La conjonction du recours au 49.3 à l’Assemblée nationale et de la réécriture du texte par le Sénat pose indéniablement problème.
Je concentrerai ma défense de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur l’inversion de la hiérarchie des normes, colonne vertébrale du projet de loi.
Comme je l’ai rappelé, la Constitution fonde le droit du travail sur la loi. Le Conseil constitutionnel lui-même valide régulièrement ce principe en acceptant, par exception, le transfert de compétences aux accords d’entreprise. Je considère, avec mon groupe, que la généralisation de la primauté donnée à ces accords, susceptibles d’être défavorables aux salariés, rompt l’équilibre instauré par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La dénonciation d’un code du travail entravant la liberté d’entreprise est récurrente depuis plus de trente ans. La gauche tout entière a longtemps résisté à cette pression libérale, avec plus au moins d’ardeur.
Ainsi, en 2008, M. Vidalies défendait une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi de M. Xavier Bertrand instaurant la primauté des accords d’entreprise pour la gestion des heures supplémentaires. Écoutez bien, mes chers collègues, ce que disait alors l’actuel secrétaire d’État chargé des transports :
« Vous avez fait le choix, monsieur le ministre, d’une déréglementation sans précédent des conditions de travail et de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. […] Ceux qui, pendant la campagne présidentielle, n’hésitaient pas à invoquer Blum ou Jaurès se présentent aujourd’hui comme des vieux adeptes d’Adam Smith. […] La droite française est encore dans les vieilles lunes libérales de la déréglementation et de l’individualisation des relations sociales. »
Et M. Vidalies de hausser le ton :
« Outre la déréglementation à tout-va, le fil rouge de votre réforme est la priorité donnée à l’accord d’entreprise. […] Or vous êtes parfaitement conscient de la conséquence immédiate de ce bouleversement, à savoir l’émiettement, l’atomisation des règles d’organisation du temps du travail. »
Et M. Vidalies de poursuivre :
« Que pourront faire les salariés d’une entreprise soumis au chantage d’un alignement par le bas sur un accord accepté dans une entreprise voisine ? Il n’y aura alors guère de négociation possible, puisque c’est leur emploi qui sera en cause. »
Et M. Vidalies de conclure en ces termes, qui pourraient aussi bien s’appliquer à votre projet de loi, madame la ministre :
« Avec votre projet, le dumping social sera au rendez-vous et la négociation collective s’effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables. On peut facilement imaginer comment vont se dérouler de telles négociations. »