui ne sont d’ailleurs pas toujours européens, car nous n’accepterons pas de nivellement par le bas. La défense des services publics fait également partie de nos priorités, dans le domaine des négociations commerciales multilatérales internationales comme dans nos politiques nationales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le CETA est bien un accord mixte, dont la mise en œuvre provisoire sera soumise à l’approbation du Parlement européen et des Parlements nationaux.

Comme vous le savez, la France est très vigilante et ferme sur la question de la reconnaissance de la mixité de l’accord. Le fait que le CETA soit un accord mixte signifie qu’il contient des dispositions relevant de la compétence de l’Union européenne et d’autres ayant trait à des compétences partagées entre celle-ci et les États membres. Le caractère mixte de l’accord implique donc que les Parlements nationaux auront à se prononcer.

Comme l’ont souligné, en particulier, MM. Vera, Lenoir et Bosino, cette question est absolument essentielle. Matthias Fekl a eu l’occasion de l’affirmer devant vous à plusieurs reprises, ainsi qu’à l’Assemblée nationale. Il s’est également exprimé devant ses homologues européens, lors du Conseil du 13 mai dernier à Bruxelles, pour demander à la Commission européenne de lever toute ambiguïté sur ce sujet et rappeler l’attachement de la France au respect des prérogatives du Parlement français.

Le Gouvernement regrette en effet que la Commission européenne laisse encore planer le doute sur le caractère mixte du CETA.

Le mandat de négociation confié par le Conseil à la Commission est en tout cas sans ambiguïté, puisqu’il prévoit cette mixité. C’est une position partagée par les États membres, notamment l’Allemagne : Matthias Fekl et Sigmar Gabriel, son homologue allemand, ont adressé une lettre en ce sens à la commissaire européenne au commerce, Mme Cécilia Malmström, au mois de mai dernier.

Aussi, si la Commission venait à proposer une décision autorisant signature de l’accord non mixte, le Conseil de l’Union européenne aurait à rejeter cette proposition, pour que la Commission soumette une version conforme aux attentes des États membres. Une large majorité des ministres européens se sont exprimés en ce sens lors du dernier Conseil de l’Union européenne du 13 mai et ont été très clairs sur leur volonté de signer un accord mixte.

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