Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement débat sur un projet de loi aura commencé dans un tel climat de tension : un mouvement d’une longévité exceptionnelle – plus de trois mois –, d’une diversité et d’une force impressionnantes exprime le refus de ce texte par la très grande majorité de la population.
MM. Hollande et Valls et vous-même, madame la ministre, semblez surpris, incrédules, face à une contestation que vous ne comprenez pas et jugez illégitime, au point de critiquer le droit de manifester et l’exercice du droit de grève.
Cette incrédulité devant le rejet massif dont l’actuel pouvoir fait l’objet provient d’une profonde incompréhension de l’attachement de notre peuple à son modèle social, un attachement que ni M. Sarkozy ni l’actuel Président de la République ne sont parvenus à éradiquer.
Le code du travail, l’un des forts symboles d’une conception sociale de la République, a été constitué lutte après lutte, décennie après décennie depuis le début de la révolution industrielle. Oui, ne vous en déplaise, il est avant tout un outil de protection des salariés face à la domination patronale. Ne l’oublions pas, c’est la volonté de protéger la santé des travailleurs, enfants, jeunes et vieux, mourant en masse à la tâche qui a suscité les premières luttes, débouchant sur les premières lois sociales puis le code du travail, né en tant que tel au début du XXe siècle.
Oui, la particularité française, que la gauche tout entière a longtemps défendue, c’est la primauté de la loi pour définir le droit du travail. Loin de l’arbitraire du droit anglo-saxon en la matière, c’est la loi, expression du peuple souverain, qui a longtemps garanti les droits fondamentaux des salariés.
Ainsi, l’article 1er de la Constitution dispose que « la France est une république […] laïque, démocratique et sociale ». Son article 34 décline cette idée en ces termes : « La loi détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail » et « du droit syndical ».
Cette République sociale, attaquée depuis le début de la crise économique sous la pression du marché et des exigences de Bruxelles, est symbolisée par ces mots du Préambule de la Constitution de 1946, issu du programme « Les jours heureux » du Conseil national de la Résistance : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Le Préambule reconnaît ensuite le droit de grève, le droit à l’action syndicale, le droit à la retraite, le droit à la sécurité sociale et – j’y reviendrai – le droit au repos.
La gauche, celle qui croit en elle-même et se respecte, a toujours eu comme objectif de réaliser ces principes, de les mettre en action.
Madame la ministre, cette aspiration à la justice sociale est profondément ancrée dans l’esprit et dans le cœur de nos concitoyens ; elle ne pourra être éteinte par le passage en force que le Gouvernement tente aujourd’hui, avec la complicité maladroite ou gênée d’un patronat et d’une droite réduits au rôle de faire-valoir.
Ce passage en force est flagrant : de l’absence de réelles concertations, pourtant exigées par l’article L. 1 du code du travail, dont l’esprit, selon MM. les rapporteurs eux-mêmes, n’a pas été respecté, à la mise en œuvre honteuse du 49.3 à l’Assemblée nationale dès la discussion de l’article 1er du projet de loi, l’autoritarisme du pouvoir brutalise la population, les salariés !